Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Émile, Paul, Larosière naît le 26 janvier 1922 à Saint-Denis [1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), fils de Paul Larosière, 34 ans, monteur-mécanicien, et Lucie Gouin, 21 ans, son épouse.

Paul Larosière, le père, rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914, et alors passé au 10e régiment d’infanterie, avait été blessé le 20 juillet 1915 aux avant-postes du Bois d’Ailly (Meuse) par un éclat d’obus lui ayant occasionné une plaie pénétrante à la main gauche. À compter du 19 octobre suivant et jusqu’au 19 juillet 1919, il avait été détaché à l’usine Charles Rau, Société des forges et Ateliers de la Fournaise, boulevard Anatole France à Saint-Denis, fabriquant des obus pour le ministère de la Guerre [2]. Démobilisé, il a habité au 29 route de la Révolte à Saint-Denis, ainsi que son épouse.

Émile a un frère cadet, André, né en 1924 à Saint-Denis.

En 1931, la famille habite au 21 rue de Montfort à Bobigny.

Au moment de son arrestation, Émile Larosière habite chez ses parents au 76, rue du Pré-Souverain à Bobigny [1] (93). Il est célibataire (il a vingt ans).

Le 18 novembre 1940, des agent du commissariat de police de la circonscription de Pantin, ayant constaté – « à la suite de surveillances » – qu’Émile Larosière « se réunissait avec des camarades aux Six Routes, à Bobigny, où ils étaient soupçonnés de se livrer à une propagande communiste », décident de procéder à une perquisition à son domicile. Dans son portefeuille, ils trouvent un tract « d’inspiration communiste ». Le 22 novembre, Émile Larosière est remis à la police judiciaire (?). Inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939, il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Quelques militants clandestins seront arrêtés après lui (à vérifier…).

Le lendemain, 23 novembre, la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne à deux mois de prison. Il est libéré à l’expiration de sa peine.Le 22 janvier 1942, la police rédige un projet de notice dont le destinataire ne peut être une autorité française…Le 28 avril suivant, Émile Larosière est arrêté à son domicile lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine – avec le concours de la police française – et visant majoritairement des militants du Parti communiste clandestin ayant précédemment fait l’objet d’une procédure policière ou judiciaire et ayant été libérés, soit après avoir bénéficié d’un non-lieu, d’un acquittement ou d’un sursis, soit après avoir fini de purger une courte peine, parmi lesquels beaucoup de jeunes gens.

Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, Émile Larosière est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Émile Larosière est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45729 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau – Émile Larosière est dans la moitié des membres du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers utilisant certains ouvriers qualifiés.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est admis au Block 20 (maladies contagieuses) de l’hôpital d’Auschwitz-I [3].

Émile Larosière meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après certains registres du camp, alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [4]). Il a 20 ans.

Son nom est inscrit sur la plaque en « hommage aux héros de la résistance », apposée dans le hall de la mairie de Bobigny, parmi dix-huit Balbyniens, dont Pierre Cambouliu, Henri Nozières et Paul Varenne ; plaque située sous une autre dédiée à la mémoire deux employés municipaux de Bobigny, Henri Nozières et Marius Barbier, de Saint-Ouen ; cinq hommes également déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Son père décède le 24 mai 1952 à Paris 13e.

En 1963, sa mère, veuve, dépose une demande de carte définitive de déporté politique.

La mention “mort en déportation” est portée sur les actes de décès d’Émile Larosière (J.O. du ?-1993).

Notes :

[1] Saint-Denis et Bobigny : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] L’usine Charles Rau de Saint-Denis. En 1924, elle est reprise par la Société nouvelle pour l’automobile Amilcar, constructeur de voiturettes de sport et de véhicules de tourisme.

[2] L’hôpital d’Auschwitz : en allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.
Mais les « 31000 » et Charlotte Delbo – qui ont connu l’hôpital de Birkenau – ont utilisé le terme « Revier » : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.

[3] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-Isélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 384 et 409.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : registre de main courante du commissariat de circonscription de Pantin (C B 89-56) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1w 2190-11557).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 693 (31806/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 93-Bobigny, relevé de Frédéric Charlatte (11-2007).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 29-05-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.