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Charles Limousin naît le 27 juillet 1906 à Châtellerault (Vienne – 86), fils de Jean Limousin, tailleur de pierre, et de Marie Angèle Moussineau, son épouse, couturière.

Le 14 novembre 1926, Charles Limousin est appelé pour accomplir son service militaire comme chasseur de 2e classe au 2e COCC, puis renvoyé dans ses foyers le 14 avril 1928 ; il se retire à Châtellerault. Comme réserviste, il accomplira une période d’exercice de 21 jours dans les chars de combat du 27 juin au 17 juillet 1932.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 37, quai d’Alsace-Lorraine à Châtellerault.

Le 6 avril 1929, à Châtellerault, il se marie avec Marie, Sophie, Benoît, née le 10 mai 1910 à Villers-au-Flos (Pas-de-Calais). Ils auront trois enfants : Charles, né le 8 décembre 1929, Jean, né le 9 avril 1931, et Jacques, né le 11 juillet 1935.

Charles Limousin travaille comme électricien de 1ère catégorie à la Manufacture d’armes de Châtellerault. Maurice Rideau, son camarade de travail, le décrit comme « un gaillard d’1 m 82, d’une force herculéenne ».

Châtellerault, Manufacture nationale des armes de Vienne. Carte postale envoyée en 1943. Collection Mémoire Vive.

Châtellerault, Manufacture nationale des armes de la Vienne.
Carte postale envoyée en 1943. Collection Mémoire Vive.

Secrétaire de l’Union locale CGT et secrétaire général du Syndicat des travailleurs de l’État de Châtellerault, « Charlot » est aussi membre du Comité de section du Parti communiste.

Le 23 juin 1941, il est arrêté – à la Manufacture – par des soldats allemands et des policiers français, et interné au camp de la Chauvinerie, à Poitiers, caserne réquisitionnée par l’occupant (selon M. Rideau, 33 communistes sont arrêtés ce jour-là dans la Vienne [1] ; 28 sont conduits à la Chauvinerie, 14 seront des “45000”).

Poitiers. L’entrée du quartier (caserne) de la Chauvinerie dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Poitiers. L’entrée du quartier (caserne) de la Chauvinerie dans les années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Selon Maurice Rideau, ils sont interrogés à plusieurs reprises « par la Gestapo qui aurait bien voulu connaître les autres membres de [leur] mouvement restés en liberté », Charles Limousin étant considéré comme le plus actif d’entre eux.

Le 12 juillet, Charles Limousin fait partie d’un groupe de détenus embarqués à la gare de Poitiers pour être transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), où il est désigné comme vaguemestre. D’après le témoignage d’Émile Lecointre, il fait partie de l’organisation communiste clandestine du camp.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Selon Alfred Quinquenau, de Châtellerault, arrêté avec lui, ouvrier à la Manufacture, le directeur de celle-ci aurait engagé – sans succès – des démarches « auprès des autorités allemandes pour faire libérer Charles Limousin qui, par ses qualités professionnelles, était très utile » à l’entreprise.

Entre fin avril et fin juin 1942, Charles Limousin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous à pied escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Charles Limousin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45796 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Charles Limousin est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Là, il est affecté au Block 15, avec Louis Cerceau et Maurice Rideau, auxquels le lie une ancienne et profonde amitié : même quartier, même profession, mêmes activités politiques. Puis il se trouve au Block 19. Il travaille au Kommando du canal puis à l’usine d’armement de la DAW (Deutsche AusrüstungsWerke, société SS).

Le 1er février 1943, son nom est inscrit sur un registre de l’infirmerie (Revier).

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août 1943, Charles Limousin est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues -
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Charles Limousin est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert.

Le 29 août 1944, il est parmi les trente “45000” [2] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “Prominenten” polonais) transférés au KL Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin. Enregistré sous le matricule n° 94287, il est affecté au Kommando de l’usine Heinkel, intégré au camp.

Le 5 février 1945, il arrive – seul “45000” – au KL Buchenwald (matricule 30917) où il a été transféré.

