Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Renelde, Constantin, Edmond, Lefebvre naît le 28 janvier 1897 à Gonesse [1]  (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), fils de Camille Lefebvre et de Marie-Louise Auquet.

Le 27 août 1914, à Dunkerque (Nord), âgé de 17 ans et demi, Renelde Lefebvre s’engage volontairement pour la durée de la guerre, rejoignant trois jours plus tard le 23e régiment de dragons. Le 12 novembre 1915, il part “aux armées”. Le 12 février 1917, il passe au 3e régiment de chasseurs d’Afrique (R.C.A.). Le 5 juin suivant, il passe au 4e R.C.A., participant à la campagne d’Orient (?). Le 18 septembre, il est rapatrié pour être hospitalisé (?), retrouvant son affectation au 3e R.C.A. Le 18 avril 1918, il passe au dépôt du 27e régiment de dragons. Le 19 juin, il est de nouveau hospitalisé. Du 2 octobre 1918 au 12 novembre 1919, il fait partie de la “mission tchécoslovaque”. Démobilisé le 5 décembre 1919, il se retire à Aumale (Seine-Inférieure / Seine-Maritime).

Le 24 décembre 1921, à Franconville (Seine-et-Oise), Renelde Lefebvre se marie avec Noëlle Lemercier, née le 7 octobre 1899 à Bethon (Sarthe), institutrice.

En 1924, Renelde Lefebvre est nommé instituteur-adjoint à Saint-Denis [2] (Seine / Seine-Saint-Denis).

Renelde et Noëlle ont un fils, Renelde Noël Émile, né le 9 avril 1925 à Sarcelles (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), où ils sont alors en poste.

En 1934, Renelde père est nommé directeur d’un petit groupe scolaire au 3 boulevard Galliéni à Gennevilliers (Seine / Hauts-de-Seine) [3]. En 1937, il est nommé directeur d’un groupe scolaire du quartier du Bel-Air à Saint-Denis, au 19, route d’Aubervilliers (dénommée rue Danièle Casanova en février 1946), où son épouse est institutrice.

À partir du 1er octobre 1937 et jusqu’au moment de son arrestation, la famille est domiciliée dans un logement de fonction de l’école communale de garçons (aujourd’hui école élémentaire Jules Vallès) au 57, boulevard Jules-Guesde à Saint-Denis, entre l’église Saint-Denis-de-l’Estrée (l’Église Neuve) et le théâtre Gérard Philippe (ancienne salle des fêtes).

À gauche, les écoles de l’avenue Jules-Guesde (alors av. Châteaudun) dans les années 1900. Carte postale coll. Mémoire Vive. Le tramway a aujourd’hui retrouvé son parcours d’antan…

À gauche, les écoles du boulevard Jules-Guesde (alors bd de Châteaudun) dans les années 1900. Carte postale, coll. Mémoire Vive.
Le tramway a aujourd’hui retrouvé son parcours d’antan…

Renelde Lefebvre père est adhérent du Syndicat des Instituteurs, affilié à la Confédération Générale du Travail (CGT), et siège au conseil d’administration de la Ligue dionysienne de l’Enseignement laïque, créée en 1876, reconnue d’utilité publique, et dont le siège social est situé dans l‘école où il loge, association rassemblant 371 membres. Avec quelques propos favorables au Parti communiste, cela lui vaut d’être considéré comme ayant des opinions de gauche.

Mobilisé le 25 mars 1940, il est affecté au DGT 24 au titre de ministère de l’Éducation nationale, Enseignement public, en qualité de directeur des cours techniques de Saint-Denis.

