© Collection Aurélien Gachon.

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Émile Lehmann naît le 18 janvier 1895 à Paris 13e (75), fils de Charles Jacques Lehmann, natif du Haut-Rhin, 50 ans, couvreur, et d’Émilie Louise Pelletier, sa seconde épouse, 31 ans, journalière, domiciliés au 8, rue du Tage.

 Le 16 janvier 1904, sa mère, devenue brocheuse, décède à l’âge de 40 ans au domicile familial, alors au 73, rue Jeanne-d’Arc ; Émile a tout juste 9 ans. Le 8 juillet 1911, son père se remarie avec Léonie Désirée Avenelle, 44 ans, confectionneuse, vivant déjà avec lui. Mais, le 13 septembre 1912, celle-ci décède à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière. Le 13 avril 1913, son père, devenu marchand ambulant, trois fois veuf, décède à l’âge de 69 ans en son domicile (déclaration de Louise Lehmann, femme Mavie, 27 ans, sa fille) ; âgé de 18 ans, Émile devient pupille de l’Assistance publique de la Seine.

Après son apprentissage, Émile Lehmann est embauché comme fumiste à la Compagnie générale de construction de fours (CGCF), rue de la Grange-aux-Belles à Montrouge (Seine / Hauts-de-Seine).

Au moment de son “conseil de révision” (classe 1915), il habite à Ardentes (Indre) ; peut-être dans la famille de sa mère.

Le 10 ou 20 septembre 1915, Émile Lehmann est incorporé au 4e régiment d’infanterie. Le 1er février 1916, il « part aux armées ». Le 17 juin suivant, en première ligne à la Haute Chevauchée, cote 285, il est déclaré malade, ayant contracté une bronchite « imputable aux opérations militaires du front. » Le 23 juillet 1917, il passe au 3e R.I. Le 18 octobre suivant, il est affecté comme élève mitrailleur à l’école de tir aérien de Cazeaux (ETAC), au bord d’un lac près d’Arcachon (Gironde). Le 2 janvier 1918, il passe à l’école d’aviation militaire du Crotoy (Somme), puis, le 2 mars, à l’école (?) de Cernon (Marne ?). Le 23 avril, il retourne au 3e R.I. Le 14 septembre 1919, mis en congé de démobilisation, titulaire d’un “certificat de bonne conduite”, il se retire au 16, passage National à Paris 13e.

Il a une fille, Éliane, née le 18 mars 1928 à Paris 10e.

Le 5 octobre 1931, Émile Lehmann entre au service de la municipalité de Colombes [1] (Seine / Hauts-de-Seine) en qualité de paveur auxiliaire. Il sera titularisé en 1937.

En janvier 1932, il habite au 13 ou 14, avenue Andréa Ségard, à Colombes.

À partir d’avril 1935 et jusqu’au moment de son arrestation, Émile Lehmann est domicilié au 15 bis, rue Clara-Lemoine à Colombes. En 1936, il vit avec Léontine Marie Faure, née le 2 mai 1906 à Saint-Pardoux-la-Rivière (Dordogne).

Il adhère au Parti communiste à la suite de l’élection d’une municipalité PC à la tête de la commune en 1935, militant au sein de la section locale « jusqu’à la dissolution des organisations relevant de la IIIe Internationale », selon la police. Il est également membre de la CGT.

Le 28 novembre 1939 à Colombes, Émile Lehmann épouse Léontine Marie Faure.

Resté militant communiste dans l’illégalité, il refuse de partir en zone Sud (Dordogne) où sa famille, alsacienne d’origine, est installée.

Après son arrestation (en juillet 1943), les Renseignements Généraux diront de lui  : « Dans son entourage, Lehmann ne fait l’objet d’aucune remarque particulière. Il est considéré comme un ouvrier moyen, assidu au travail, et il n’aurait plus attiré l’attention au point de vue politique depuis la dissolution du parti communiste ».

Le 25 juin 1941, Émile Lehmann est arrêté à son domicile par la services du commissariat de police de la circonscription de Colombes. Le même jour, 92 militants ouvriers sont arrêtés dans le département de la Seine. Émile Lehmann est « interné administrativement par arrêté de M. le Préfet de Police, en date du 26 juin 1941, en application du décret du du 18 novembre 1939, à la demande du Commissariat de police de la circonscription de Colombes, qui le soupçonnait, en raison de son activité antérieure, de se livrer à la propagande communiste clandestine. Il a été ensuite, sur leur demande, mis à la disposition des Autorités Allemandes… » [3] à l’Hôtel Matignon. Il apparaît clairement qu’Emmanuel Lehmann n’a été inscrit sur une liste d’arrestations par le commissaire de Colombes qu’au motif d’un vague soupçon (un vieux fichier d’adhérents ?), probablement afin de remplir un quota.

Les hommes arrêtés sont transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Enregistré sous le matricule n° 280 et assigné au bâtiment A2, Émile Lehmann fait partie des militants qui inaugurent ce camp de police.

