Droits réservés.

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Marcel Le Dret naît le 22 mai 1897 au Havre (Seine-Maritime [1] – 76), chez ses parents, Christophe Le Dret, 29 ans, marin, et Anne Guillou, 22 ans, son épouse, domiciliés au 41, quai de Saône. Son nom est parfois orthographié « Ledret » par erreur.

De la classe 1917, il est mobilisé au cours de la Première Guerre mondiale, matricule 4262 au registre du bureau de recrutement militaire de la subdivision de Brest. Mais, suite à un quiproquo, il est également inscrit au bureau du Havre. Appelé à l’activité militaire le 10 janvier 1916 dans le 28e régiment d’infanterie, il manque à l’appel et est déclaré insoumis le 17 mars. Ce n’est que le 12 février 1926 qu’il est rayé des contrôles de l’insoumission pour avoir « fait l’objet d’une double inscription ».

Le 23 août 1923, au Havre, Marcel Le Dret se marie avec Jeanne Mahé, née le 24 juillet 1900 à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Ils ont cinq enfants : Jean, né le 25 juillet 1923, Marcel Aimé, dit “Mémé”, né le 24 août 1925, tous deux au Havre, ensuite René, né le 9 octobre 1928, Marc, né le 12 juin 1930, et Micheline, née le 3 août 1940, tous trois à Grand-Quevilly (76), au sud-ouest de l’agglomération de Rouen, dans la boucle de la Seine.

Au moment de son arrestation, Marcel Le Dret est domicilié au 226, rue Alfred-de-Musset, à Grand-Quevilly.

Marcel Le Dret est métallurgiste aux Chantiers de Normandie à Grand-Quevilly.

Les Chantiers de Normandie (date de prise de vue inconnue). Recueil de photographies offert par les militants de Seine-Inf. à Maurice Thorez pour son cinquantième anniversaire (1950). Archives municipales d’Ivry-sur-Seine, fonds Thorez-Vermeersch, don des héritiers. Tous droits réservés.     Les Chantiers de Normandie (date de prise de vue inconnue).     Recueil de photographies offert par les militants de Seine-Inférieure à Maurice Thorez pour son cinquantième anniversaire (1950).     Archives municipales d’Ivry-sur-Seine, fonds Thorez-Vermeersch, don des héritiers. Tous droits réservés.

Les Chantiers de Normandie (date de prise de vue inconnue).
Recueil de photographies offert par les militants de Seine-Inférieure à Maurice Thorez pour son cinquantième anniversaire (1950).
Archives municipales d’Ivry-sur-Seine, fonds Thorez-Vermeersch, don des héritiers. Tous droits réservés.

Membre du Parti communiste, dirigeant la cellule de son entreprise aux côtés d’Eugène Vauchel, Marcel Le Dret est l’un des dirigeants du Syndicat des Métaux dans sa ville.

Un congrès des Métaux en 1938. Marcel Le Dret est le deuxième dans la rangée de droite en partant du bas. © Collection Marc Le Dret.

Un congrès des Métaux en 1938. Marcel Le Dret est le deuxième dans la rangée de droite en partant du bas.
© Collection Marc Le Dret.

Après les grèves de 1936, il est licencié, puis finalement réintégré.

Au premier plan, Marcel Le Dret portant drapeau au cours d’une manifestation. © Collection Marc Le Dret.

Au premier plan, Marcel Le Dret portant drapeau au cours d’une manifestation.
© Collection Marc Le Dret.

Sa famille est proche de celle de Louis Jouvin : Pierre Jouvin joue avec leurs garçons, Madame Ledret fera traduire pour Yvonne les lettres de Louis Jouvin arrivant d’Auschwitz à partir de l’été 1943.

Le 10 novembre 1939, le commissaire de police de Grand-Quevilly adresse au préfet de la Seine-Inférieure un rapport sur les menées communistes dans les principales usines de première catégorie. Pour les Chantiers de Normandie, il désigne Désiré Marchand et Marcel Le Dret – mobilisés dans leur entreprise comme “affectés spéciaux” – comme ouvriers présumés communistes.

Le 14 décembre suivant, Marcel Le Dret est arrêté sur dénonciation pour distribution de tracts aux Chantiers de Normandie. Il est écroué, mais la procédure judiciaire se clôt par un non lieu, « les témoins à charge s’étant rétractés ».

Sous l’occupation, il est employé en qualité de charpentier par les autorités allemandes à Boos, au sud-est de Rouen, où se trouve un aérodrome.

Le 3 octobre 1940, il fait l’objet d’une notice individuelle établie par le commissariat central de Caen, qui note : « Élément suspect à tous égard. À surveiller ».

Le 31 mars 1941, un inspecteur principal adresse au commissaire divisionnaire de police spéciale de Rouen un rapport sur l’ « Activité communiste dans le canton de Grand-Couronne », selon lequel ce parti, « un des plus importants et des mieux organisés n’a de cesse, malgré sa dissolution, son son activité clandestine dans les localités de Petit-Quevilly, Grand-Quevilly, Petit-Couronne et Grand-Couronne ». Parmi les éléments communistes désignés, un chapitre concerne Marcel Le Dret : « Il quitte son domicile le matin de très bonne heure et rentre chez lui très tard le soir, ce qui lui permet de pouvoir faire sa propagande par tracts en changeant très souvent son itinéraire de parcours… ». L’analyse de l’activité clandestine se conclu ainsi : « …les éléments communistes du parti dissous s’emploient par tous les moyens et sous toutes les formes clandestines à entraver l’action gouvernementale du maréchal Pétain. C’est ainsi que les chefs de l’ancien parti ont le mot d’ordre de faire une propagande “Degaulliste” [sic] en la développant sous des formes ou des actes les plus divers ».

