© Ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen.

© Ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen.

Louis, Joseph, Morel naît le 12 avril 1902 à Besançon (Doubs), chez ses parents, Charles Séraphin Morel, 24 ans, jardinier, et Jeanne, Augustine Convert, 21 ans, son épouse, domiciliés chemin de la Vaite. Louis est leur premier enfant. Le 20 août 1904 naît sa sœur Hélène Jeanne. En 1906, ils habitent au Perron (peut-être une autre dénomination pour le même lieu…) ; Charles Morel est alors ouvrier d’usine à la soierie (les soieries des Prés-de-Vaux, établies sur le bord du Doubs ?). Le 12 août 1907 naît Églantine Eugénie, le 15 octobre 1909 naît Eugène Victor. En 1911, la famille est domiciliée à la Vaite (n° 9) ; Charles Morel est alors employé comme “journalier” à la Compagnie des tramways.

Le 1er août 1914, son père est rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale. Le 9 octobre suivant, il est affecté au 42e régiment d’infanterie territoriale. Le 8 avril 1916, sur le plateau au sud de Nouvion ou Noviant, le soldat de 2e classe a le crâne fracturé par un éclat d’obus. Il succombe à l’ambulance n° 7 du 1er corps d’armée, à Berny-Rivière (Aisne).

Le 22 janvier 1919, selon un jugement du tribunal civil de Besançon, les quatre enfants Morel – dont Louis – sont adoptés par la Nation (“pupilles”).

Au printemps 1921, Besançon, la famille habite au 5, chemin de la Vaite : Jeanne Morel, veuve, est journalière chez Chevalme, rue de la Pernotte, son fils Louis est manœuvre aux Économiques Bisontins (entreprise alimentaire), sa fille Hélène est bonnetière chez Druhen, usine textile rue de la Liberté.

Le 9 septembre 1925, à Salins-les-Bains (Jura – 39), Louis Morel se marie avec Renée Alice (ou Alixe) Cornu, née le 23 mai 1907 dans cette ville. Ils ont une fille, Jeannine, Mathilde, Charlotte, née le 2 février 1926 à Salins.

Au moment l’arrestation de Louis, ils sont domiciliés au 31, rue d’Olivet à Salins, à l’angle de la rue Gambetta. Renée y a repris le café-restaurant de ses parents (lequel n’existe plus en 2021, remplacé par un groupe d’immeubles modernes) ; Louis est chauffeur d’auto.

Salins-les-Bains. Le café-restaurant à l’angle de la rue d’Olivet, à gauche, et de l’avenue Gambetta, à droite. En surplomb à l’arrière plan, le fort Belin. Carte postale des années 1900, collection Mémoire Vive.

Salins-les-Bains. Le café-restaurant à l’angle de la rue d’Olivet, à gauche, et de l’avenue Gambetta, à droite.
En surplomb à l’arrière plan, le fort Belin.
Carte postale des années 1900, collection Mémoire Vive.

En 1938, lors de la crise des Sudètes s’achevant avec les accords de Munich, Louis Morel est brièvement mobilisé. Un professeur de mathématiques de Salins, alors rappelé avec lui, pourra témoigner de « ses sentiments anti-hitlériens ».

Inscrit au Parti communiste avant-guerre, Louis Morel n’y aurait plus d’activité repérable à partir de l’occupation.

Après l’invasion allemande, la ligne de démarcation passe sur la commune d’Arbois, à 12 km au sud-ouest. Louis Morel devient “passeur”. Les personnes souhaitant passer de la zone occupée en “zone libre” – peut-être des prisonniers français évadés -, font étape au restaurant, où ils dorment parfois. Louis Morel assure également du passage de courrier d’habitants de Salins.

En octobre 1940, Louis Morel est arrêté une première fois par les Allemands pour cette activité et condamné à sept semaines d’emprisonnement par un tribunal siégeant à Arbois et écroué dans une prison de cette ville.