Au début de juillet 1941, son fils de seize ans, Renelde Noël, étudiant au lycée Condorcet, à Paris 9e, quitte furtivement le domicile de ses parents sans faire connaître le motif de son départ, qui est de rejoindre l’armée du général de Gaulle. Cherchant le contact avec un supposé réseau de passeurs à travers la Manche, il gagne seul le village de Fort-Mahon-Plage (Somme) sur la côte d’Opale à soixante kilomètres au sud de Boulogne. Il y fait la connaissance de deux frères venus du Vésinet, Christian (17 ans 1/2) et Guy Richard (15 ans 1/2), dont l’un d’eux est peut-être un ancien condisciple de Condorcet, et dont le père possède deux villas, et de autres deux frères, évacués de Douai, Jean-Paul (17 ans) et Pierre Lavoix (19 ans 1/2), qui venaient auparavant y passer des vacances en famille dans une villa de location en bordure de mer, et qui y sont réfugiés avec leur mère et leurs deux jeunes sœurs (ou trois jeunes frères). Au cours de l’année scolaire 1939-1940, les quatre garçons poursuivent leurs études dans le cours secondaire ouvert par l’Université de Lille à Fort-Mahon. Les frères Lavoix possèdent déjà un grand canoë “canadien” en bois récupéré sur la plage en juin 1940 et avec lequel tous s’entraînent, sous les yeux de soldats allemands. Depuis mai 1941, ils ont minutieusement préparé l’équipée qu’ils projettent – Christian Lavoix, notamment, qui veut s’engager dans la Marine : conditions de navigation, équipement et ravitaillement. Fin juillet, Renelde fils – dès lors appelé “Reynold” – rencontre Christian Richard et se joint à eux, apportant un fusil Lebel et 45 cartouches pris dans un dépôt d’armes allemand, et un canoë très abîmé qu’il a acheté sur place et qu’ils réparent ensemble (goudronnage) dans la cour de la villa occupée par la famille Lavoix. Après avoir logé chez une femme fréquentant de trop près les soldats allemands, Reynold s’était installé chez un pêcheur qui avait ensuite menacé de le dénoncer en apprenant son projet. Dès lors, il est recueilli et planqué pendant un mois par les frères Richard, à l’insu de leur père. Il doit abandonner son propre projet de partir rapidement avec un autre jeune quand celui-ci renonce. Le soir du 16 septembre à la nuit tombée, alors que la météo est enfin favorable, les cinq prennent la mer après avoir laissé passer une patrouille allemande, en évitant les postes de guet et en échappant aux vedettes garde-côtes. Après avoir traversé la Manche en deux jours, à la pagaie et à la voile, les deux canoës accostent à marée haute sous les falaises près de la station balnéaire d’Eastbourne (Sussex), où les garçons épuisés sont pris en charge par la police locale.

À marée basse sous les falaises d’Holywell au sud de la ville balnéaire d’Eastbourne, visible à l’arrière plan à droite. Carte postale non datée, collection Mémoire Vive.

À marée basse sous les falaises d’Holywell au sud de la ville balnéaire d’Eastbourne, visible à l’arrière plan à droite.
Carte postale non datée, collection Mémoire Vive.

Le lendemain, 19 septembre, ils sont dirigés sur le centre d’immigration de Patriotic School, dans la banlieue de Londres, où ils sont de nouveau interrogés par des agents du contre-espionnage britannique (MI 5). Le 21, une voiture militaire française vient les chercher pour les conduire auprès du général de Gaulle, dans son bureau de Carlton Garden. Le lendemain 22 septembre, ils rencontrent le Premier ministre britannique sir Winston Churchill et son épouse qui trinquent avec eux au champagne dans les jardins du 10, Downing Street, en présence de reporters photographes et d’un caméraman (British Movietone). Tous les journaux du soir et du lendemain matin relatent leur équipée, photos à l’appui, puis ce sont les magazines (l’américain Life, le 27 octobre). Le reportage tourné lors de la réception est diffusé la semaine suivante aux “actualités” dans les salles de cinéma.

Puis ils sont interviewés dans les studios de la BBC par l’illustrateur et animateur Jean Oberlé. Lors de sa courte intervention, “Reynold” Lefebvre déclare (selon les Renseignements généraux) : « Je m’appelle Renelde, mon père est fonctionnaire et habite la banlieue nord de Paris. Je suis resté en mer pendant trente jours [trente heures, sans doute…] et j’ai pu arriver en Angleterre où j’ai eu une conversation avec M. Churchill. » Le 16 octobre suivant, Radio-Londres diffuse une première fois cet enregistrement dans son émission Les Français parlent aux Français, captée clandestinement en France. Renelde Lefebvre père en prend connaissance par un ami de son fils, lycéen à Condorcet, ainsi que par certains instituteurs de l’école qu’il dirige… Selon une professeure spéciale de chant de son établissement, l’inspecteur primaire de la circonscription de Saint-Denis vient lui-même féliciter les parents pour leur courage et la conduite de leur fils (ce qu’il démentira…). De son côté, Renelde Lefebvre père se confierait au chef du bureau des écoles de la mairie de Saint-Denis : « Je suis heureux de savoir que mon fils est bien arrivé en Angleterre ». Une autre réflexion de sa part serait : « Je préfère le savoir en Angleterre que tombé dans les pattes de Doriot ou des Allemands. »

