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François Le Bihan naît le 11 janvier 1893 à Bannalec (Finistère – 29), fils de Louis Le Bihan et d’Hélène Braud, son épouse, modestes cultivateurs catholiques.

Après avoir obtenu son certificat d’études à 12 ans et déclaré à sa mère qu’il ne croyait plus en Dieu, il rejoint son frère aîné, militaire affecté à Saint-Germain-en-Laye. Celui-ci le place chez des maraîchers de la région d’Achères avec lesquels il effectue des livraisons de légumes aux Halles de Paris.

Puis, quand il a 18 ans, son frère le fait s’engager dans la marine. François Le Bihan fait ses classes comme radio-électricien, puis est envoyé à Saïgon où il se trouve quand éclate la guerre de 1914. Au cours d’une patrouille en mer dans le Sud-Est asiatique, il est capturé par les Allemands et interné sans doute dans l’une des îles Bismarck (Java). Rapatrié après avoir signé un engagement de ne plus les combattre, il est affecté au fort du Chay, à l’entrée de la Gironde (Royan), comme radio-télégraphiste au cours de l’hiver 1917.

C’est là qu’il rencontre Germaine Jaganet, née le 5 octobre 1899 à Bordeaux et venue habiter chez sa tante après le décès de sa mère en 1914.

Ils se marient en 1918. Leur fille, Marguerite, Marie, Cécile, naît le 10 avril 1919.

Trois mois plus tard, François Le Bihan installe sa famille au Vésinet, en Seine-et-Oise : après sa démobilisation, il cherche du travail en région parisienne. Avec l’appui de sa belle-famille, il est embauché aux établissements Pathé à Chatou, mais est renvoyé dès 1920 pour fait de grève. Ses demandes d’embauches suivantes sont refusées tant qu’il mentionne son précédent employeur.

Racontant avoir été cultivateur depuis sa démobilisation, il est finalement pris à la Compagnie parisienne de distribution d’électricité (CPDE) où il entre le 1er octobre 1919. Il est ouvrier électricien à la sous-station électrique de la rue de Bondy (aujourd’hui rue René-Boulanger), à Paris 10e.

Syndicaliste, membre de la SFIO, il opte pour le Parti communiste après le congrès de Tour et milite très activement au Syndicat CGTU des producteurs d’électricité. En 1926, il est élu à la Commission exécutive de la Fédération CGTU des Services publics et de l’Éclairage jusqu’à sa dissolution en 1939. Il est un des proches de Marcel Paul. En mai 1936, dans Le Producteur d’électricité, il signe un article célébrant la victoire électorale du Front populaire.

Militant au Secours rouge international, il héberge avec son épouse de nombreux responsables communistes étrangers, en séjour ou en transit, dans une chambre réservée de l’appartement familial, au Vésinet jusqu’en 1933, puis square du Vexin à Paris 19e, et enfin, à partir de 1935, au 8, rue Louis-Ganne à Paris 20e, à l’angle de la rue Louis Lumière, Porte de Bagnolet (lors de son enregistrement à Auschwitz, il donnera comme adresse pour contacter ses proches la boulangerie Vermeire au 46, rue de Spontini à Paris 16e).

Cécile, sa fille, obtient son brevet élémentaire à la fin du cours complémentaire, à 16 ans, mais sa mère lui demande d’abandonner son projet de devenir institutrice.

Après une formation de sténodactylo aux cours Pigier et un stage au secrétariat administratif du syndicat CGT de la CDPE, Cécile est prise comme dactylo au Syndicat des métaux, au 80 rue du Faubourg-Saint-Denis, en novembre 1936. C’est là qu’elle rencontre Henry Tanguy, qui vient lui-même d’être appelé par Jean-Pierre Timbaud comme permanent à la commission exécutive du syndicat, responsable des jeunesmétallos. Début janvier 1938, après un premier engagement dans les Brigades internationale en Espagne, le militant chevronné commence à fréquenter la jeune dactylo. Il repart en février comme commissaire politique au bataillon d’instruction puis à la 14e brigade et revient le 13 novembre, avec la plupart des volontaires français (retrait demandé par le gouvernement espagnol).

