Orphée, Aristophane, Bias, Journel naît le 6 août 1896 à Allenay (Somme – 80), fils d’Edmond, Léopold, Albert, Journel, 31 ans, limeur en cuivre, conseiller municipal, et de Marie-Céline, Pascaline, Delettre, son épouse, 28 ans, native de Béthencourt-sur-Mer, serrurière (les témoins sont un mouleur en cuivre et un « ouvrier en vis ». Aujourd’hui (2011), il existe encore sur la commune deux usines de décolletage : fabrication de vis, de boulons à partir de barres métalliques.

Lors du recensement de 1911 à Allenay, Orphée, 15 ans, est tourneur en cuivre chez Cagé. Son frère Argus, 21 ans, est mouleur en cuivre chez Morel. La mère n’apparaît plus au foyer, rue Saint-Ault. À 16 ans, Orphée est membre de la Société sportive d’Allenay, dans l’équipe de « balle au tambour » (?).

Le 9 avril 1915, Orphée Journel est mobilisé comme soldat de 2e classe au 120e régiment d’infanterie, qu’il rejoint deux jours plus tard. Le 16 août, il est détaché aux Chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Mais il rentre au dépôt de son régiment le 2 décembre. Le 26 avril 1916, il passe au 77e R.I. Le 19 septembre, il rejoint le 264e R.I., qui monte au front. Le 18 février 1919, il passe au 91e R.I. Le 22 février, il passe au 501e régiment de chars d’assaut. Le 30 août 1919, il est mis en congé illimité de démobilisation et se retire à Allenay, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 25 octobre 1919 à Saint-Quentin-la-Motte-Croix-au-Bailly (80), il épouse Marie, Émilienne, Rachel, Monard. Ils auront huit enfants (cinq sont nés avant juin 1928, et ils seront sept en avril 1932).

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Droits réservés.

De 1926 à 1933, Orphée Journel est élu maire d’Allenay, sur la liste du parti communiste. Au cours de ses mandats, il agrandit le cimetière, aménage la mairie et fait ériger le monument aux morts de la guerre 1914-1918. Ces deux derniers sont inaugurés le 16 avril 1928 en présence du sénateur de la Somme, Amédée Pierrin. Orphée Journel participe également à l’inauguration de la salle des fêtes de l’Union fraternelle des anciens combattants d’Allenay.

En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation du chef de famille, celle-ci habite au lieu dit Le Montois à Cayeux-sur-Mer (80). La police désigne Orphée Journel comme « débitant de boissons », mais la “patronne” est en fait son épouse ; sur la registre de recensement, lui n’est désigné que comme manouvrier (à La Courneuve ?).

Le 23 octobre 1941, Orphée Journel est arrêté comme otage communiste par la Feldgendarmerie [1], parmi trente-et-une personnes – dont deux femmes – de l’arrondissement d’Abbeville. Ces personnes sont conduites à la Kommandantur d’Abbeville où elles sont interrogées. Vingt-six hommes sont conduits à la Maison d’arrêt d’Abbeville où ils passent la nuit dans un atelier gardé par des sentinelles allemandes.

Le 24 octobre, Orphée Journel fait partie des 38 personnes domiciliées dans le département de la Somme qui sont emmenées au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : le « camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Orphée Journel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45695 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [3]).

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Orphée Journel est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Orphée Journel est assigné au Block 4 (chambre n° 1) ; il y est désigné comme tourneur (« Dreher »), probablement affecté à un atelier du camp.
Le 20 juillet 1942, (arrivant du Block 23 ?) il est admis au Block 20 de l’hôpital des détenus d’Auschwitz, celui des maladies contagieuses (le même jour que Marceau Lannoy, mais celui-ci en sort trois jours plus tard).

Le 3 août, Orphée Journel est envoyé à Birkenau, peut-être au Block 7, bâtiment de transit pour la chambre à gaz et fonctionnant comme un “mouroir”.

