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Francis Née.
Collection Madeleine Née.
Droits réservés.

Francis, Léon, Née naît le 4 août 1922 au Mans (Sarthe – 72), fils de Philippe Née, né en 1888 dans le Loir-et-Cher, et de Jeanne Guinfoleau, son épouse, née en 1897 en Vendée. Ses deux frères sont également nés dans la Sarthe : Georges, l’aîné, en 1920 et Jacques, le benjamin, le 13 août 1924 au Mans (décédé en 2003). Bien qu’étant elle-même « très politique », leur mère les place comme enfants de chœur… pour « être tranquille ».

En 1936 et jusqu’à l’arrestation de Francis, la famille est domiciliée dans une toute petite maison du passage Schumann, débouchant au 124 de la rue du Génie à Vitry-sur-Seine [1] (Seine/ Val-de-Marne), un quartier limitrophe de Villejuif [1] sur le plateau. Le père est boucher à Vitry, ainsi que son frère Georges. Sa mère est chef d’équipe de sellerie chez Renault (femme de caractère, elle tiendra une épicerie rue Vieille-du-Temple à Paris après la guerre et n’assistera pas au mariage de son fils Jacques « faute de temps »).

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Francis et Jacques Née (petite fille inconnue…).
Collection Madeleine Née. Droits réservés.

Francis Née est tourneur sur bois. Il est célibataire (il a 18 ans…).

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Porte cures-dents sculpté par Francis Née.
Collection Madeleine Née. Droits réservés.

Avant guerre, il milite dans le “cercle” des Jeunesses communistes de Villejuif, avec François Daoudal et Paul Guillaume [2], dit “Paulo”. Il continue dans la clandestinité et sous l’occupation.

Le 17 septembre 1940, tous les trois sont arrêtés par la police française, lors d’une distribution de tracts, rue Jean-Baptiste-Baudin à Villejuif. Ils ont affaire à Guimelli, un brigadier de police du commissariat de la circonscription de Gentilly très connu dès avant la guerre par sa violence à l’égard des militants et des élus communistes de sa circonscription.

Le 22 octobre, inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939, tous les trois sont placés sous mandat de dépôt.

Le 20 novembre 1940, à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e), Francis Née attire « à nouveau l’attention […] en manifestant en compagnie d’un co-détenu aux cris : “Les soviets partout !” ».

Le 8 février 1941, lors d’une audience au cours de laquelle sont jugés 50 militants et militantes communistes (dit « procès des cinquante »), dont dix-sept futurs “45000”, la chambre des mineurs (15e) du tribunal correctionnel de la Seine condamne Francis Née à six mois d’emprisonnement. Son frère Jacques, polisseur, également inculpé, est considéré « comme ayant agit sans discernement [est] remis purement et simplement à [sa] famille ».

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Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage.
(montage photographique)

Comme les autres condamnés, Francis Née fait appel de la sentence le 28 février. Bien que sa peine soit en partie ou totalement couverte par la détention préventive qu’il a déjà effectué, il n’est pas libéré : dès le lendemain, – sur instruction des Renseignements généraux, « considéré comme dangereux pour la sécurité nationale » – le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif.

Le 27 février suivant, il fait partie d’un groupe de 48 internés administratifs – dont Guy Môquet, Maurice Ténine et seize futurs “45000” – transférés à la Maison centrale de Clairvaux (Aube) où ils en rejoignent d’autres : 187 détenus politiques s’y trouvent alors rassemblés.

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Clairvaux. La Maison centrale. Carte postale. Collection M. Vive.

Le 31 mars, Francis Née est un des six internés de Clairvaux conduits à la Maison d’arrêt de la Santé, (Paris 14e), en préalable à leur passage devant la Cour d’appel de Paris. Le 9 avril, celle-ci examine la situation de cinquante condamnés pour activité communiste. Elle confirme la peine de Francis Née. Il est prévu que celui-ci soit ramené à Clairvaux, mais le quartier de la centrale utilisé comme centre d’internement étant « complet » il reste interné à la Santé.

En septembre 1941, Francis Née fait partie d’un groupe d’internés de la Santé transférés au “centre d’internement administratif” (CIA) de Gaillon (Eure), un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle, puis en caserne.

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Le camp de Gaillon, ancien château de l’évêque de Rouen.
Carte postale d’après-guerre. Collection Mémoire Vive.

Selon une note de la police (RG ?) datée du 18 février 1942, il figure sur une liste de 43 « militants particulièrement convaincus, susceptibles de jouer un rôle important dans l’éventualité d’un mouvement insurrectionnel et pour lesquels le Parti semble décidé à tout mettre en œuvre afin de faciliter leur évasion », et qui sont pour la plupart internés au camp de Gaillon.

