Charles, Edmond, Migeot naît le 4 avril 1889 à Larivière [1] (Haute-Marne – 52), à 44 km au Sud-Est de Chaumont, fils d’Adeline Migeot, quarante ans, vigneronne, veuve de Louis Lapre (décédé en 1884) ; les témoins pour l’inscription du nouveau-né à l’état civil sont un vigneron et un agriculteur.

En 1906, sa mère vit en ménage avec un autre vigneron. Il habite avec eux au 21, rue de l’Abondice ou de la Bondice, à Larivière.

Le jeune homme travaille d’abord comme charpentier, scieur de long.

Le 5 octobre 1910, Charles Migeot est incorporé comme soldat de 2e classe au 152e régiment d’infanterie pour accomplir son service militaire. Le 27 septembre 1912, il passe dans la disponibilité de l’armée active, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

En mars 1913, il habite au 7, rue du Chêne-Rond à Bondy. En octobre, il demeure chez Monsieur Courageux (?), place de la République, toujours à Bondy. En décembre suivant, il est domicilié à Livry, 75, route nationale, chez Monsieur Lugue. En janvier 1914, il habite au 32, rue d’Aubervilliers, à Paris 19e.

Le 5 mars 1914, l’armée le classe comme affecté spécial pour la Compagnie des chemins de fer de l’Est.

Après le décret de mobilisation générale du 1er août 1914, Charles Migeot est « considéré comme appelé sous les drapeaux et maintenu à son emploi du temps de paix au titre des sections de chemins de fer de campagne du 2 août 1914 au 31 juillet 1919 ».

Le 3 juin 1916 à Paris 18e, Charles Migeot épouse (Marie) Rose Porte, née à Larivière le 25 octobre 1892, toujours domiciliée au village, fille de vignerons. Ils auront plusieurs enfants. René naît le 6 octobre 1918 à Paris 10e, chez une sage-femme, ses parents étant domiciliés au 9, rue Caillet ou Caillé (Paris 18e), et Alfred Jean nait le 28 septembre 1920 à Paris 18e.

En juillet 1927, la famille a déménagé pour Langres (52). En 1931, ils habitent faubourg des Auges. En 1933, naît Geneviève.

De 1935 à 1938, son fils René est apprenti au centre de formation SNCF de Chalindrey (52), nœud ferroviaire à 11 km de Langres ; il est ensuite chaudronnier aux ateliers du dépôt voisin, où travaille déjà probablement son père. René milite aux Jeunesses communistes puis au PCF.

Au moment de son arrestation, Charles Migeot, alors retraité de la SNCF, est revenu habiter à Larivière-sur-Arpance ; son adresse reste à préciser.Le 22 juin 1941, il est arrêté, parmi une soixantaine de militants communistes et syndicalistes interpellés en quelques jours dans la Haute-Marne [2] (dont 15 futurs “45000”). D’abord détenu à la prison de Chaumont, il est transféré le 27 juin au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne,
futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandises d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandises
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Charles Migeot est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45879 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Charles Migeot se déclare alors comme agriculteur (Landwirt). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Charles Migeot.

Il meurt à Auschwitz le 31 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Au début de l’Occupation, son fils aîné, René Migeot, a poursuivit son activité militante en région champenoise. En juin 1941, il résidait à Tinqueux (Marne), en banlieue de Reims, sous le nom de “Georges Deloy”, dans une maison située 26, route de Soissons, où était installée une imprimerie clandestine. Il a bientôt été rejoint par Alice Cuvillers (née Corpel), militante communiste venue se réfugier à Reims après une vague d’arrestations opérées à Troyes, où elle résidait. Ils se consacraient alors tous deux à la composition et au tirage de plusieurs centaines de tracts et journaux clandestins. Le 30 août 1941, René Migeot a fait l’objet d’un premier mandat d’arrêt pour « distribution de tracts communistes et exercice d’une activité en vue de favoriser l’action de la IIIe Internationale ».

Le 3 août 1942, Alice Cuvillers a été arrêtée alors qu’elle allait récupérer du courrier envoyé par sa mère chez un couple de résistants rémois, M. et Mme Lévêque [3]. Le soir même, René Migeot est tombé dans le piège tendu chez les époux Lévêque, mais est parvenu à s’échapper en tirant sur les deux hommes en faction. Le 8 septembre 1942, il est visé par un second mandat d’arrêt.