Écrite à une date inconnue et probablement destinée au maire de Saint-Denis, une première lettre parvient aux services de police (transcription dactylographiée) : « Il nous paraît un devoir de vous donner l’information suivante : Un directeur d’une école de la commune, sympathisant communiste avant la guerre, a un garçon de 17 ans. Depuis le mois de juillet, ce jeune homme est parti de chez ses parents, et encouragé par eux, pour tâcher de partir en Angleterre. Pendant trois mois, il est resté sur la côte française, entretenu par ses parents en attendant l’occasion. La radio anglaise a fait une grosse publicité pour l’arrivée à Londres des collégiens français, dont le fils de ce directeur. Ils ont été reçus par le traitre de Gaulle et le guignol Churchill. Le directeur et sa femme se vantent de ce mauvais coup, et leur gosse est soi-disant un héros. C’est scandaleux et le Maréchal n’a pas donné ces instructions aux éducateurs. Cela fait très mauvais effet, et une pareille claque est un exemple dangereux. Faites une enquête, vous verrez si l’on vous dit la vérité. La présence de ce directeur ne peut continuer à être tolérée à Saint-Denis. Si notre grand Doriot était là, il aurait mis ordre à cela. De plus, malgré que le jeune gaulliste soit part depuis juillet, le père se vante de continuer à toucher sa carte d’alimentation. Il vole le public, lui l’éducateur, et vous pourrez vous en assurer. On espère que vous userez de votre autorité pour faire finir ce scandale. Il y a de pauvres types qu’on fusille en ce moment pour bien moins que cela. Il faut que ce directeur, de mèche avec l’ennemi, quitte Saint-Denis, ou il y aura du vilain dans le coin. Si vous n’agissez pas, le Ministre sera avisé et l’on signalera votre négligence. Salutations. »

Le 20 octobre, une personne anonyme (sans doute la même, vu le style et l’argumentaire) écrit au préfet de la Seine, à l’Hôtel de Ville de Paris, pour dénoncer Renelde Lefebvre père : « … Il est un devoir de vous signaler l’attitude d’un fonctionnaire de Saint-Denis. C’est un directeur d’école qui a un fils de 17 ans. Ce directeur, sympathisant communiste avant la guerre, n’a cessé d’afficher ses sentiments contre le Maréchal. Au mois de juillet, son garçon est parti. Pendant 3 mois, il est resté sur la côte française, entretenu par ses parents, guettant le coup pour filer en Angleterre. Il y a quelques jours, la radio de Londres a annoncé que 5 collégiens étaient arrivés. Ils ont été reçus par de Gaule (sic) et Churchill. Le fils du directeur en question y était, et maintenant les parents vantent le coup du gosse, comme un héros. Dans un coin comme Saint-Denis, c’est très mauvais et il faut agir, car cela va mal. Il faut dire aussi que, malgré que le fils soit parti depuis juillet et qu’il soit en Angleterre, le père toucha la carte d’alimentation et vole le monde. Le maire de Saint-Denis a été avisé. Faites une enquête : tout ceci est vrai. Ce n’est pas ce que le Maréchal a demandé. On le trahit. Avec espoir, Monsieur le Préfet, que vous ferez cesser ce scandale. Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, mes sentiments respectueux. (signature illisible) »

Dès le 29 octobre, la mairie de Saint-Denis retire à ses parents les titres d’alimentation (carte J3) de Renelde Noël.