Le 23 août, Léontine Lehmann écrit au préfet de police pour demander la mise en liberté de son mari, en son nom et en celui de sa fille, expliquant : « … l’an dernier, mon mari a écrit au maire de Colombes qu’il reniait pour toujours la IIIe Internationale. Au reste, mon mari avait depuis plusieurs années rompu toutes relations avec les communistes ». Le 2 septembre, le chef du 1er bureau du cabinet du préfet de police écrit au commissaire de police de Colombes pour lui demander de « faire connaître à l’intéressée que sa demande ne peut être favorablement accueillie dans les circonstances actuelles ». Le 5 septembre, Madame Lehmann signe ce courrier avec la mention « Reçu communication ».

En octobre, un “blanc” des RG indique interné « À la demande [du commissaire de Colombes] duquel il était connu comme un élément actif de la propagande clandestine communiste ».

D’autres notes le désigneront comme un « meneur particulièrement actif ».

Le 5 mai 1942, le directeur des affaires départementales de la préfecture de la Seine, en charge du personnel communal à la sous-direction des communes, écrit au préfet de police, service des affaires de Sûreté générale, pour le questionner sur les faits qui ont motivé l’incarcération d’Émile Lehmann, « paveur communal », en vue d’examiner sa situation administrative. Le 28 mai, une note interne de RG indique que celui-ci a été interné « à la demande du Commissaire de police de la circonscription de Colombes qui le considérait comme un élément actif de la propagande clandestine communiste ». Le 8 juin, sans faire mention de l’intervention du commissaire, l’administration de la préfecture de police répond à celle de la Seine qu’Émile Lehmann a été interné « parce que considéré comme un élément actif de la propagande clandestine communiste à Colombes ».

Entre fin avril et fin juin 1942, Émile Lehmann est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Durant le trajet en France, Émile Lehmann lance un message depuis son wagon annonçant son départ « pour une destination inconnue ».

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Émile Lehman est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46246, selon les listes reconstituées (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Émile Lehmann.

 

Il meurt à Auschwitz le 21 septembre 1942, l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Au printemps 1943, Léontine Lehmann écrit directement au maréchal Pétain pour lui signaler l’arrestation de son mari et solliciter une mesure de grâce en sa faveur. Le 29 mars, la délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés – faisant une erreur de destinataire ! – écrit au préfet du Pas-de-Calais, à Arras, afin de connaître les motifs de l’arrestation d’Émile Lehmann et si ce sont les autorités allemandes ou françaises qui l’ont effectuée. Le 3 avril, la préfecture du Pas-de-Calais transmet la demande d’informations au préfet de police, à Paris. C’est à cette occasion que l’on voit paraître, dans un rapport des RG du 29 avril 1943, une version explicite des motifs «… [le] Commissaire […] le soupçonnait, en raison de son activité antérieure, de se livrer à la propagande communiste clandestine ». Néanmoins, dans un rapport du 25 juillet, le « Commissaire » – individu responsable – devient le « Commissariat » – institution abstraite. Entre temps, le 7 mai, le directeur de cabinet du préfet a répondu au chef du secrétariat particulier du maréchal de France, chef de l’État que « le nommé Lehmann Émile […] a été interné administrativement en tant que suspect de se livrer à la propagande communiste clandestine et mis ensuite à la disposition des autorités allemandes, sur leur demande ». Début août, une note du directeur-adjoint chargé de la sous-direction administrative du cabinet du préfet indique « qu’il n’est pas possible d’émettre un avis sur la libération du nommé Lehmann, celui-ci ayant été pris en charge par les Autorités allemandes ».

Déclaré “Mort pour la France” (25-9-1950), Émile Lehmann est homologué comme “Déporté politique”.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 21-06-1994).

Notes :

[1] Colombes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Dossier de Brinon : ancien journaliste et “ultra” de la collaboration, Fernand (de) Brinon était Délégué général du gouvernement de Vichy auprès des autorités militaires allemandes d’occupation. Quand des requêtes étaient formulées par les familles des détenus auprès de l’administration française, la Délégation générale les transmettait à la Commission d’armistice (bipartite), après enquête de la police ou de la gendarmerie pour s’assurer des conditions d’arrestation et de l’honorabilité du détenu. Une lettre était ensuite adressée aux familles sous couvert de l’organisme qui en avait fait la demande : elle leur annonçait que l’intervention avait eu lieu et leur faisait part de la réponse fournie par les autorités allemandes. Ainsi, un très grand nombre de fiches de la Délégation générale portent le nom de “45000” ; surtout après le départ du convoi, le 6 juillet 1942, et l’absence de nouvelles résultant de leur statut particulier. La plupart de ces fiches se trouvent dans les dossiers d’état civil des déportés conservés au BAVCC (anciennement archives du secrétariat d’État aux Anciens Combattants).

[3] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée – au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich – plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht, réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich” et qui ouvre en tant que camp de police. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 381 et 411.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2005), citant : Communication téléphonique avec M. Pinallie, son neveu (4/1992) – Questionnaire rempli par sa fille, Eliane Gachon (6/1993) – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national).
- Archives départementales de Paris, site internet, archives en ligne : extrait du registre des naissances du 13e arrondissement à la date du 18-01-1895 (registre V4E 9508), acte n° 175 (vue 7/31).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “occupation allemande”, liste des internés communistes (BA 2397) ; archives du cabinet du préfet, dossier de Lehmann Émile (1W721-26731).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 : relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 705 (32118/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 6-10-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.