Malade, épuisé, il meurt à l’infirmerie le 30 mars 1945 (inscrit sur le registre des morts – Totenbücher – le 2 avril), après avoir reçu la visite de son ami Raymond Montégut, de Châtellerault (arrivé d’Auschwitz le 23 février avec trois autres “45000”).

Son nom apparaît sur la Liste officielle n° 4.

Le 17 avril 1946, Edgard Validire, rescapé de Buchenwald, rédige une attestation par laquelle il déclare que Charles Limousin est décédé en sa présence « au début d’avril 1945 » (il fait authentifier sa signature à la mairie de Châtellerault le 21 juin suivant). Le 17 juin, Jean Rocher, autre rescapé de Buchenwald, rédige une attestation par laquelle il déclare avoir appris la mort de Charles Limousin « le premier ou deux du mois d’avril mille neuf cent quarante cinq ».

Le 21 juin, à Châtellerault, Marie Limousin remplit un formulaire à en-tête du ministère des Anciens combattants et victimes de la guerre pour demander la régularisation de l’état civil d’un « non-rentré ». Le 8 octobre, le service central de l’état civil du ministère écrit au maire de Châtellerault pour lui demander d’enregistrer la date de décès de Charles Limousin fixée au 2 avril 1945 « à Weimar » – ville la plus proche du KL Buchenwald – , indiquant qu’il sera statué ultérieurement en ce qui concerne la mention « Mort pour la France ».

Le 18 février 1947, Madame Limousin remplit un formulaire de demande d’inscription – au titre de déporté politique – de la mention « Mort pour la France » sur l’acte de décès de son mari. Le préfet de la Vienne émet un avis favorable le 12 juin 1947. Le 11 août, le ministère des Anciens combattants et victimes de guerre entérine la décision et écrit au maire de Châtellerault pour lui demander de procéder à cette inscription dans les registres d’état civil.

Le nom de Charles Limousin est inscrit sur la plaque apposée dans le hall de la mairie en « Hommage aux victimes de la guerre 1939-1945 de la commune de Châtellerault ».

Le 25 mars 1952, Marie Limousin remplit un formulaire de demande d’attribution du titre de déporté résistant au nom de son mari auprès du ministère des ACVG. Elle joindra à son dossier une attestation du liquidateur du Front national selon laquelle son mari a été homologué dans la Résistance intérieure française (RIF) au grade fictif d’adjudant pour des services reconnus du 1er octobre 1940 à sa mort, consistant en « recrutement de patriotes, diffusion de tracts anti allemands, organisation de dépôts d’armes pour la Résistance ». Le 24 avril 1953, la commission départementale d’attribution du ministère siégeant à Poitiers émet un avis négatif, suivie le 26 février 1954 par un rejet du ministère qui délivre un titre de déporté politique, prenant en compte une période d’internement du 23 juin au 7 juillet 1942 ; « Il résulte du dossier que l’intéressé ne remplit pas les conditions exigées par les dispositions combinées des articles R.286 & R.287 du Code des Pensions ». Le 18 mars, sa veuve reçoit la carte n° 1.109.10006.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. n° 114 du 17-05-2008).

Notes :

[1] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est défini le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré par la Wehrmacht et réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich”. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[2] Les trente d’Auschwitz vers Sachso (ordre des matricules, noms de G à P) : Georges Gourdon (45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung (45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux (45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais (45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin (45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté (45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean (45976) et Germain Pierron (45985).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 348 et 349, 379 et 411.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Deux-Sèvres et de la Vienne (2001), citant : Témoignage de plusieurs rescapés : Maurice Rideau (lettre du 6-11-1979), Marcel Couradeau, qui l’a revu à Sachsenhausen en décembre1944 ou janvier 1945, Raymond Montégut – Correspondances de Raymond Jamain (9-1972 et 1989) et d’Émile Lecointre (23-2-1989).
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 524.
- Site Mémorial GenWeb, 86-Châtellerault, relevé de Monique Ingé (2006).
- Direction des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier de Charles Limousin (21 P 478 949) consulté par Ginette Petiot (message 12-2015).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 8-12-2015)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.