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IDENTIFICATION INCERTAINE…
Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Jacques, Eugène, Hirtz naît le 17 juillet 1918 à Paris 5e, chez ses parents, Samuel Hirtz, 33 ans, alors sculpteur sur bois, et Sophie Hirtz, son épouse, 29 ans, domiciliés au 32 boulevard Saint-Marcel. Jacques Hirtz est fils unique. N’appartenant à aucun culte, il se considérera comme aryen, bien qu’ayant deux grands-parents juifs.

Lors du recensement de 1926, la famille est domiciliée au 8, rue Sedaine (Paris 11e).

Après 1931 (?), celle-ci emménage dans un bel immeuble au 26 bis, rue Charles-Baudelaire à Paris 12e (face au square Trousseau). En 1932, le père est devenu employé de commerce. En 1936, il travaille pour les Établissements M. Meyer, sis au 30 rue Beaurepaire (Paris 10e), et son épouse est employée par la Maison M. Meyer (sic) au 60 rue de Cléry (Paris 2e). Plus tard (?), ils deviendront marchands de meubles.

La poursuite de ses études amène Jacques Hirtz jusqu’à une licence en Droit.

Le 30 décembre 1935, le bureau central et du personnel du Service d’exploitation des tabacs et allumettes, dépendant du ministère des Finances, écrit à la préfecture de police pour demander si rien ne s’oppose à l’inscription de Jacques Hirtz à un concours de recrutement du personnel de cette administration devant avoir lieu les 24 et 25 février suivants. Le rapport rendu par la direction des renseignements généraux le 27 janvier suivant répond que les renseignements recueilles sur son compte sont favorables.

Le 7 août 1936, le directeur régional des Postes et des télégraphes de Paris écrit à la préfecture de police pour demander de lui transmettre des renseignements sur Jacques Hirtz, qui sollicite un emploi de « surnuméraire » (sic) le 21 septembre précédent.

Puis, le jeune homme sollicite son inscription au concours de stagiaire au sein de la direction des contributions indirectes de la Seine devant avoir lieu les 8 et 9 mars 1937.

Selon une déclaration ultérieure à la police, Jacques Hirtz n’est pas adhérent du Parti communiste, ni à aucune autre organisation politique.

Il fait du camping au sein de l’Union des Amis de la Nature, ou groupement naturiste des Amis de la Nature, affilié à la FSGT. Au cours de parties de camping, il rencontre Victoria Doussavitzky, dite « Doussa », née le 6 décembre 1902 à Pétrograd (Russie). Fin 1937 début 1938, il rencontre également Andrée Parizel, née Suize le 10 janvier 1903 à Paris 3e, comptable à la société Carsol, sise au 4, rue Cheveau-Lagarde (Paris 8e), également membre des Amis de la Nature. Elle est connue de la police pour avoir été arrêtée le 10 septembre 1934, rue Warin, pour vente du journal L’Écho du Combat, organe de la cellule communiste du quartier. Elle était alors membre du 19e rayon de la région Paris-Ville du Parti communiste et de la 19e section du secours rouge international.

Avant-guerre, Jacques Hirtz entre comme comptable à la société Carsol, où travaille Andrée Parizel qui devient sa collègue. Pour s’y rendre, il utilise sans doute la ligne de métro n° 8, en la prenant à la station Ledru-Rollin pour en sortir à la Madeleine.

Le 4 novembre 1938, Jacques Hirtz est incorporé au 25e régiment de tirailleurs algériens afin d’y accomplir son service militaire (renonçant à un sursis datant probablement de son ancien statut d’étudiant). Le 6 décembre suivant, il est affecté au 26e régiment d’infanterie (R.I.). Le 3 mai 1939, il est nommé sergent « de réserve ». Le 1er septembre, la guerre est déclarée. Le 8 septembre, il est admis à l’hôpital de Lunéville, d’où il sort deux semaines plus tard, le 23 septembre, rejoignant le dépôt 204. Le 5 novembre, il passe au 26e R.I., mais, déclaré « inapte à faire campagne », il est affecté à la compagnie de passage du même dépôt. Le 10 février 1940, il passe au 133e régiment d’infanterie de forteresse, considéré dès lors comme étant « aux armées ». Le 1er mars suivant, il est affecté au 348e R.I. Suite à la défaite des armées françaises, l’armistice est signé le 22 juin. Le 13 septembre 1940, la commission de réforme de Clermont-Ferrand réforme temporairement n° 2 Jacques Hirtz pour « séquelles de fracture du gros orteil droit par balle, gêne notoire à la marche (extension douloureuse) ». Le lendemain, il est « renvoyé dans ses foyers ».