Quelques mois plus tard, Cécile étant enceinte, ils décident de se marier. La majorité étant fixée à 21 ans à l’époque, François Le Bihan donne son autorisation à sa fille. Les noces ont lieu le 15 avril 1939. Le jeune couple vit quelques mois chez les Le Bihan.

Germaine et Cécile Le Bihan ont adhéré ensemble au Parti communiste le 1er janvier 1938.

À la déclaration de guerre, François Le Bihan a quarante-six ans : il est “affecté spécial” à la CDPE. Son épouse et sa fille rejoignent d’abord Henry Tanguy à Brest, où celui-ci est mobilisé, puis reviennent à Paris après la naissance de la fille de Cécile, Françoise, le 2 novembre 1939.

Le 13 avril 1940, François Le Bihan est arrêté à son domicile comme militant communiste. Jugé et condamné pour « infraction aux décrets Daladier et reconstitution de ligue dissoute », il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).

Le lundi 10 juin, devant l’avancée allemande, Georges Mandel, ministre de l’Intérieur, ordonne l’évacuation de la prison militaire de Paris, originellement celle du Cherche-Midi, dont la Santé, réquisitionnée, est considérée comme une annexe. En début de soirée, Raphaël Manello fait partie des 1559 détenus – prévenus et condamnés – « sortis ce jour » de la Maison d’arrêt  et entassés dans un convoi formé d’autobus réquisitionnés de la STCRP (future RATP) dont les stores sont baissés et les vitres fermées et opacifiées par de la peinture. Ce cortège rejoint celui des 297 prisonniers du Cherche-Midi transportés dans des camions militaires bâchés.

Le 11 juin, la “procession” arrive devant les portes de la prison d’Orléans (Loiret), qui, déjà surpeuplée, ne peut accueillir aucun des prisonniers repliés. Dès lors, deux convois se forment. L’un, de 825 détenus, se dirige vers le camp d’aviation des Groües, proche de la gare orléanaise des Aubrais. L’autre poursuit sa route jusqu’à Vésines, à proximité de Montargis. De là, deux groupes de prisonniers, 904 d’abord, 136 ensuite, rejoignent à pied le camp de Cepoy, dans les bâtiments de l’ancienne verrerie de Montenon. Le samedi 15 juin, ils repartent – devant rejoindre l’autre groupe au camp d’Abord, à l’Est de Bourges (Cher) – à pied, en colonne, suivant le chemin de halage des canaux du Loing puis de Briare ;  première étape, longue de dix-huit kilomètres, Cepoy-Montcresson ; deuxième étape, Montcresson-Briare. Il sont escortés par un détachement de soldats du 51e régiment régional, de tirailleurs marocains et de deux compagnies de gardes mobiles sous la conduite d’un capitaine qui applique à la lettre les ordres reçus : ne laisser personne derrière, le refus de marcher étant considéré comme tentative d’évasion, les soldats peuvent tirer sans faire de sommation (treize exécutions de marcheurs trop épuisés sont répertoriées, mettant en cause les gardes mobiles de Vendôme). Néanmoins, des évasions se produisent déjà sur le trajet. Quand la longue colonne de prisonniers arrive finalement aux environs de Neuvy-sur-Loire, c’est la confusion : les troupes allemandes atteignent le secteur et les ponts permettant de traverser le fleuve ont été détruits. Des gardes désertent et de nombreux prisonniers, livrés à eux-mêmes, s’égaillent dans la nature. Quelques-uns réussissent à passer la Loire. Ceux qui se présentent spontanément dans les gendarmeries sont arrêtés, puis à nouveau internés. Le 21 juin, à l’arrivée finale des évacués au camp de Gurs (Basses-Pyrénées / Pyrénées-Atlantiques), via Bordeaux, l’effectif total est de 1020 détenus sur les 1865 au départ de Paris.

