Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Marcel, Auguste, Joseph, Névraumont naît le 29 novembre 1889 à Reims (Marne), chez ses parents, Joseph Névraumont, 31 ans, citoyen belge, valet de chambre, et Marie Bocquillon, 32 ans, son épouse, domiciliés au 5, impasse du Parvis. Marcel a trois frères : Robert, né en 1891 à Reims, et les jumeaux André et Raymond, nés en 1896, tous deux à Ballay (Ardennes).

En 1911, la famille habite au 41 rue du Chemin-Vert à Maisons-Alfort [1] (Seine / Val-de-Marne – 94). Le père est manœuvre chez Courtine. Robert, 20 ans, est “professeur” (instituteur privé). André, 15 ans, est journalier chez Springer. Raymond, 15 ans, est cordonnier.

Le 1er juillet 1909, à Commercy (Meuse), Marcel, 19 ans, s’était engagé volontairement pour cinq ans comme soldat de 2e classe au 6e régiment de hussards. Il est libéré du service actif le 14 juillet 1914, titulaire d’un certificat de “bonne conduite”. Mais, dès le 3 août suivant, il est rappelé à l’activité militaire par le décret du 1er août ordonnant la mobilisation générale, et rejoint son corps. Le 16 janvier 1917, il passe au 81e régiment d’artillerie lourde. Le 1er mai 1918, il passe au 500e régiment d’artillerie. Il reste mobilisé jusqu’au 15 juillet 1919. Il a enchainé dix ans “sous les drapeaux” !

Les quatre frères ont été mobilisés. Le 24 janvier 1919, son frère André est mort de maladie à hôpital 5/2 de Gemersheim, ou Landau ? (Allemagne).

En 1921, le couple parental ainsi que Marcel et son frère Raymond habitent toujours au 41 rue du Chemin-Vert à Maisons-Alfort. Marcel est bottier, Raymond est ouvrier sur cuir (?).

Le 12 mai 1935, Marcel Névraumont est élu conseiller municipal communiste de Maisons-Alfort sur la liste d’Albert Vassart [2].

Maisons-Alfort, la mairie. Carte postale oblitérée en février 1940. Coll. Mémoire Vive.

Maisons-Alfort, la mairie. Carte postale oblitérée en février 1940. Coll. Mémoire Vive.

Le 25 août suivant, il interpelle deux gardiens de la paix du commissariat de police de la circonscription de Charenton-le-Pont qu’il découvre en train de lacérer des affiches (probablement éditées par le Parti communiste), leur disant : « Qu’est-ce que vous faites ? Je suis conseiller municipal. Donnez-moi votre numéro… ». Il est conduit au commissariat pour interrogatoire (suite à préciser…).

Le 11 décembre 1935s son père décède à Maisons-Alfort.

Le 4 octobre 1939, le Président de la République – Albert Lebrun -, par décret et « sur la proposition du ministre de l’intérieur, suspend jusqu’à cessation des hostilités les Conseils municipaux » de 27 communes de la banlieue parisienne à majorité communiste, dont celui de Maisons-Alfort, et les remplace par des Délégations spéciales composées de notables désignés.

Le 15 mars 1940, la mère de Marcel Névraumont décède à Maisons-Alfort.

Au moment de son arrestation, célibataire, sans enfant, il habite toujours au 41, rue du Chemin-Vert à Maisons-Alfort ; ou au 95, rue Jean-Jaurès d’après les listes électorales de février 1945, sur lesquelles il sera déclaré comme négociant en chaussures ou bottier (déclaré aussi chauffeur d’auto, petit commerçant et cordonnier par la police).

Le 25 juillet 1940, Marcel Névraumont est, avec Fernand Saguet, l’un des principaux organisateurs de la manifestation visant à reprendre la mairie de Maisons-Alfort. Six anciens élus du conseil municipal pénètrent dans l’hôtel de ville pour y rencontrer le président de la délégation spéciale et lui demander d’adresser un rapport au préfet de la Seine, puis se maintiennent dans les lieux. Les services du commissariat Charenton viennent les y arrêter, au motif d’un attroupement de rue non approuvé par les autorités allemandes. Amenés au commissariat, ils y retrouvent des élus d’Alfortville ayant organisé une initiative identique, parmi lesquels Henri Hannhart et Gaston Ruan. Dans la nuit, tous sont conduits au commissariat du 12e arrondissement, puis au dépôt de la préfecture de police de Paris (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité). Enfin, le lendemain, ils sont écroués à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).