La 2e section des brigades spéciales (BS) des Renseignements généraux de la préfecture de police engage une enquête au terme de laquelle il apparaît que « cette affaire est connue des notabilités de Saint-Denis, du corps enseignant et plus particulièrement des collaborateurs immédiat du directeur d’école ».

Le 13 novembre, les inspecteurs de la BS effectuent au domicile familial ainsi que dans le bureau du directeur des perquisitions qui se révèlent infructueuses.

Le policier qui rédige le rapport daté du 22 novembre semble minimiser les intentions que lui prête le ou les dénonciateurs : « … M. Lefebvre, qui semble maladroit en parole, a déclaré à quelques personnes de son entourage que son fils était un héros et qu’il était heureux de le savoir en vie et en Angleterre. Mais toutefois qu’il n’approuvait pas son geste ». Interrogés par les RG, ses trois “collaborateurs” sont « d’accord pour reconnaître que M. Et Mme Lefebvre ont été très affectés par l’aventure de leur fils et que, depuis, la santé de Mme Lefebvre serait très précaire, celle-ci étant atteint d’anémie cérébrale. Ils déclarent en outre que M. Lefebvre, bien qu’animé de sentiments “gaullistes”, n’a pas fait œuvre de propagande militante dans l’école, où il se tient sur une prudente réserve au point de vue politique, quelques-uns de ses subordonnés étant membres ou sympathisant du “Parti Populaire Français”. Considéré comme un bon directeur au point de vue pédagogique, il a, en sa qualité, toujours appliqué jusqu’ici les directives du Maréchal, affichant les affiches officielles dans toutes les classes et commentant à ses élèves les discours du Chef de l´État Français. » Cependant, interrogé par les policiers, Renelde Lefebvre admet avoir retiré en mairie les cartes et tickets d’alimentation de son fils pour les trois derniers mois, afin de masquer l’absence de celui-ci, brûlant les tickets d’août et septembre (il a rendu les titres d’octobre).

Le 31 janvier 1942, un rapport des RG consacré à son fils résume : « … il n’apparaît pas que M. Lefebvre père ait encouragé ou provoqué le départ de son fils, au contraire, il en a été affecté. » Ceux qui connaissent son fils « voient en lui un garçon impulsif »..

L’administration française n’engage ensuite aucune poursuite contre le directeur d’école, que ce soit sous la forme d’une procédure judiciaire ou d’un internement administratif.

Le 28 avril 1942, Renelde Lefebvre est arrêté à son domicile lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine – avec le concours de la police française – et visant majoritairement des militants du Parti communiste. Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Renelde Lefebvre est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny.. Prévenue, sa femme accompagne la colonne depuis le camp jusqu’à la gare. Renelde Lefebvre l’encourage en criant : « Chérie, attends-moi, je reviendrai. » Les hommes sont entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Renelde Lefebvre est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45759 ou le 45761, selon les listes reconstituées (les photos des détenus portant ces matricules n’ont pas été retrouvées).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Renelde Lefebvre.

Il meurt à Auschwitz le 9 août 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; un mois après l’arrivée de son convoi [5].

Début 1943, un proche de Renelde Lefebvre père – son épouse probablement – effectue une démarche auprès d’une haute autorité française afin d’obtenir de ses nouvelles. De Brinon, ambassadeur de France, Délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, demande au préfet de police de lui transmettre des renseignements sur les motifs de l’arrestation du directeur d’école. Les inspecteurs des Renseignements généraux estiment que la raison probable en est le départ de son fils en Angleterre pour rejoindre les Forces françaises libres. Le même cycle de question-réponse a lieu à la fin du printemps 1944.

Le 26 jan­vier 1945, lors de l’offensive de la 1re division de marche d’infanterie contre la Poche de Colmar et des durs combats dans les bois d’Elsenheim, où le jeune sous-lieutenant Reynold Lefebvre (19 ans 1/2) maintient le moral de ses hommes sous les tirs meurtriers de l’artillerie allemande, il est mortellement blessé au ventre par l’éclat d’un obus de “88”. Il succombe le lendemain à l’an­tenne chirurgicale de Thanvillé (Bas-Rhin). Après avoir été inhumé provisoirement dans un cimetière militaire du Bas-Rhin, le corps de Reynold Lefebvre repose au cimetière de Saint-Denis, sous une dalle surmontée de la Croix de Lorraine.