François Le Bihan fait partie de ceux qui se sont échappés. Depuis Sully-sur-Loire, il regagne Paris à pied et rejoint son domicile parisien le 25 juin. Il apprend la mort de sa petit-fille, Françoise, décédée de la diarrhée des nourrissons le 12 juin.Révoqué de son emploi à la CPDE dès son arrestation, François Le Bihan reste quelques mois sans travail. Il accepte la proposition de devenir chauffeur à la Légation commerciale de l’URSS et concierge de l’immeuble du 4, rue du général Appert (16e) avec son épouse. Il suspend alors son activité clandestine.

Le 22 juin 1941 vers dix heures du matin, Marius Magnin, ancien journaliste de L’Humanité, vient lui apprendre que les Allemands attaquent l’URSS. François Le Bihan demande à sa fille Cécile – venue rendre visite à ses parents avec son deuxième enfant, Hélène – de partir immédiatement. Consigné à la légation par les Allemand pendant une dizaine de jours, il refuse de s’enfuir bien que l’immeuble soit peu gardé, craignant pour la vie de son épouse et celle d’une famille de Bessarabie qui y était hébergée en attente de rapatriement.

Il est finalement arrêté comme communiste [1] et conduit dans les jours suivants au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 -Polizeihaftlager). Responsable du bâtiment A3 selon Maurice Hochet, François Le Bihan participe activement à l’organisation communiste clandestine, dont il est l’un des dirigeants.

Entre fin avril et fin juin 1942, François Le Bihan est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, François Le Bihan est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45741, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – François Le Bihan est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Là, il est affecté à la construction des routes, un des Kommandos des plus meurtriers, où il suscite l’admiration de ses compagnons, qui insistent sur sa dignité, sa confiance, et sa générosité.

François Le Bihan meurt à Auschwitz 19 septembre 1942, d’après les registres du camp, alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement gazés [2]). Selon Georges Gourdon : « Il a voulu voir un camarade polonais malade et a dû passer au contrôle. Comme il avait les jambes enflées, il fut sélectionné pour la chambre à gaz. »

François Le Bihan est déclaré « Mort pour la France » et homologué comme « Déporté politique ». Une plaque rappelant sa mémoire a été apposée à son ancien domicile, 8 rue Louis-Ganne à Paris 20e.

Auprès de Henri Tanguy (colonel Rol) – son mari, – sa fille Cécile est agent de liaison dès juillet 1940 des Comités Populaires de la Métallurgie (région Parisienne), des Francs-tireurs et partisans (FTP) de la région parisienne de juillet 1941 à octobre 1942, de la région Anjou-Poitou puis à nouveau de la région parisienne jusqu’en octobre 1943, enfin, après une période de maternité, de l’état-major des FFI de janvier à août 1944..

Sources :
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 150 et 153, 377 et 410.
- Claudine Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Témoignages de sa femme,1972, et de sa fille, 8/1/1989 – Témoignages de Roger Abada, Georges Gourdon et Auguste Monjauvis, rescapés du convoi.
- R. Gaudy, Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 34, page 23, citant : Arch. FNE-CGT – Arch. A. Marty, E VIII – Bibliothèque marxiste de Paris, microfilm bobine 192 – P. Durand, Marcel Paul, Vie d’un « Pitau », Éd. Messidor, 1983 – Les plaques commémoratives des rues de Paris, La Documentation française, 1981, p. 89.
- Maurice Hochet, cité par Gérard Bouaziz, La France torturée, collection l’Enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, pages 262-263, et par Irène Michine, Sol de CompiègneLe Patriote Résistant de février 2007.
- Antoine Porcu, Héroïques, ils étaient communistes, Hachette, 2003, page 70.
- Roger Bourderon, Rol-Tanguy, Tallandier éditions, Paris 2004, (témoignage de Cécile Rol-Tanguy) pages 124-130, 133, 135, 139, 140-141, 145, 171, 174-175.
- Claire Rol-Tanguy (sa petite-fille) et Cécile Rol-Tanguy (sa fille), message 07-2012).
- Jacky Tronel, site internet Criminocorpus, plusieurs articles dont, Le repli de la prison militaire de Paris à Mauzac. Un exode pénitentiaire méconnu, 2002.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 91).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès du camp d’Auschwitz (31809/1942.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 28-06-2016)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] L’ “Aktion Theoderich :

L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. »

Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.

En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), ouvert à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.