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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz. 
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jérôme, Désiré, Magnat naît le 8 mai 1897 au lieu dit Montgermain sur la commune de Fransèches (Creuse – 23), au domicile de sa grand-mère, veuve, cultivatrice. Ses parents sont Henri Magnat, 33 ans, maçon (« actuellement absent »), et Pauline Augustin, 28 ans, cultivatrice, domiciliés à Chamberaud (23).

Pendant un temps, Jérôme Magnat est cultivateur.

En mai 1916, le conseil de révision le classe dans la 5e partie de la liste pour « faiblesse » (pour l’époque, c’est un homme assez grand : 1 m 75). Le 29 mai 1917, la commission de réforme de Guéret le classe pour le service armé. Le 3 septembre suivant, Jérôme Magnat rejoint le 78e régiment d’infanterie où il est incorporé comme soldat de 2e classe. Le 24 avril 1918, la commission de réforme de Guéret le propose pour un changement d’arme « pour insuffisance de développement et de musculature. Indice 31 [?] ». Le 6 mai suivant, Jérôme Magnat passe au 21e régiment d’artillerie. Le 13 juin, il passe au 18e régiment d’artillerie de campagne, puis au 40e R.A.C. le 24 juin 1919. Le 26 septembre suivant, il est « envoyé en congé illimité de démobilisation » et se retire à Chamberaud.

Le 2 avril 1922, à Chamberaud, il se marie avec Jeanne Lagrange, née le 1er décembre 1891 dans cette commune.

En avril 1923, Jérôme Magnat déclare habiter à l’hôtel Bergeas de Champagne-sur-S. En octobre 1923, il se déclare cimentier, habitant à Chemilly (Yonne). En juillet 1925, il se déclare ouvrier-maçon, demeurant à Champagne-sur-S.

Jérôme et Jeanne Magnat ont – au moins – un fils, René, né le 14 août 1925 à Champagne-sur-Seine (Seine-et-Marne – 77) .

En octobre 1928 et jusqu’au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 25, rue de Ségogne à Champagne-sur-S.

En 1928 et peut-être avant, Jérôme Magnat est bobineur-électricien à l’usine Le Matériel électriqueSchneider-Westinghouse (S. W.).

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Champagne-sur-Seine. Entrée de l’usine Schneider- 
Westinghouse (S. W.). Carte postale non-datée 
(années 1920 ?). Collection Mémoire Vive.

À l’automne 1941, son fils René sera apprenti ajusteur à l’École des métiers Lafayette [1].

Jérôme Magnat est adhérent au Parti communiste de 1936 à 1939, peut-être trésorier de cellule.

Le 28 janvier 1939, à la demande de la direction générale de la Sûreté nationale au ministère de l’intérieur et après avoir consulté ses sous-préfets, le préfet de Seine-et-Marne transmet à celle-ci un long rapport sur « l’organisation et l’activité de chacun des partis extrémistes » de son département dans lequel sont répertoriées les cellules du parti communiste. Pour Champagne-sur-Seine, il indique : « Le nombre des adhérents est de 280 environ, dont une centaine pour la cellule de la société S.W. (Schneider et Cie) […]. Les réunions se tiennent chaque semaine chez M. Rateau, chef du secteur. »