Le 4 août suivant, répondant à une note du préfet de Seine-Inférieure datée du 22 juillet, le commissaire principal de police spéciale de Rouen transmet à celui-ci une liste nominative de 159 militants et militantes communistes de son secteur dont il préconise de prononcer l’internement administratif dans uncamp de séjour surveillé, tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et « par tous les moyens ». Parmi eux, Marcel Le Dret…

En octobre 1941, son fils Jean s’engage comme travailleur volontaire en Allemagne.

Le 22 octobre, Marcel Le Dret est arrêté lors de la grande rafle des adhérents communistes et syndicalistes de l’agglomération rouennaise [2].

À une date restant à préciser, il est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule n° 1894.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

 Depuis ce camp, il écrit trente-cinq lettres à sa famille.

D’après une signature portée sur un menu du repas de Noël 1941, Marcel Le Dret serait alors assigné au bâtiment A2, chambre 8, avec Émile Billoquet, Jean Binard, Michel Bouchard, Honoré Brieu, Albert Champin, Émile Fromentin et Julien Villette. Lors de ce réveillon, il chante en breton dans la chorale, faisant bien rire ses camarades.

Entre fin avril et fin juin 1942, Marcel Le Dret est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Marcel Le Dret est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 45757, selon les listes reconstituées.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marcel Le Dret.

Il meurt à Auschwitz le 3 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Après le départ de son mari pour Compiègne, Jeanne Le Dret a élevé ses trois plus jeunes enfants avec l’aide de son second fils, “Mémé” – l’ainé, Jean, ayant été contraint de partir en Allemagne pour le service du travail obligatoire (STO). Après la déportation du père, la famille a continué à militer, participant à diverses actions et manifestations et actions, et à se battre contre l’occupant, cachant une arme derrière une armoire, accrochée au mur, et, occasionnellement, des explosifs dans le four de la cuisinière.

Le 24 août 1943, jour anniversaire de ses 18 ans, Mémé Le Dret prévoit de rejoindre son copain Albert Lacour, “Bébert”, au maquis de Barneville dans l’Eure, avec une jeune camarade communiste de Grand-Quevilly, Mireille, fille de Maurice Guillot, militant communiste déporté à Auschwitz. Quand ils arrivent près du bois de la Fromagerie, les forces d’occupation y sont rassemblées pour donner l’assaut. Les jeunes gens échappent in extremis à la souricière en se faisant passer pour un couple d’amoureux passant par hasard. Albert Lacour sera tué le jour même dans les combats. En 1944, Mémé Le Dret s’engagera dans le Bataillon de Normandie. Il décédera en 1957, à 32 ans.

Son frère Marc, né en 1930, épousera Véronique, fille de Roland Tihi, résistant FFI. Il décédera le 31 mai 1988.

À Grand-Quevilly, le nom de Marcel Le Dret est inscrit parmi les morts en déportation sous la plaque de la rue des Martyrs de la Résistance.

© Photo de Marc Le Dret, petit-fils de Marcel Le Dret.

© Photo de Marc Le Dret, petit-fils de Marcel Le Dret.

Marcel Le Dret est homologué comme “Déporté politique” (26-6-1963, carte n° 1176 0020).

Jeanne Le Dret, sa veuve, décède en janvier 1994.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Marcel Le Dret (J.O. du 9-04-1994).

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste). Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire A, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. En effet, tous les hommes appréhendés furent remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941. 44 des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.

(*) 150 selon “30 ans de luttes“, brochure éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.

[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

 

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 375 et 410.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Seine-Maritime (2000), citant : listes établies par Louis Jouvin (45697), du Grand-Quevilly – Liste établie par la CGT, p. 6 – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen – Mairie du Petit-Quevilly : acte de décès n° 37 ; registre 54, dossier n° 34696 (18 /3/1947).
- Louis Eudier 45523), listes à la fin de son livre Notre combat de classe et de patriotes (1939-1945), imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (2-1973 ?).
- Archives départementales de Seine-Maritime (AD 76), site internet, archives en ligne : registre des naissances du Havre pour le 1er semestre 1897, cote AE 13045, acte n° 1724 (vue 444/624) ; registre matricule du recrutement militaire, bureau du Havre, classe 1917 (cote 1 R 3425), matricule 2118.
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946 (cote à vérifier, 51 W…), recherches conduites avec Catherine Voranger.
- Catherine Voranger, petit-fille de Louis Jouvin : témoignage de Pierre Jouvin messages (02-2013) ; copie d’un rapport de police ayant été conservé par Louis Jouvin, message (04-2013) ; témoignage de Marc Le Dret, petit-fils de Marcel Le Dret recueilli le 20-11-2015).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 238 (34124/1942), « Dret Le ».

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 18-01-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.