Il rentre à Paris, alors que ses parents restent réfugiés en zone libre aux environs de La Bourboule (Puy-de-Dôme).

Jacques Hirtz retrouve son emploi. Le midi, sa collègue Andrée Parizel, dont le mari est prisonnier de guerre en Allemagne et habitant alors le 19e arrondissement, vient souvent déjeuner chez lui.

Il reprend contact avec Doussa, notamment aux Cours Gardiner, sis au 19, boulevard Montmartre (Paris 2e), où il suit des cours de sténographie alors qu’elle y est professeure de langues étrangères.

Ayant sans doute appris qu’au moins une pièce de l’appartement des parents de Jacques Hirtz est disponible, Doussa lui demande d’héberger un ex-membre du Parti communiste « n’ayant plus aucune activité depuis la dissolution » et qui craint néanmoins d’être arrêté, une perquisition, sans résultat, ayant eu lieu à son domicile. Après quelques hésitations, Jacques Hirtz accepte. Fin septembre, le protégé de Doussa se présente chez lui sous l’identité de « Georges Renault » [1]. Celui-ci partage les repas avec son hôte, payant sa cote-part, mais ne lui fait aucune confidence sur sa vie passée. Jacques Hirtz étant absent de chez lui toute la journée, il ignore si son pensionnaire reçoit des visites (par exemple, celle de Doussa). Il interroge d’ailleurs celle-ci pour savoir si l’identité qu’il lui a donnée est bien la sienne, ce qu’elle confirme.

Déjeunant souvent chez Jacques Hirtz, Andrée Parizel est amenée à y rencontrer « Georges », que son ami introduit ainsi : « Je te présente un ami qui doit partir prochainement en zone libre et qui prendra ses repas avec nous jusqu’à son départ ; ne m’en demande pas plus. » Andrée Parizel, qui connaît Doussa depuis leur participation commune aux Amis de la Nature, lui demande lorsqu’elle a l’occasion de la rencontrer : « Ne crains-tu pas que cela attire des ennuis à Jacques ? », et s’entend répondre : « Il n’y a pas de danger. » À une date inconnue, Andrée Parizel participe à une réunion d’anciens membres des Amis de la Nature au cours de laquelle lui est présentée Marguerite Mosca, née Subrini le 7 février 1903 à Ota (Corse). Celle-ci avait été arrêtée le 8 juin précédent dans l’imprimerie Rotophot, sise au 3 et 5, rue Marqfoy (Paris 10e), alors gérée par Marcel Billon et où elle était comptable. Ce jour-là, son patron était pris en flagrant délit d’impression de matériel de propagande communiste clandestine. Tous les employés avaient été envoyés au Dépôt et inculpés d’infraction au décret-loi du 26 septembre 1939. Mais Marguerite Subrini, écrouée ensuite à la prison pour femmes de la Petite Roquette, avait été mise en liberté provisoire le 10 juillet, puis relaxée le lendemain, faute de preuve.

À l’automne, « À la suite de nombreuses surveillances et filatures » (formule stéréotypée ; y a-t-il eu dénonciation ?), deux inspecteurs de la brigade spéciale anticommuniste des Renseignements généraux acquièrent la certitude qu’un individu se livrant à la propagande communiste clandestine loge chez Jacques Hirtz depuis fin septembre. Certains hommes placés en surveillance ne se montrent probablement pas assez discrets et sont repérés par leur proie…

Le jeudi 27 novembre, « Georges », « ne se sentant plus en sécurité », quitte son hôte sans le prévenir ni lui laisser un mot d’adieu.

Le même jour à 18 heures, Andrée Parizel se rend avec son enfant au domicile de Jacques Hirtz et en repart dix minutes plus tard. Puis elle revient à 21 h 45, en compagnie de Marguerite Subrini-Mosca, à la demande celle-ci, afin de vérifier si l’homme hébergé est toujours dans l’appartement. Andrée Parizel monte seule jusque chez son ami pour y trouver porte close et repart avec Marguerite Subrini-Mosca cinq minutes après.

La surveillance policière exercée pendant encore quelques jours aux abords du domicile de Jacques Hirtz ne permettant plus de déceler la présence du clandestin, les inspecteurs de la brigade spéciale décident d’arrêter Jacques Hirtz.