Le 4 octobre, Marcel Névraumont est relâché avec les autres élus, à l’initiative semble-t-il de l’administration militaire allemande pour laquelle «  vu la fragilité de (leur) cas, rien ne peut être retenu contre (eux) », et après qu’ils aient signé un engagement à « ne pas faire de propagande contre lesautorités occupantes ».

Mais, le 7 octobre, le commissaire de Charenton en appelle au directeur des Renseignements généraux afin que tous soient de nouveau arrêtés, précisant : « Il est à peu près certain que tous ces militants vont reprendre une activité. Leur arrestation paraît s’imposer. »

Le 10 octobre suivant, les mêmes hommes sont de nouveau arrêtés par des inspecteurs de Charenton et passent de nouveau une nuit à la Conciergerie. Internés administrativement en application du décret du 18 novembre 1939, tous sont conduits au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), ouvert cinq jours plus tôt dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement. Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement.
Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin.

Le 6 mars 1941, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » de Marcel Névraumont, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, émet un avis défavorable en s’appuyant sur le constat que cet interné « est resté communiste certain », ajoutant à sa charge : « propagandiste ».

Le 6 septembre 1941, Marcel Névraumont est parmi les 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 9 février 1942, il est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : le « camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin, Marcel Névraumont, 52 ans, est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Marcel Névraumont est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45922 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [3]).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Marcel Névraumont est probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

En effet, à une date restant à préciser, il est admis au Block 20 de l’hôpital des détenus du camp souche.

Il meurt à Auschwitz le 13 août 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; cinq semaines après l’arrivée du convoi (le même jour que Georges Niquet, de Maisons-Alfort). Il a 52 ans.

Notes :

[1] Maisons-Alfort : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Albert Vassart (1898-1958), militant chevronné du Parti communiste et de la CGTU à partir de 1923, est “parachuté” avec succès à Maisons-Alfort, dont il devient le premier maire communiste. À la suite de la signature du pacte germano-soviétique, il prend ses distances avec le PC (novembre 1940). Il est néanmoins arrêté et condamné à cinq ans de prison en tant que communiste. Mais il est libéré en septembre 1941 à la suite de démarches de Marcel Gitton et Henri Barbé (dirigeant du PC exclu en 1932). Albert Vassart adhère au Parti ouvrier et paysan français (POPF) – collaborationniste – de Gitton et y accepte des responsabilités aux côtés d’une vingtaine d’autres anciens parlementaires et élus communistes. Il fait ensuite équipe avec Barbé et Capron pour obtenir la libération de militants communistes emprisonnés bien qu’en rupture avec leur parti. Le 27 juin 1942, Albert Vassart échappe à une tentative d’élimination devant son domicile.

[3] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin Après Auschwitz, n° 21 de mai-juin 1948 ; son nom est orthographié « Nevaument »).

Sources :

V Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 356, 389 et 415.
V Claude Pennetier, notice sur A. Vassart dans le Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Les Éditions de l’Atelier/Les Éditions Ouvrières, 1990-1997, CD-rom, version 3.61.
V Henri Hannhart, Un épisode des années 40, Matricule : F 45652 (les intérêts de certains ont fait le malheur des autres), trois cahiers dactylographiés par son fils Claude ; notamment une liste, page 23.
V Ville de Reims, Archives municipales, site internet, archives en ligne : registre des naissances de l’année 1889, acte n° 2751, (vue 737/851).
V Archives de Paris : registres matricules du recrutement militaire, classe 1908, 4e bureau de la Seine (D4R1 1539), n° 3267.
V Archives de Paris, site internet, archives en ligne : fichier des électeurs du département de la Seine (1860-1939) (D4M2 668).
V Archives municipales de Maisons-Alfort, recherches de Madame Loubrieu.
V Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, révision trimestrielle (1w74), (1w76), notice individuelle (1w143).
V Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “Occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; registre des mains courantes du commissariat de police de la circonscription de Charenton 8/11/1937 / 26-11-1940 (C B 94.10), n° 958.
V Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
V Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 860 (19945/1942).
V Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach), document extrait des archives : page du registre d’appel avec la liste des détenus décédés le 13 août 1942.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.