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Tentative de retouche
sur la seule photo connue
de Clément Matheron, extraite
d’une fiche de Compiègne
(voir ci-dessous). Coll. Jean Matheron. Droits réservés.

Clément, Narcisse, Émile, Matheron naît le 12 novembre 1923 à Romainville [1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), fils d’Hilarion et de ?.

À une date restant à préciser, son père achète un terrain dans un lotissement qui vient de se créer sur le territoire de la commune de Goussainville. Quand sa maison y est construite, le quartier n’est pas déservi par des rues goudronnées, mais seulement par des chemins de terre qui deviennent boueux quand il pleut : Hilarion Matheron met des bottes en caoutchouc pour marcher jusqu’à la gare, puis enfile des chaussures avant de monter dans le train qui le mène à la capitale pour y travailler.

Son père et ses frères sont des militants communistes.

Au moment de son arrestation, Clément Matheron est domicilié chez ses parents au 19, rue Henri-Vuillemin à Goussainville [2] (Val-d’Oise – 95). Il est célibataire (il n’a que 17 ans et demi).

Sous l’occupation, il travaille sur différents chantiers de terrassement pour une entreprise de Creil.

Avec ses camarades des Jeunesses communistes de Goussainville, notamment Robert Peltier [3], Clément Matheron édite des tracts dans une grotte (carrière ou champignonnière désaffectée ?) près de Louvres (commune mitoyenne) et organise un début de résistance armée dans le nord de la région parisienne.

Le 28 août 1941, Clément Matheron est arrêté sur son lieu de travail, un chantier de Chantilly, par les « Autorités allemandes » pour être interrogé sur un attentat opéré à Orry-la-Ville.

« Relâché après 48 heures, il [est] de nouveau arrêté quelques jours après à son domicile par des gendarmes français de Goussainville, remis aux Autorités d’occupation écroué à la prison du Cherche-Midi » à Paris. Il ne subit alors pas d’interrogatoire et n’est pas déféré devant un tribunal.

Le 16 septembre 1941 son frère Lucien, 20 ans, est fusillé au Mont-Valérien avec neuf autres otages, en représailles d’attentats commis à Paris contre des membres de l’armée allemande les 6, 10 et 11 septembre ; sur l’avis affiché sur les murs le jour même, Lucien Matheron est le premier de la liste.

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Le frère de Clément est fusillé…

Le 4 mars 1942, Clément Matheron est conduit à la préfecture de Police de Paris « par ordre des autorités d’occupation qui le représentent comme “un communiste extrêmement actif et dangereux” ayant été impliqué dans une affaire de sabotage et ordonnent qu’il soit interné dans un centre de séjour surveillé ». Le jour même, le directeur des Renseignements généraux, Lucien Rotté, écrit au préfet de Seine-et-Oise pour l’informer qu’il a « prononcé », à la demande de l’occupant, l’internement administratif du nommé Matheron qui « a été écroué au Dépôt de la Préfecture de Police en attendant son internement dans un centre de séjour surveillé ».

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« Pour le préfet de police… ». AD 78.

Le 16 avril, Clément Matheron fait partie d’un groupe de détenus transférés au “centre de séjour surveillé” de Voves (Eure-et-Loir), où il est enregistré sous le matricule n° 71 (le camp d’Aincourt est en phase d’évacuation vers celui-ci…).

Entrée du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943. © Musée de la Résistance Nationale, Champigny, fonds de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé.

Entrée du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943.
© Musée de la Résistance Nationale, Champigny, fonds de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé.

Le 10 mai, Clément Matheron est parmi les 81 détenus remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), Frontstalag 122 -Polizeihaftlager, gardé par la Wehrmacht.

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Fiche d’un dossier médical établie pour le camp de Compiègne.
Les agrafes métalliques ont déchiré le papier photographique,
puis ont rouillé. Collection Jean Matheron. Droits réservés.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Clément Matheron est enregistré à Auschwitz ; peut-être sous le numéro 45859, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé). D’après le témoignage de Georges Dudal, après l’appel du soir, Clément Matheron est violemment frappé derrière la tête par le Blockältester du Block 19 qui entend montrer aux nouveaux arrivants« comment on tue un homme ». Il reste inanimé sur le sol ; ses camarades le perdent de vue et le considèrent comme mort.Cependant, d’après les registres du camp, Clément Matheron meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement gazés [4]). Il a 19 ans.

Il est déclaré “Mort pour la France”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 25-02-1995).

Après la guerre, le conseil municipal de Goussainville dénomme rue Clément Matheron une voie de la commune (une autre rue porte le nom de son frère Lucien).

Notes :

[1] Romainville : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Goussainville : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] Robert Peltier, 20 ans, participe à une des opérations menées par le groupe de Gilbert Brustlein et sera fusillé le 9 mars 1942 au Mont-Valérien à la suite du procès de la Chambre des Députés.

[4] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 89-90, 111, 150 et 153, 390 et 413.
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94), carton “Association nationale de des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
- Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
- Boris Dänzer-Kantof, historien, message (12-04-2005).
- Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “occupation allemande” : BA 2374 (camps d’internement…).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 788 (31872/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 17-11-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.