Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Télesphore, Gérard, Lalouette naît le 26 février 1901 à Annay-sous-Lens (Pas-de-Calais – 62), près du canal de la Deûle, sur le Santa Fé, bateau de ses parents, Désiré Lalouette, 33 ans, batelier, et de Joséphine Fichaux, 33 ans, son épouse, domiciliés à Saint-Ghislain (Belgique). Pour la déclaration du nouveau-né à l’état civil, les témoins sont deux autres mariniers…

Pendant un temps, il est domicilié à Douai (Nord – 59).

Télesphore Lalouette est marinier.

À une date et en un lieu restant à préciser, il se marie avec Simone Vroilant. Ils n’ont pas d’enfant.

En 1929, à Dunkerque, il adhère au syndicat unique de la Batellerie (SUB) dès sa création, et y milite aux côtés de Roger Blankaert. Membre du conseil de ce syndicat qui rayonne sur toute la région Nord de la France à partir de son siège de Dunkerque, Lalouette dirige plus particulièrement la section de Chauny (Aisne). Il y mène notamment, en 1933, l’action en faveur des bureaux de tour et pour la réglementation des heures, principaux problèmes corporatifs des mariniers à cette époque.

Bien connu de tous les bateliers artisans, Télesphore Lalouette parvient, par son action, à améliorer les conditions de vie et de travail de tous les navigants. Toujours à la pointe du combat, il se distingue par son courage et son esprit combatif.

Au cours des années 1930, il adhère au Parti communiste, devenant chef de la cellule des bateliers selon la police.

En 1934, le tribunal correctionnel de Cambrai (59) le condamne à quinze jours d’emprisonnement pour entrave à la liberté du travail. Ce qui lui vaut également d’être dégradé de son grade de sergent auquel il avait été nommé pendant son service actif.

Après les négociations des accords Matignon de juin 1936, Lalouette est exclu du SUB par Blankaert et fonde à Douai (Nord), où il s’est établi, une section du syndicat des bateliers artisans (SBA), affiliée à la CGT. Secrétaire général du SBA de Douai, il parvient à grossir les rangs de son organisation, dont les effectifs dépassent, dès 1937, ceux du syndicat concurrent, atteignant près de 1000 adhérents en 1939.

Le 10 mars 1937, Télesphore Lalouette est condamné à 100 francs d’amende et à 1000 francs de dommages-intérêts au bénéfice du colonel de La Roque pour un article publié dans le journal L’Avenir du batelier, dont il est un des rédacteurs.

Au début de la guerre, Lalouette reprend son travail de marinier, mais conserve ses fonctions syndicales et politiques.

Au début de septembre 1939, il prend domicile au 158, avenue des Chantiers à Longueil-Annel (Oise – 60).

Longueil-Annel. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Longueil-Annel. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Au même moment et d’après la police, Télesphore Lalouette exprime publiquement son désaccord contre la signature du pacte germano-soviétique.

Se mettant à la disposition de l’ingénieur des voies navigables à Compiègne, il effectue deux transports en péniche pour l’armée, en remplacement de bateliers mobilisés.

En octobre, non encore mobilisable (« fascicule bleu »), il se propose de remplacer Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste affecté au 3e régiment de Génie à Chauny et qui s’est enfuit vers la Belgique le 4 octobre. Cette mesure exceptionnelle lui est accordée.

Le 26 octobre 1939 à Longueil-Annel, Télesphore Lalouette épouse Marcelle Orget en secondes noces.

À l’été 1940, au début de l’occupation, devenu secrétaire de la section du SBA de Longueil-Annel, Télésphore Lalouette continue de militer ouvertement.

Le 17 octobre 1941, le commissaire de police spécial de Beauvais remet une liste des communistes de l’arrondissement à la Kreiskommandantur. Télésphore Lalouette y est inscrit avec deux autres habitants de Longueuil-Annel.

Le 20 octobre, le batelier est arrêté par la Feldgendarmerie et interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Il y est enregistré sous le matricule n° 1849.

Le camp vu depuis le mirador central. Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”) Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le 19 février, son épouse écrit au préfet de l’Oise pour lui demander d’intervenir afin d’obtenir la libération de son mari. Elle indique que leur maison a été perquisitionné sans que rien de compromettant n’y soit trouvé.

Le 20 février 1942, le chef de la Feldkommandantur 580 à Amiens – contrôlant les départements de la Somme et de l’Oise – insiste auprès du préfet de l’Oise, Paul Vacquier [1], afin que la fiche de chaque interné du Frontstalag 122 pour activité communiste demandées à l’administration préfectorale indique « son activité politique antérieure (très détaillée si possible), ainsi que les raisons qui militent pour ou contre sa prompte libération du camp d’internement ».