Le 26 février 1942, à 6 heures du matin, il est arrêté à son domicile par des Feldgendarmes. Selon un voisin, ceux-ci auraient atteint la fenêtre de leur chambre à coucher au premier étage en se faisant la courte échelle ! Puis, en même temps qu’un docteur-chirurgien de Salins, Louis Morel est conduit en auto au siège de la Gestapo de Besançon, installé dans l’hôtel de Lorraine. Tous deux seraient pris dans une rafle de 65 otages en représailles d’un attentat à la grenade contre des militaires allemands en traitement à l’hôpital de Chalon-sur-Marne. Ils sont ensuite conduits à la prison de la Butte à Besançon, où ils cohabitent huit jours dans une même cellule, avant que son voisin, germaniste, parvienne à obtenir sa propre libération.

Louis Morel est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Depuis ce camp, il écrit deux lettres à l’adresse d’un voisin, dont une est en fait destinée à son épouse ; peut-être une manière de multiplier les courriers.

Entre fin avril et fin juin 1942, Louis Morel est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Louis Morel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le matricule 45896 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Louis Morel se déclare alors conducteur d’auto (Kraftwagenführer). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Louis Morel est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Il est assigné au Block 16 avec d’autres “45000”.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Louis Morel meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942,  selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des inaptes au travail à la suite de laquelle 146 des 45000 sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [1]). Sur cet acte, la cause (sans doute mensongère) mentionnée pour sa mort est « entérite (diarrhée) avec faiblesse corporelle générale » (Darmkatarrh bei Körperschwäche), pouvant indiquer une dysenterie.

Son nom est inscrit sur le Monument aux morts de Salins-les-Bains, situé au carrefour des routes départementales 472 et 492.

Depuis la Pologne, une copie de l’acte de décès d’Auschwitz est envoyée relativement tôt (mention du 17 juillet 1946) au Ministère des anciens combattants et victimes de guerre (ACVG).

Le 26 juillet 1946, Renée Morel, épouse de Louis, complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander la régularisation de l’état civil d’un « non-rentré ».

Le 4 octobre 1946, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des ACVG dresse l’acte de décès officiel de Louis Morel « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour » (à savoir l‘acte de décès du camp) ; aucun camarade rescapé n’a été sollicité afin de donner son témoignage (peut-être explicable par le fait que Louis Morel est le seul “45000” arrêté dans le Jura…).

Le 12 janvier 1948, Renée Morel complète et signe un formulaire du ministère des forces armées pour faire reconnaître l’appartenance de son mari à la résistance intérieure française (RIF). Mais elle ne peut désigner aucun témoin direct de l’activité clandestine de son mari. Le 26 août suivant, la commission régionale – composée de représentants de L’Armée secrète, de Ceux de la Libération, de Libération Nord, des Francs-tireurs et partisans, et du préfet – rend un avis « défavorable pour l’attribution du certificat d’appartenance à la RIF : l’intéressé, qui était “passeur” n’a jamais appartenu à un mouvement de résistance organisé ».

Le 25 novembre 1949, Renée Morel – en qualité de conjointe – complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son mari à titre posthume. Mais elle manque toujours de témoignages probants pour appuyer sa démarche, malgré deux enquêtes de gendarmerie (la question sera posée de savoir si l’activité de passeur de son mari était rétribuée…). Le 17 décembre 1951, la commission départementale du Jura des internés et déportés de la résistance (DIR) rend un avis « défavorable à l’unanimité : arrêté comme otage ». Le 26 janvier 1954, le ministère rejette la demande, attribuant à Louis Morel le titre de déporté politique et adresse le jour même à sa veuve la carte DP n° 1116.98915.

Notes :

[1] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 364 et 414.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus, Biuro Informacji o Byłych Więźniach : copie partielle d’un registre des détenus du Block 16, transmis par Sylvie Muller, petite-fille d’Alphonse Mérot, de Chalon-sur-Saône (71).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 828 (31928/1942).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 518 280).
- Site Mémorial GenWeb, relevé de Jacques Baudot (2000-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 8-04-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.