Le 4 mai 1942, Francis Née fait partie d’un groupe d’internés transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir). Enregistré sous le matricule n° 306, il n’y reste que deux semaines.

Le 20 mai, il est parmi les 28 détenus que viennent chercher des gendarmes français accompagnés de militaires allemands. Pensant qu’on les emmène pour être fusillés, les partants chantent La Marseillaise. En fait, remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci, ils sont conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 -Polizeihaftlager).

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Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central
dont l’ombre se profile sur le sol. Le renfoncement à droite
dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.

Entre fin avril et fin juin 1942, Francis Née est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Francis Née est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45919, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée). Il se déclare comme fondeur (Giesser).

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Francis Née meurt à Auschwitz le 13 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp, qui indique comme cause une « défaillance cardiaque et vasculaire » (Versagen des Herzens und Kreislaufes) ; il a 20 ans. (aucun des treize “45000” de Vitry n’est revenu)

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Acte de décès au camp de Francis Née.
Pour tous les détenus, l’adresse est invariablement :
« Auschwitz, Kasernstrasse » (rue de la caserne).
© Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 18-05-1995).

Le 24 septembre 1942, son frère Jacques est arrêté comme militant des Jeunesses communistes sur ordre des Renseignements généraux. Trois jours plus tard, il est interné au centre d’internement administratif de Pithiviers (Loiret), puis est transféré à celui de Voves (Eure-et-Loir). Très affaiblit, s’évanouissant souvent – un infirmier le gifle pour qu’il se redresse afin de lui faire une prise de sang -, il sera libéré le 7 décembre 1943.

Vers la fin de la guerre, leur père meurt sous un bombardement.

Le 16 octobre 1947, Robert Lambotte signe un document certifiant que Francis Née est décédé à Auschwitz (estimant que sa mort est survenue au mois d’août).

Le nom des Francis Née est inscrit sur le monument « À la mémoire de Vitriotes et des Vitriots exterminés dans les camps nazis » situé place des Martyrs de la Déportation à Vitry.

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Une plaque dédiée aux “45000” vitriots a été apposée
au dos du monument. Elle est parfois masquée par la végétation.
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La plaque apposée pour le 50e anniversaire de la libération
des camps (avril 1995).

Sources :

- Madeleine Née, née Lermite, veuve de Jacques Née, entretient fin septembre 2009.
- Marcelino Gaton et Carlos Escoda, Mémoire pour demain, L’action et les luttes de militants communistes à travers le nom des cellules de la section de Villejuif du Parti communiste français, éditions Graphein, septembre 2000, pages 38 et 40.
- 1939-1945, La Résistance à Vitry, Ville de Vitry-sur-Seine, 1992, page 19.
- Archives communales de Vitry-sur-Seine, listes de recensement de 1936.
- Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
- Archives départementales d’Eure-et-Loir, archives du camp de Voves, dossier de Jacques Née, recherches du Comité du souvenir du camp de Voves, message d’Étienne Égret (01-2014)
- Dominique Ghelfi, Des Tourelles à Buchenwald (daté 1946) in Contre l’oubli, brochure éditée par la Ville de Villejuif, service municipal de l’information, à l’occasion d’une exposition en février 1996, page 59 à 62. D. Ghelfi, n’ayant pas été sélectionné pour le convoi du 6 juillet, a assisté au départ de ses camarades. Lui-même a été déporté à Buchenwald en janvier 1944 (rescapé).
- Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “occupation allemande” : BA 2373 (camps d’internement…) ; BA 2397 (liste des internés communistes, 1939-1941).
- Archives nationales, correspondance de la Chancellerie sur des procès pour propagande et activité communistes, BB18 7043.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 390 et 415.
- Archives départementale de Paris, archives judiciaires, registre du greffe du tribunal correctionnel de la Seine, 14 janvier-12 février 1941 ; jugement du samedi 8 février 1941, cote D1U6 3719.
- Archives départementales de l’Eure, Évreux, camp de Gaillon, recherches de Ginette Petiot (messages 08-2012).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 854.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès établi par l’administration SS du camp (35830/1942, daté du 21 octobre).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier de Francis Née, cotes n° 21 P 520 116 et 21 P 266 476, recherches de Ginette Petiot (message 09-2012) ; liste des internés administratifs de Clairvaux établie en janvier 1945 (message 11-2014).

Carlos Escoda et MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 12-11-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Vitry-sur-Seine et Villejuif : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Paul Guillaume : lors du procès de février 1941, la 15e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne à six mois d’emprisonnement.