Chargement des morts et mourants pour les Krematoriums de Birkenau. Dessin de François Reisz, extrait de Témoignages sur Auschwitz, édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz au 4e trimestre 1946.

Chargement des morts et mourants pour les Krematoriums de Birkenau.
Dessin de François Reisz, extrait de Témoignages sur Auschwitz,
édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz au 4e trimestre 1946.

Il meurt le 13 août 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), un peu plus d’un mois après l’arrivée de son convoi. La cause mensongère mentionnée est une « faiblesse des valvules cardiaques » (Herzklappenfehler).

Fin septembre 1947, l’état civil français enregistre la date relevée dans les archives d’Auschwitz.

Après la guerre, à une date restant à préciser, le Conseil municipal d’Allenay donne le nom d’Orphée Journel à la rue de l’Église (rue centrale du village).

Son nom est inscrit sur le monument aux morts d’Allenay, en face du cimetière, et sur celui de Cayeux-sur-Mer, dans le cimetière, à l’entrée.

On y trouve également celui de son fils Guy, Jules, Constant, Journel, né le 12 juin 1928 à Allenay, arrêté le 14 juin 1944 à Cayeux-sur-Mer, mort en déportation.

Orphée Journel est déclaré comme “déporté politique”.

En août 1976, sa veuve habite au 29, rue du Mont-Roti à Cayeux-sur-Mer.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 21-10-1994).

Notes :

[1] Arrestations : dans l’arrondissement d’Abbeville, la Felgendarmerie a opéré « sans accord préalable avec l’autorité française », mais « avec l’assistance de gendarmes français demandés directement dans plusieurs brigades » pour « les résidences externes ».

[2] (De) Brinon : ancien journaliste et “ultra” de la collaboration, Fernand (de) Brinon était Délégué général du gouvernement de Vichy auprès des autorités militaires allemandes d’occupation. Quand des requêtes étaient formulées par les familles des détenus auprès de l’administration française, la Délégation générale les transmettait à la Commission d’armistice (bipartite), après enquête de la police ou de la gendarmerie pour s’assurer des conditions d’arrestation et de l’honorabilité du détenu. Une lettre était ensuite adressée aux familles sous couvert de l’organisme qui en avait fait la demande : elle leur annonçait que l’intervention avait eu lieu et leur faisait part de la réponse fournie par les autorités allemandes. Ainsi, un très grand nombre de fiches de la Délégation générale portent le nom de “45000” ; surtout après le départ du convoi, le 6 juillet 1942, et l’absence de nouvelles résultant de leur statut “NN”. La plupart de ces fiches se trouvent dans les dossiers d’état civil des déportés conservés au BAVCC (anciennement archives du secrétariat d’État aux Anciens Combattants).

[3] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin “Après Auschwitz”, n°21 de mai-juin 1948).

Sources :

- Son nom (orthographié « JOURNALL ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 82, 379 et 408.
- Archives départementales de la Somme, Amiens, site internet du conseil général, archives en ligne : état civil de la commune d’Allenay (2E 18/5), année 1896, acte n°3, vues 118 et 119/149 ; recensement de la population d’Allenay, année 1906, 6M18, vue 6/9 (27, rue Saint-Ault) ; registre des matricules militaires, bureau de recrutement d’Amiens, classe 1916 (cote 1R1100), n° 1199 (deux vues).
- Archives départementales de l’Aisne (AD 02), Laon : dossiers du commissariat régional aux Renseignements généraux, partis politiques des départements voisins : Ardennes, Somme et Oise (970w58).
- Site Les Morts pour la France, Somme.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 520.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) : acte de décès à Auschwitz (20017/1942), pages du registre du Block 20, page du registre du Block 4, page du registre d’appel général avec la liste des morts du 13 août 1942.
- Site Mémorial GenWeb, 80-Allenay et 80-Cayeux-sur-Mer, relevés de François Bronnec (2003).
- Basile Journel, petit-fils d’Orphée Journel (fil de Gilbert), messages 05 et 06-2012.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 11-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.