Le 1er mai 1941, un inspecteur du commissariat spécial de Melun rédige un compte-rendu d’enquête pour son chef de service, relativement à « une lettre signée peu lisiblement et signalant une activité communiste dans la région de Champagne-sur-Seine. […] Le Matériel Électrique ou « Usines S.W. » occupe […] environ 700 ouvriers. Une vingtaine environ s’était faite remarquer par son attitude communiste, parmi eux : JAY René, né le 5 avril 1892 à Saint-Mammès (Seine-et-Marne), domicilié à Champagne-sur-Seine, 10 rue Henri-Paul, veilleur de nuit au chantier du pont de cette localité […], MAGNAT Jérôme […], MÉNAGER André […], ROUSSET Georges, né le 16 septembre 1914 à Avon […], traceur sur métaux, ex-secrétaire des Jeunesses communistes de Champagne, gendre de Jay René.,TROLET François […]. Ces divers militants de l’ex-parti communiste sont encore en relations et, à plusieurs reprises, on a constaté des allées et venues. Depuis le mois de mars, trois distributions de tracts communistes ont eu lieu à Champagne-sur-Seine ; elles ont été effectuées principalement dans le quartier de l’Aubépine, […] habité par les ouvrier de S.W. Les deux dernières diffusions remontent au 23 avril […] et, enfin, dans la nuit du 19 au 30 avril […]. Cette dernière distribution n’a pas eu l’effet de propagande souhaité en raison d’une forte pluie qui s’est abattue sur la ville. À noter que JAY René et MÉNAGER André, tous deux militants convaincus, sont titulaires d’un laisser-passer de nuit pour leservice de garde du pont de Champagne-sur-Seine […] demandés par la maison Delattre et Frouard de Dammarie-les-Lys, chargée de la réfection du pont de cette commune. En outre, la situation politique du milieu ouvrier de Champagne-sur-Seine ne paraît pas s’être aggravée depuis la guerre. Au contraire, le militant le plus dangereux, le plus instruit, RATEAU Valentin, né le 6 mars 1910 à le Creusot (S et L), professeur à l’École Lafayette, est actuellement interné au Maroc. La direction de l’usine, que j’ai consulté, ne donne aucun nom de personnes pouvant servir d’agents de renseignement. Bien que déplorant la propagande antinationale communiste, la direction invoque qu’il serait délicat de déléguer un ouvrier pour la surveiller. On peut le regretter. »

Le 6 mai, le préfet de Seine-et-Marne signe un arrêté « astreignant [Jérôme Magnat] à résider au centre de séjour surveillé » d’Aincourt (plusieurs documents mentionnent la date du 6 avril, mais il s’agit probablement d’une confusion lors de la transcription dactylographiée). L’ordre est transmis le 8 du même mois.

Le 9 mai, en soirée, Jérôme Magnat est arrêté à son domicile par deux gendarmes de la brigade de Moret-Sur-Loing qui l’enferment pour la nuit dans la chambre de sûreté de leur caserne, en attendant son transfèrement qui a probablement lieu le lendemain.

Le 19 mai, Mesdames Jay, Rousset et Magnat, « femmes des membres de l’ex-parti communistes arrêtés la semaine dernière et conduits dans un camp de concentration », se rendent à l’hôtel de ville de Champagne-sur-Seine pour déclarer au maire qu’elles sont sans ressources suite du départ de leurs maris et lui demander si elles ont droit à des allocations. Le maire écrit le jour même au préfet pour lui demander des instructions à ce sujet.

Le 6 juin, Jeanne Magnat écrit au préfet de Seine-et-Marne pour solliciter la libération de son mari, car celui-ci a été appréhendé « sans qu’on nous ait donné le motif de cette arrestation. Rien dans la vie de mon mari ne permet de justifier sa détention ».

Le 12 juin, le préfet écrit une lettre rédigée en termes identiques au maire de Champagne et au directeur de l’usine SW pour demander leur avis sur l’opportunité de cette libération. Il justifie d’abord sa propre décision : « Cette mesure fut décidée en raison de la propagande communiste exercée depuis quelques mois dans la région et qui se manifeste notamment par la distribution de tracts. Bien qu’aucun fait précis n’ait été relevé à l’encontre de l’intéressé, il peut être considéré à juste titre comme un des responsable de cette activité, étant donné son passé de militant communiste. »

Le 20 juin, Jeanne Magnat écrit de nouveau au préfet pour solliciter la libération de son mari, argumentant que « l’un des deux hommes arrêtés en même temps que lui est libéré depuis plus d’une semaine. Mon mari n’est coupable pas plus que lui d’aucune action répréhensible : pourquoi ne le libère-t-on pas également ? »