C’est probablement à l’automne que René Migeot quitte Reims et est envoyé en région bordelaise (Gironde – 33), où il devient “interrégional” des Francs tireurs et partisans (FTP). Il organise plusieurs déraillements de trains ainsi que des sabotages sur des navires dans le port de Bordeaux. Il est par ailleurs l’auteur, avec Charles Bochard, de l’assassinat, le 26 août 1943, d’André Langeron, ancien militant communiste passé au Parti populaire français collaborationniste (PPF).

Le 18 ou le 19 septembre 1943, René Migeot est arrêté par la police française à Libourne (33). Une perquisition menée à son domicile permet d’y découvrir des armes et des munitions. Livré aux Allemands, il est emprisonné au fort du Hâ, à Bordeaux. Le 20 janvier 1944, le tribunal militaire de la Feldkommandantur 529 le condamne à mort. Le 26 janvier à 7 h 30, il est fusillé au camp de Souge, sur la commune de Martignas-sur-Jalle (33), en compagnie de seize résistants, essentiellement des membres du groupe FTP Bourgois.

Alfred Migeot, son frère – et fils cadet de Charles -, engagé dans la Résistance en région Rhône-Alpes, arrêté par des forces de l’ordre françaises, est déporté dans le transport de 720 détenus de la prison Saint-Paul de Lyon parti le 29 juin 1944 – avant la retraite de l’armée d’occupation – et arrivé au KL Dachau le 2 juillet 1944. Enregistré sous le matricule 75908, Alfred Migeot est ensuite transféré au KL Flossenbürg, puis au grand Kommando de Leitmeritz (Litomerice), près de Theresienstadt au nord-ouest de Prague,, lié à l’usine Elsabe et aux constructions “Richard”. Il y meurt le 1er février 1945 (41,5 % des déportés du convoi sont comptés comme décédés ou disparus).

Les noms de Charles Migeot et de ses fils René et Alfred sont inscrits sur le monument aux morts de Larivière.

Le nom de René Migeot est gravé sur une plaque apposée près du dépôt de Chalindrey et sur le mémorial du camp de Souge.

Marie-Louise Migeot décède à Bourbonne-les-Bains (52) le 16 juin 1957, âgée de 64 ans.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Charles Migeot (J.O. du 21-12-1995).

Notes :

[1] Larivière, puis Larivière-sur-Apance, aujourd’hui Larivière-Arnoncourt.

[2] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.

En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[3] Alice Cuvillers : emprisonnée un temps à la prison pour femmes de Rennes, elle est déportée au KL Ravensbrück le 18 avril 1944, d’où elle reviendra en mai 1945.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 367 et 414.
- À propos de René Migeot, Cécile Hochard, Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 1433-1434.
- À propos de René Migeot, Delphine Leneveu, Les fusillés (1940-1944), Dictionnaire biographique des fusillés et exécutés par condamnation et comme otage ou guillotinés pendant l’Occupation, sous la direction de Claude Pennetier, Jean-Pierre Besse, Thomas Pouty et Delphine Leneveu, Éditions de l’Atelier, 2015, page 1288.
- À propos d’Alfred Migeot, Thomas Fontaine, Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004 : transport, I.234, tome 4, pages 1026 et 1027, 1047.
- Archives départementales de la Haute-Marne (AD 52), site du conseil général, archives en ligne : état civil de Larivière-sur-Apance, registres d’état civil NMD 1883-1892 (E dépôt 5419), année 1889, acte n° 7 (vue 38/183) ; registre des matricules militaires, bureau de Langres, classe 1909, n° de 453 à 1000 (FRA052 R1617), matricule n° 957 (vue 1/47).
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des mariages du 18e arrondissement à la date du 3 juin 1916 (18M 466), acte n° 820 (vue 17/21).
- Club Mémoires 52, Déportés et internés de Haute-Marne, Bettancourt-la-Ferrée, avril 2005, p. 38.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 838, orthographié « Mugeot ».
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 26196/1942.
- Site internet Mémorial GenWeb, relevés de Raymond Jacquot (2002) et Guy Chaillaud (2006).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 6-06-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.