Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

André Lanvert naît le 28 janvier 1913 à Grenay ou Bully-Grenay, du nom de la gare SNCF desservant ces deux communes de l’agglomération de Lens (Pas-de-Calais), fils de Gustave Lanvert, 31 ans,  mineur à la Compagnie de Béthune, et Lucienne Durin, 24 ans, son épouse, domiciliés dans la cité n° 5  (tous deux venus du village minier de Bézenet, Allier, seront décédés au moment du mariage de leur fils en 1938). André a, au moins, une sœur, Eugénie, Marie, née le 17 septembre 1908 à Grenay, où la famille habite la cité n° 5, dans le quartier ouest en 1911.

Il est possible que la famille Lanvert ait fui les combats et l’occupation allemande au début de la Première Guerre mondiale.

André Lanvert est employé de bureau. Pendant un temps, il travaille aux usines UNIC de Suresnes [1] (Seine / Hauts-de-Seine) ;  il est un des dirigeants de la cellule d’entreprise du parti communiste.

Le 31 décembre 1938, à la mairie de Charenton (Seine / Val-de-Marne), il se marie avec Jeanne Darmes, née le 14 août 1914 à Paris 12e, dactylographe.

À partir de ce mariage, le couple est domicilié au 17, rue de la Roquette à Paris 11e.

Le 3 mars 1928, à Charenton, sa sœur, Eugénie, Marie, se marie avec René, Louis, Dorot, né le 23 février 1904 à Paris 13e.

« Au début des hostilités », André Lanvert est mobilisé au 150e régiment d’Infanterie. Il n’est pas fait prisonnier. Mais c’est ce qui arrive à son beau-frère, René Dorot qui avait été mobilisé comme soldat de 2e classe à la 22e section de commis et ouvriers d’administration (COA). C’est probablement dans ces circonstances que sa sœur vient habiter chez eux. Elle travaille alors aussi comme employée de bureau.

 Après sa démobilisation, André Lanvert reprend son activité militante. Est-ce alors qu’il travaille aux Entrepôts de Grenelle, rue Bordelaise, à Charenton ?
En décembre 1940, la police française ouvre une enquête à la suite d’une tentative de reconstitution, sous le couvert d’un “Comité Populaire”, d’une cellule communiste aux usines Unic à Suresnes, qui « abouti à l’identification de trois ouvriers de cette entreprise […] inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939, mais laissés en liberté provisoire. Les perquisitions opérées et les enquêtes effectuées lors de cette affaire ont amené la découverte d’un “centre” clandestin d’édition, de confection et de diffusion de tracts, placards et papillons communistes, dont l’activité s’exerçait plus particulièrement dans la région de Charenton, de Maisons-Alfort et d’Alfortville ». Lucien Tourte et Félix Vinet, de Maisons-Alfort, déportés avec André Lanvert, sont arrêtés le 26 décembre. Les perquisitions opérées permettent de saisir un important matériel : « deux machines à ronéotyper, trois machines à écrire, plusieurs stencils ayant servi à la confection de tracts, une centaine de stencils vierges, plusieurs milliers de tracts ronéotypés prêts à être distribués ainsi qu’un stock de papier blanc, de l’encre à ronéotyper et de la peinture noire utilisée pour les inscriptions murales ».Deux jours plus tard, le 28 décembre, André Lanvert est appréhendé par les agents du commissariat de police de la circonscription de Puteaux, en même temps que son épouse et sa sœur Marie. En tout, huit « individus qui avaient pris une part active au fonctionnement de cet organisme clandestin » sont conduits dans les locaux de la préfecture de police (île de la Cité), puis – tous ou certains ? – écroués au Dépôt (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice).
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Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée.
(montage photographique)

Trois jours plus tard, le 29 avril, la 12e chambre du Tribunal correctionnel de la Seine condamne André Lanvert à trois mois de prison, peine couvrant la durée de sa détention préventive. Il est libéré le lendemain, après avoir dû signer une déclaration selon laquelle il désapprouve « formellement l’action communiste clandestine sous toutes ses formes » et s’engage « sur l’honneur à ne [se] livrer dans l’avenir, directement ou par personnes interposées, à aucune activité communiste ».

Il trouve aussitôt un emploi à la scierie Mourer, rue de l’Hérault, à Charenton.

Le 24 octobre, à 7h55, alors qu’André Lanvert est déjà parti à son travail, le commissaire de police du quartier de la Roquette, accompagné de deux gardiens en civil, se rend à son domicile afin d’y effectuer une « minutieuse perquisition », laquelle n’amène la découverte d’aucun « objet suspect ».

Le 28 avril 1942, André Lanvert arrêté une seconde fois, à son domicile, comme otage, lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine – avec le concours de la police française – et visant majoritairement des militants du Parti communiste clandestin ayant été précédemment l’objet de poursuites judiciaires puis relaxés, sans avoir subi de condamnation ou après avoir purgé leur peine. Les hommes arrêtés sont d’abord rassemblés au camp allemand du fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), puis rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le 6 mai suivant, Madame Lanvert, qui n’a aucune nouvelle de son mari depuis cette arrestation, écrit au préfet de police pour lui demander de « restituer à [sa] famille son unique soutien », leur fils d’un an étant malade depuis quatre jours.