Le 21 juin, le préfet rapporte la mesure d’internement et écrit au commissaire spécial de Melun pour lui demander de convoquer l’intéressé afin de l’informer « que la mesure de bienveillance dont il a été l’objet n’a été prise qu’à titre d’essai et qu’il est tenu pour responsable de toute propagande qui pourrait se manifester dans la localité ». Le 2 juillet, le commissaire rend compte qu’il a bien exécuté ces instructions. Le même jour, le directeur de la société SW écrit également au préfet pour lui signaler que son employé est passé à l’usine afin de demander à retrouver son poste. Étant disposé à le reprendre, il demande si cela est possible. Le 15 juillet, le préfet lui répond par l’affirmative.

Le dimanche 19 octobre suivant, Jérôme Magnat est appréhendé à son domicile dans le cadre d’une vague d’arrestations décidée par l’occupant contre des communistes de Seine-et-Marne, pris comme otages en représailles de distributions de tracts et de destructions de récolte – incendies de meules et de hangars – ayant eu lieu dans le département.

Jérôme Magnat est rapidement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), parmi 86 Seine-et-Marnais arrêtés en octobre (46 d’entre eux seront des “45000”). Il y est enregistré sous le matricule n° 1704.

Le 28 novembre, le nom de Jérôme Magnat apparaît sur une liste de 79 otages communistes pouvant être proposés pour une exécution de représailles, établie par la Feldkommandantur 680 de Melun et adressée au chef du district militaire “A” à Saint-Germain-[en-Laye].

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Alors que les préparatifs du départ sont en cours, Prudent Prel, militant de Fontainebleau écrit un message qui parviendra à sa famille : « 5 juillet 1942 – 9h. du matin […] Nous sommes sur notre départ pour une destination inconnue, je ne sais où ils vont nous emmener […] Serons-nous déportés et considérés comme tels ? Ou irons-nous travailler en Allemagne ? […] De la région, nous partons à beaucoup : René Coudray, Bonhomme, Magnat, Trolet, Ménager, tous copains de Champagne[-sur-Seine]et de Moret[-sur-Loing], mais nous allons être dispersés, nous sommes divisés par groupe de trois cents. Nous partons à 1.200. […] Espérons que nous nous retrouverons à l’arrivée, car nous allons partir par fraction. […] »

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jérôme Magnat est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45810 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire – au cours duquel Jérôme Magnat se déclare sans religion (« Glaubenslos ») -, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de dire dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Jérôme Magnat.

Il meurt à Auschwitz le 13 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp [2].

Son nom est inscrit sur la plaque dédiée aux déportés politiques et aux victimes civiles (1939-1945) de Champagne-sur-Seine, place Paul-Jay.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 16-07-1994).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 378 et 412. 
- Archives départementales de la Creuse (AD 23), site internet du Conseil général, archives en ligne, registre des naissances de Fransèches, année 1897 (cote 4E105/16), acte n° 5 (vue 29/54) ; registre matricule du recrutement militaire, bureau de Guéret, classe 1917, n° de 503 à 1002 (cote 1 R 603), matricule 763 (vue 409/778). 
- Archives départementales de Seine-et-Marne, Dammarie-les-Lys, cabinet du préfet ; (cote M11411) ; internés M-N (SC51252) ; notes (SC51241). 
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste d’otages, document allemand, cote XLIV-60. 
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 759 (35827/1942). 
- Site Mémorial GenWeb, 77-Champagne-sur-Seine, relevé de Olivier Engel (2005) ; photo.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 2-10-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] L’École des métiers Lafayette : aujourd’hui (2013) Lycée des métiers de l’Énergie, du Numérique et des Industries de production.

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Concernant Jérôme Magnat, c’est le 6 juillet 1942 « sans autre renseignement » qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.