Le 2 décembre 1941, à 9 heures du matin, ils appréhendent le jeune comptable place de la Madeleine (Paris 8e), à proximité de son lieu de travail, où il se rend après avoir retrouvé sa collègue et amie Andrée Parizel. Les inspecteurs les ramènent dans les locaux de la brigade spéciale, à la préfecture de police.

Interrogé, Jacques Hirtz commence à expliquer aux policiers qu’il a connu « Georges Renault » au printemps 1940 alors que, mobilisés, ils étaient en cantonnement en Bourgogne. En septembre, celui-ci serait venu le trouver à son domicile en lui demandant de l’héberger parce qu’il arrivait de la zone libre et ne pouvait pas rentrer chez lui, dans la zone interdite. « Pressé de questions » (!) par les policiers, Jacques Hirtz finit par admettre qu’il hébergeait ce clandestin à la demande de Victoria Doussavitzky.

Les perquisitions opérées aux domiciles respectifs de Jacques Hirtz, Andrée Parizel et Victoria Doussavitzky ne permettent de trouver « aucun document intéressant l’instruction ».

Le 4 décembre, dans les locaux de la BS, lors des confrontations avec Jacques Hirtz puis Andrée Parizel, Victoria Doussavitzky nie absolument avoir sollicité un hébergement pour « Georges Renault » [2]. Et le lendemain, Marguerite Subrini-Mosca, nie avoir demandé si « Georges » était toujours chez Jacques Hirtz.

Jacques Hirtz est écroué au dépôt de la préfecture de police (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité). Le 5 décembre, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif.

Le 17 décembre, un cadre du bureau du préfet écrit en allemand au Commandant du Département de la Seine (état-major d’administration militaire – section politique), pour lui faire connaître que, conformément à ses instructions, il a pris un arrêté d’internement contre deux individus, Jacques Hirtz et julien Potier, au sujet desquels il joint « les renseignements d’usage ».

Le 3 janvier 1942, il fait partie d’un groupe de 50 détenus – 38 internés politiques et 12 “indésirables” (droit commun) – extraits du dépôt et transférés “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé (Vienne). Ils sont conduits en car, sous escorte, jusqu’à la gare d’Austerlitz où les attend un wagon de voyageurs réservé (10 compartiments ; départ 7 h 55 – arrivée 18 h 51).

En mars, un de ses proches sollicite sa libération, qui transite par le préfet de la Vienne… En avril, c’est le ministère de l’Intérieur qui souhaite connaître les raisons de la décisions prises à l’encontre de l’intéressé ainsi que l’avis du préfet de police sur l’opportunité d’une mesure de clémence.

Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jacques Hirtz est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45663, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule a été retrouvée, mais n’a pu être identifiée à ce jour).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp), et leur religion, Jacques Hirtz se déclarant Juif ou israélite (Mosaïch). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jacques Hirtz.

Il meurt à Auschwitz le 30 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Le 19 janvier 1950, le ministère des anciens combattants et victimes de la guerre délivre aux parents de Jacques Hirtz un acte de disparition.

Jacques Hirtz est déclaré “Mort pour la France” et homologué comme “Déporté politique”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. 10-02-1994).

Notes :

1] « Georges Renault » est en fait Marius Magnien (1903-1952), rédacteur à L’Humanité avant-guerre, spécialiste de la politique d’Extrême-Orient. Vers 1926, Il aurait suivi les cours de l’École léniniste internationale à Moscou et il s’est marié à Valenton avec une femme née en Russie. En janvier 1943, il prendra la tête de l’association, devenue clandestine, des Amis de l’Union soviétique.

[2] Victoria Doussavitzky , internée à la caserne des Tourelles le 10 décembre 1941, sera déportée à Auschwitz le 22 juin 1942 par le convoi n° 03 au départ de Drancy.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 371 et 395.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Acte de décès du 21 décembre 1962, Mairie du 12e.
- Archives de Paris : registres du recrutement militaire, classe 1938, 4e bureau de la Seine, matricule n° 1693.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : carton “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; classeur inventaire BS1 ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 58-36807) ; dossier de la 1re brigade des renseignements généraux (dite « anticommuniste »), Affaire Hirtz (G B 62).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 98.
- Archives départementales de la Vienne, cote 109W75 (camp de Rouillé).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 452 (38153/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 20-05-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.