Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Émile, Charles, Maillard naît le 25 janvier 1905 à Venizel (Aisne – 02), fils de Julien Maillard, 46 ans, sommelier, et de Marie Valentine Jourden, 30 ans, son épouse.

Le 26 septembre 1931, à Soissons, Émile Maillard se marie avec Andréa Tugant (ou Tugaut), née le 14 janvier 1914 à Pont-Saint-Mard (02). Ils ont une fille : Yolande, née le 19 juin 1932. Mais le couple divorce le 21 février 1939.

Au moment de son arrestation, Émile Maillard est domicilié au 41 bis, cité du Bois-des-Sapins à Soissons (02). Il héberge ses parents.

Il est ouvrier boulanger (commis), peut-être sur la route de Paris (E.V. ?).

Le 31 août 1941, le commissaire de police de la ville de Soissons écrit au préfet de l’Aisne, à Laon, pour lui transmettre « la liste de communistes notoires qui seront pris comme otages, par la Kreiskommandantur de Soissons, au cas où des incidents surviendraient dans la Ville ». Émile Maillard est le huitième desneuf hommes désignés, dont trois autres futurs “45000” : Léon Busarello, Jean Guier et Charles Del-Nero.

Le 19 septembre, le commissaire de Soissons transmet au préfet une liste de 240 « individus ayant appartenu comme militants ou sympathisants à l’ex-parti communiste de Soissons et de la région. Les plus mauvais sont marqués DANGEREUX ». Émile Maillard y est inscrit, mais sans cette mention.

Le lendemain, 20 septembre, le commissaire principal des Renseignements généraux de Laon transmet au préfet une liste des « communistes notoires » des plusieurs localités du département « qui semblent continuer leurs agissements anti-nationaux ». Émile Maillard semble avoir été oublié (?) parmi les dix-neuf hommes désignés pour Soissons et sa région.

Le 29 septembre, à Courmelles, « banlieue de Soissons », une sentinelle allemande de garde à la porte de la Standortkommandantur est attaquée.

Dans la nuit du 29 au 30 septembre, vers une heure du matin, Émile Maillard est arrêté à son domicile par la Feldgendarmerie, pris comme otage en représailles avec 17 autres militants communistes du secteur dont Léon Durville, qui sera fusillé le 21 février suivant, Gabriel Duponchelle, de Villeneuve-Saint-Germain, serrurier, Henry Malheurty, gérant des bains municipaux de Soissons, Léon Busarello, Charles Del Nero et Jean Guier ; une arme a été trouvée chez un militant communiste de Courmelles, Gaston Pinot [1]. Les 18 hommes sont d’abord conduits à la caserne Charpentier de Soissons.

Tous sont rapidement internés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Émile Maillard y est enregistré sous le matricule n° 1606.

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : le « camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de marchandises de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons à bestiaux. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Émile Maillard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 45815 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Émile Maillard est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I, selon un témoignage ultérieur d’André Faudry, de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne).

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Émile Maillard meurt – à Birkenau – le 20 août 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [2] ; un mois et demi après l’arrivée du convoi. La cause mensongère indiquée pour sa mort est  « insuffisance du muscle cardiaque » (Herzmuskelinsuffizienz).Vers janvier 1947, afin que la mère d’Émile Maillard puisse faire établir un acte de décès au nom de son fils, Henry Malheurty, alors à Belloy, est le premier témoin à attester de la déportation de celui-ci, qu’il a vu partir du camp de Royallieu.

Le 20 septembre 1947 (?), Yolande Maillard, fille d’Émile, mineure, vivant avec sa mère – elle-même remariée et sa tutrice légale – au 16 rue Clanzy à Paris 11e, remplit un formulaire de demande d’inscription de la mention “Mort pour la France” sur l’acte de décès d’un déporté politique, son père. Le 12 avril 1948, Marie Maillard, mère d’Émile, alors veuve, remplit la même demande. Fin septembre suivant, la mention “Mort pour la France” est inscrite sur l’acte de décès d’Émile Maillard.

Le 3 octobre 1951, Louis R. ex-secrétaire de police de Soissons et Ernest R., ancien brigadier de police, signent des attestations certifiant sur l’honneur qu’Émile Maillard a été arrêté par des gendarmes allemands et déporté en Allemagne. Ils renouvellent ces certificats en février 1953. Albert B., pâtissier-confiseur au 10, rue Porte-Crouy à Soissons, signe deux attestations semblables.

Le 31 octobre 1953 à Paris, Yolande – désormais mariée – remplit un formulaire de demande du titre de Déporté politique au nom de son père. Ce titre est accordé par le ministère des Anciens combattants et victimes de guerre le 24 février 1954, et Yolande Brucelle reçoit la carte n° 1159.00557.

Le nom d’Émile Maillard est inscrit sur le monument aux morts de Soissons, près de la cathédrale, œuvre du sculpteur Raoul Lamourdedieu offerte à sa ville natale par Hélène Pétrot : « A Soissons immortelle – a ses enfants tombés glorieusement pour la Patrie ».

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. 16-07-1994).

Notes :

[1] Gaston Pinot : le 9 octobre 1941, un avis (Bekanntmachung – texte noir sur fond jaune) de l’armée d’occupation informe la population du Soissonnais que ce forgeron (ou cantonnier) de Courmelles a été fusillé à Laon (02) pour détention d’armes. Après la Libération, le Conseil municipal de Courmelles donne son nom à la place de l’Hôtel de Ville.

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant d’Émile Maillard, c’est le 6 juillet 1942 « en déportation » qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 360 et 412.
- Alain Nice, La guerre des partisans, Histoire des Francs-tireurs partisans français, Histoire de la Résistance ouvrière et populaire du département de l’Aisne, édition à compte d’auteur, janvier 2012, pages 34-36, 39-42 (commande à adresser à Alain NICE – 9 rue de la Tour du Pin – 02250 BOSMONT-SERRE).
- Archives départementales de l’Aisne, site internet, archives en ligne, registre d’état civil de Venizel pour l’année 1905, acte, n° 2 (vue 2/10).
- Archives départementales de l’Aisne (AD 02), Laon, dossiers du commissariat régional aux Renseignements généraux, surveillance des communistes (cote SC11276).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC)s, doc. XLIV-25 (lettre de la Feldkommandantur 527 de Soissons).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 760.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès du camp (n° 23112/1942).
- Site Mémorial GenWeb, Soissons-02, relevé de Bernard Roucoulet (2000-2002).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier d’Émile Maillard (21 P 511 221), recherches de Ginette Petiot (message 01-2014).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 15-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.