Le 10 mars, le préfet de l’Oise écrit au Ministre secrétaire d’État à l’Intérieur pour lui transmettre ses inquiétudes quant à cette demande : « Étant donné que parmi les internés du camp de Compiègne une vingtaine déjà ont été fusillés en représailles d’attentats commis contre les membres de l’armée d’occupation, il est à craindre que ces autorités aient l’intention de se servir de mon avis pour désigner de nouveaux otages parmi ceux pour lesquels j’aurais émis un avis défavorable à la libération. Me référant au procès-verbal de la conférence des préfets régionaux du 4 février 1942, qui précise “qu’en aucun cas les autorités françaises ne doivent, à la demande des autorités allemandes, procéder à des désignations d’otages”, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me donner vos directives sur la suite qu’il convient de réserver à la demande dont je suis saisi… »

Le 24 avril, Paul Vacquier transmet à la Feldkommandantur 580 les notices individuelles des « personnes internées au camp de Compiègne, figurant sur la liste [qui lui a été] communiquée et domiciliées dans le département de l’Oise » qui mentionnent uniquement « des renseignements concernant l’état civil, la parenté et la situation matérielle ». En outre, il demande quelle suite a été réservée aux demandes de libération d’internés français qu’il a présentées dans ses lettres des 14 et 17 avril. Une notice concernant Télesphore Lalouette figurait dans le premier courrier avec le commentaire : « En raison de ce qu’il est revenu à de meilleurs sentiments, pourrait, sans danger pour l’ordre public et la sécurité des troupes allemandes, faire l’objet d’une mesure de libération. »

Le 13 mai, répondant à des directives concernant la désignation d’otages, le préfet de l’Oise demande au chef du gouvernement, ministre secrétaire d’État à l’Intérieur (Laval ?) d’intervenir afin de faire libérer 24 « personnes (…) non susceptibles d’être dangereuses ». Parmi celles-ci, figure Télesphore Lalouette, « ancien communiste très nocif ; mais, en 1939, s’est séparé du Parti et s’est engagé dans l’armée pour désavouer Thorez ».

Enfin, le 29 juin, Paul Vacquier écrit à la Feldkommandantur 580 pour essayer d’obtenir la sortie du Frontstalag 122 de soixante-quatre ressortissants de son département – dont Télesphore Lalouette – au motif « qu’aucun fait matériel d’activité communiste n’a été relevé à leur encontre depuis l’arrivée des forces allemandes dans la région », envisageant la possibilité d’interner certains d’entre eux « dans un camp de concentration français ». Sa démarche ne reçoit pas de réponse.

Le mal est probablement déjà fait : quand elles ont procédé à des arrestations dans l’Oise entre juillet et septembre 1941, les forces d’occupation ne disposaient-elles pas déjà d’informations et d’appréciations transmises par certains services de la police française ? N’en ont-elles pas obtenu d’autres par la suite ? Le préfet craignait la fusillade. Ce sera la déportation.

Entre fin avril et fin juin 1942, Télesphore Lalouette est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Télesphore Lalouette est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45718 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Télesphore Lalouette.

Il meurt à Auschwitz le 15 août 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [2].

À une date restant préciser, le Conseil municipal de Longueil-Annel donne le nom de Télesphore Lalouette à une rue de la commune.

La mention “Mort en déportation” est portée sur les actes de décès (J.O. n° 226 du 29-09-1992).

Notes :

[1] Paul Vacquier, nommé préfet de l’Oise le 22 mai 1940, au début de l’offensive allemande, cherche ensuite à maintenir un semblant de souveraineté française à l’échelon local, ce qui lui vaut son départ le 30 octobre 1942.

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Télesphore Lalouette, c’est le 30 septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 369 et 409.
- Yves Le Maner, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Les Éditions de l’Atelier/Les Éditions Ouvrières, 1990-1997, CD-rom, citant : enquête effectuée par Michèle Vandenbussche, professeur au CES de Grande-Synthe (Nord), grâce au témoignage des parents de Télesphore Lalouette – Jean-Marie Fossier, Nord-Pas-de-Calais, zone interdite, op. cit.
- Message de sa petite-nièce, G. Leveau (01-2009).
- Henri Amouroux, La grande histoire des français sous l’occupation, éditions Robert Laffont, collection Bouquins, page 115 ; l’auteur utilise le deuxième prénom « Gérard ».
- Archives départementales de la Somme, Amiens, correspondance de la préfecture sous l’occupation, cote 26w809.
- Archives départementales de l’Oise, Beauvais : Exécutions d’internés, camp de Royallieu, mesures contre les communistes (33W 8253/1) ; Internement administratif (141w 1162).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 687 (21173/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 21-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.