Entre fin avril et fin juin 1942, André Lanvert est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne – sur la commune de Margny – et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, André Lanvert est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45734, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – André Lanvert est dans la moitié des membres du convoi qui reste dans ce camp en construction choisi pour mettre en œuvre la “solution finale” (contexte plus meurtrier).

Selon Aimé Oboeuf, de Vincennes, qui le connaît d’avant la guerre, André Lanvert obtient de se faire affecter à un Kommando d’assèchement des marais afin d’obtenir une double ration de pain – pour travail difficile – qu’il peut alors échanger contre des cigarettes dont il ne peut se passer. Mais il s’épuise rapidement, atteint de dysenterie.

André Lanvert meurt à Birkenau, le 13 septembre 1942 d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp [2] ; Aimé Obœuf l’a vu mort.

Le 10 juin 1945, Jeanne Lanvert écrit au « service des déportés politiques » : « Monsieur, Mon mari, déporté politique arrêté chez lui le 28 avril 1942, transféré le 29 à Compiègne, déporté le 6 juillet 42 pour une destination inconnue de moi, ayant toujours été sans nouvelles, serait décédé au camp de Bergenau [sic] au mois d’octobre 42 d’après le récit que m’a fait un de ses camarades qui était parti le même jour de Compiègne et qui était encore avec lui à Bergenau lors de sa mort. Ce Monsieur, Aimé Obœuf, 79 rue de France à Vincennes, de retour depuis 3 semaines, est un camarade de mon mari et je le connais aussi depuis avant la guerre, et son récit sobre, en me disant que mon mari est mort de la dysenterie, ne peut me laisser aucun espoir, puisqu’il affirme l’avoir vu mort et [est] prêt à témoigner au cas où l’on ne trouverait aucune trace.
Je vous serais reconnaissante de bien vouloir me donner les démarches à faire. Je ne sais ce que je dois faire dans ce cas. J’ai un enfant et je travaille. J’habite actuellement chez ma sœur, où vous voudrez bien me répondre : Mme Lanvert, 10 rue de l’Hérault, Charenton (Seine). » Le 26 juin 1945, le chef du 2e bureau de la sous-direction des fichiers et statistique, de la direction de la captivité au ministère des prisonniers, déportés et réfugiés, lui répond que ses services ne possèdent aucun document officiel permettant d’annoncer le décès de son mari. Il lui demande de leur « transmettre les témoignages écrits, signés des déclarants, et légalisés par le commissaire de police ou le maire de la commune, certifiant sur l’honneur le décès de la personne ci-dessus et en relatant les circonstances ».

Le 13 mars 1946, Aimé Oboeuf, de Vincennes, signe une déclaration à en-tête de l’Amicale d’Auschwitz / Fédération nationale des déportés et internés patriotes par laquelle il certifie qu’André Lanvert est décédé au camp d’Auschwitz à la date de ; « fin novembre 1942 ». Le lendemain, 14 mars, Pierre Montjault, de Maisons-Alfort, signe une autre déclaration attestant qu’André Lanvert est décédé « fin novembre 1942 à Birkenau ».

Jeanne Lanvert, décède à Charenton le 8 juin 1946, âgée de seulement de 31 ans. Son fils Gérard, 5 ans, est alors pris en charge par ses oncle et tante, René et Eugénie Marie Dorot, née Lanvert, qui habitent alors toujours au 17, rue de la Roquette. Le 1er octobre suivant, un conseil de famille désigne René Dorot comme tuteur datif de l’enfant mineur.

Le 10 décembre suivant, l’officier de l’état civil au ministère des anciens combattants et victimes de guerre dresse l’acte de décès officiel d’André Lanvert « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus [témoignages de P. Monjault et A. Oboeuf] » présenté le même jour et en fixant la date au 30 novembre 1942.

Le 21 janvier 1948, le ministère demande au maire du 11e arrondissement de faire porter la mention « mort pour la France » en marge de l’acte de décès d’André Lanvert.

Le 24 septembre 1952, René Dorot remplit un formulaire à en-tête du ministère des anciens combattants et victimes de guerre pour demander l’attribution du titre de déporté politique à André Lanvert à titre posthume.

Mais cet oncle décède à Nohanent (Puy-de-Dôme) le 8 juillet 1954. Un deuxième conseil de famille, réuni le 28 septembre suivant, désigne à l’unanimité sa veuve, tante de l’enfant, comme tutrice dative. Celle-ci reprend les démarches administratives. Le 22 août 1956, le ministère des anciens combattants et victimes de la guerre lui envoie la carte de déporté politique n° 1.1012.1534.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès d’André Lanvert  (J.O. du 9-12-1994).
Sources :
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 371 et 409 ; notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier individuel d’André Lanvert (21 P 472 672)., recherches de Ginette Petiot (messages 06-2016 et 01-2017)
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais ; cartons des RG (77w1650), dossier individuel (76382).
- Aimé Oboeuf, entretien réalisé par Claudine Ducastel et Gilbert Lazaroo (4-10-1997), transcription de Renée Joly.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 692 (30372/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 1-01-2017)Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Suresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Concernant André Lanvert, c’est le 30 novembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.