Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jean, Honoré, Désiré, Lannoy naît le 5 juin 1892 à Paris 12e arrondissement, au 159 rue de Charenton, fils de Désiré Lannoy, 27 ans, serrurier, et de Marie Leyes, son épouse, 20 ans, pelletière, domiciliés au 27, rue Louis-Braille.

Jean Lannoy travaille dans les champs à partir de l’âge de treize ans et apprend à conduire les chevaux, les bœufs et n’importe quelle machine agricole.Le 29 novembre 1913, il est incorporé comme soldat de deuxième classe au 2e régiment d’infanterie coloniale. Huit mois plus tard, le 1er août 1914, Raymond Poincaré, chef du gouvernement français décrète le début de la mobilisation générale pour le lendemain. Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Le 29 septembre, le conseil de guerre de la 11 région militaire condamne Jean Lannoy à deux mois d’emprisonnement pour rébellion envers les agents de la force publique. Le 1er octobre, le fantassin passe au 1er R.I.C. Le 10 novembre 1915, il manque aux appels, et est porté déserteur quatre jours plus tard. Ayant été arrêté par la gendarmerie et ramené le 26 novembre, il est rayé des contrôles de la désertion. Le 18 janvier 1916, le conseil de guerre de la 10e région le condamne à quatre ans de travaux  publics pour désertion à l’intérieur en temps de guerre. Mais cette peine est suspendue par décision du général commandant de région, et il est élargi de la prison militaire de Rennes (?) et dirigé sur le dépôt du 1er régiment colonial le 29 janvier. Le 18 septembre 1916, Jean Lannoy manque de nouveau aux appels et est porté déserteur après deux jours. Le 26 septembre, ayant été arrêté et ramené au corps par la gendarmerie, il est rayé des contrôles de la désertion. Le 19 décembre, il passe au 2e R.I.C. Le 9 avril 1917, il est de nouveau porté déserteur, mais n’est ramené par la gendarmerie que le 9 octobre suivant. Le 3 février 1918, il est écroué à la prévôté de la 15e division d’infanterie coloniale. Le 7 mars, le conseil de guerre de la 10e région le condamne à cinq ans de travaux publics pour le même motif et, quinze jours plus tard, il est écroué au dépôt de détenus militaires de Collioure (Pyrénées-Orientales). Le 18 août 1918, le conseil de guerre de la 8e région le condamne à cinq ans de travaux  publics pour tentative d’évasion et « bris de prison » (sic). Le général commandant la 10e région révoque les suspensions aux jugements des 18 janvier et 8 décembre 1916. Cependant, Jean Lannoy est amnistié le 29 avril 1921 en application de la loi du 24 octobre 1919.

Entre temps il est également poursuivit par la justice civile… Le 31 décembre 1914, le tribunal de Cherbourg (Manche) le condamne à six mois d’emprisonnement pour vol. Le 7 octobre 1918, le tribunal correctionnel de Briey (Meurthe-et-Moselle – 54) le condamne à huit jours d’emprisonnement pour vol. Le 30 novembre 1918 (?), le tribunal correctionnel de Nancy (54) le condamne par défaut à quinze jours de prison pour vol (le “corps” est avisé). Le 1er mars 1922, la 13e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne par défaut à six mois d’emprisonnement pour abus de confiance.

Le 30 septembre 1922, Jean Lannoy est démobilisé et trouve domicile au 89, rue Rochechouart, à Paris 19e ; sans surprise, le certificat de bonne conduite lui est refusé.

Il est célibataire. Il se déclare comme chiffonnier.

Le 13 mai 1925, le tribunal correctionnel de Meaux (Seine-et-Marne) le condamne à six mois d’emprisonnement pour vol. Le 24 juin suivant, la 13e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne, par jugement contradictoire, à quatre mois d’emprisonnement pour abus de confiance. Le 15 novembre 1926, la cour d’appel de Paris le condamne à huit mois d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction de séjour suite à un jugement du tribunal de Meaux le 6 octobre 1926 pour vol commis le 15 septembre précédent. À une date restant à préciser, la cour d’appel de Paris le condamne à six mois d’emprisonnement suite à un jugement de la 10e chambre correctionnelle de la Seine en date du 29 février 1928 pour vol. Le 1er mars 1929, la 13e chambre correctionnelle le condamne par défaut à dix-huit mois d’emprisonnement pour abus de confiance commis en 1927. Le 8 juillet 1933, la 14e chambre le condamne à trois mois d’emprisonnement pour vol et infraction à interdiction de séjour.

Conséquence probable des poursuites judiciaires qu’il subit, sa vie est très bousculée et il déménage souvent. En janvier 1926, il habite à Barcy, au nord de Meaux. En mai 1930, il est hébergé dans le village d’Écharcon (Seine-et-Oise /  Essonne). En décembre 1931, il donne comme adresse le 208, rue du Château des Rentiers, à Paris 13e, et, en octobre 1934, le 45, rue Mouffetard, à Paris 5e. En janvier 1937, il dit habiter boulevard Jean Jaurès, à Fresnes (Seine / Val-de-Marne). À la fin du mois, on le retrouve au 20, rue Maître Albert, dans le 5e arrondissement.

Le 4 septembre 1939, il est rappelé à l’activité militaire, mais ne rejoint pas son unité : le 24 octobre, il est déclaré comme insoumis.

Au moment de son arrestation, Jean Lannoy est domicilié au 16, rue de Pali-Kao à Paris 20e.

Le 19 septembre 1941, Jean Lannoy est interné administrativement à la demande de la direction de la police judiciaire comme dangereux pour la sécurité publique en raison de ses antécédents : dix condamnations, dont sept pour vol ou complicité, les trois autres pour abus de confiance, infraction à un arrêté d’interdiction de séjour et insoumission. Il est écroué au dépôt de la préfecture de police, assigné à la grande salle.

Le 23 octobre, il écrit au préfet de police afin de solliciter « une place pour aller travailler dans une ferme », demande justifiée par le fait que : « Je n’ai jamais fait parti de politique [sic] Donc je ne vois pas pourquoi je suis consigné parmi eux […] étant seul et indigent, vu que je n’ai personne pour me venir en aide… ».

Le 10 novembre, il est conduit au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne).

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 20 décembre, le directeur de la police judiciaire répond au préfet de police qui l’a sollicité pour avis à la suite du courrier reçu : « … j’estime que Lannoy, délinquant d’habitude, […] ne peut faire l’objet d’aucune mesure de bienveillance ».

Le 22 mai 1942, Jean Lannoy fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
TransportAquarelle
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.Le 8 juillet 1942, Jean Lannoy est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45726 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jean Lannoy est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

En effet, à une date restant à préciser, il est admis au Block 20 de l’hôpital des détenus d’Auschwitz-I.

Jean Lannoy meurt le 19 septembre 1942 à Auschwitz, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [1]). Il a cinquante ans.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 23-03-1994).

Notes :

[1] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 374 et 409.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (liste établie à partir des registres des morts d’Auschwitz ; fichier central des Archives ; son acte de décès a été établi le 1er juillet 1947, mais aucune démarche familiale pour son homologation comme déporté n’a été faite) – Liste partielle du convoi établie par le Musée d’Auschwitz.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 12e arrondissement à la date du 7-06-1892 (V4E 6734), acte n°1446 (vue 22/31).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 0037-24459) ; registre des consignés provisoires au Dépôt, mai 1941-mars 1942 (C C 2-1, n° 646).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 3.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 691 (31941/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 8-01-2015)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.