Noëlle Lefebvre ne peut survivre à la disparition de son mari et de son fils. Un matin, ses voisins, étonnés de ne pas l’entendre, poussent sa porte et la trouvent morte, assise à sa table devant leurs photographies.

Après la guerre, une plaque commémorative au nom de Renelde Lefebvre père est apposée à l’école de Saint-Denis où il enseignait, route d’Aubervilliers /rue Danièle Casanova.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 9-04-1994).

Le 28 août 1960, à Fort-Mahon-Plage, une stèle est inaugurée par le Préfet de la Somme : « Traversée héroïque de la Manche par cinq enfants de Fort-Mahon – 16 septembre 1941 – En hommage à Reynold Lefebvre et à ses quatre compagnons ».

Notes :

[1] Gonesse : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Saint-Denis : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert effectif en 1968)..

[3] L’école du boulevard Galliéni de Gennevilliers est aujourd’hui transformée en salles municipales accessibles à la location pour les habitants et les associations.

[4] En octobre, le plus âgé des cinq, Pierre Lavoix, s’engage dans les Forces navales françaises libres. Les quatre autres rejoignent l’école des Cadets, d’abord au Malvern College, puis au manoir de Ribbesford, dans le Worcestershire. Reynold Lefebvre suit d’abord le peloton préparatoire pendant six mois et sort finalement de l’école au grade d’aspirant, dans la promotion Fezzan-Tunisie, dont les vingt-sept sortants reçoivent leur nouveau galon des mains du général de Gaulle en mai 1943. Comme la plupart des nouveaux promus, il est alors dirigé sur l’Afrique du Nord où se rassemble le Corps expéditionnaire fran­çais qui se prépare à participer à la Campagne d’Italie. Débarqué au cap Bon en Tunisie, il est incorporé à la 1re Division Française Libre le 1er octobre suivant et affecté au 11e bataillon de marche (BM XI) de la 2e brigade. Il finira par commander la section d’engins (mitrailleuses et mortiers) de la 7e compagnie du bataillon. Il participe à toutes les opérations militaires d’Italie, à la libération de Toulon et aux avancées de Belfort. En Italie, Reynold Lefebvre se distingue particulièrement le 17 mai 1944, au cours de l’attaque de Casa Chiaia (?), un des verrous de Pontecorvo (bataille du Gariglianio, une fois rompue la Ligne Gustav) : blessé par un éclat de grenade et évacué vers l’arrière, il « s’évade » de l’hôpital pour rejoindre son bataillon avec un pansement sur le crâne. C’est à Bolsena, dans le Latium (près du lac où eurent lieu de durs combats), qu’il apprend la disparition de son père en déportation. Le 26 sep­tembre, il s’élance à la tête de sa section lors de l’attaque de Lomontot (hameau de la commune de Lomont, Haute-Saône, 26 km à l’ouest de Belfort ?).

[5] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, lesservices français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Renelde Lefebvre, c’est le 15 novembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 11, 64 et 65, 127 et 128, 386 et 410.
- Cl. Cardon-Hamet, notice in 60e anniversaire du départ du convoi des 45000, brochure répertoriant les “45000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, page 41, citant : Pierre Douzenel, de Saint-Denis.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : dossier individuel des RG (77 W 139-112635).
- Death Books from Auschwitz, Remnants
, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 704 (31394/1942).
- Association du Souvenir des Cadets de la France Libre, Traversée de la Manche en canoë les 16-18 septembre 1941, compilation des différents récits publiés, septembre 2017, fichier pdf de 71 pages. http://ekladata.com/ZZ13fW7mPTtbma0ny5Fofz4CrFA/B01_La-traversee_12-recits-1-.pdf
- Site francaislibres.net
- Magazine Life, pages 16 et 18 : https://books.google.fr/books?id=jU4EAAAAMBAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=true
- YouTube, Mr Churchill welcomes French boys, British Movietone, ajoutée le 21 juil. 2015 : https://www.youtube.com/watch?v=4G7bZzVglfA

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 14-02-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.