Extrait d’une photo de famille ci-dessous. © Jean Louis Pechin.

Extrait d’une photo de famille ci-dessous. © Jean Louis Pechin.

Paul, Jules, Pierre, Hardy naît le 26 mai 1907 au Havre (Seine-Maritime [1] – 76), fils de Paul Hardy, 53 ans, négociant, et de Pauline Retout, 37 ans, alors non mariés (leur mariage sera contracté le 28 février 1913). Elle-même – veuve d’un premier mariage avec Eugène Marie (décédé à 30 ans le 8 août 1902) – a déjà une fille, Marthe, née le 10 septembre 1894, au Havre. Malgré leur différence d’âge, les deux enfants se considèrent comme frère et sœur.
Date inconnue. © Jean Louis Pechin.

Date inconnue. © Jean Louis Pechin.

Le 29 avril 1916, au Havre, sa sœur Marthe se marie avec Clément Sonnet, 23 ans, charron, mobilisé depuis son service militaire, en octobre 1913, au 6e régiment de dragons. Celui-ci est tué au combat le 16 juillet 1918 au nord d’Arthy (Marne), laissant une petite orpheline, Renée, née le 6 novembre 1917 au Havre, qu’il n’a pas connue. Le 27 septembre 1926, à Paris 18e, Marthe épouse en secondes noces Charles Pechin, chirurgien. Ensemble, ils ont un premier garçon, Charles, né en 1927.
Le 29 décembre 1928, au Havre, Paul Hardy se marie avec Augustine Forget, née le 13 juin 1909 au Havre. Ils auront une fille, Lilianne, née le 23 août 1934 à Courbevoie [2] (Hauts-de-Seine – 92). Trois semaines plus tôt, sa sœur aura mis au monde son deuxième fils : Jean Louis.

Augustine, Lilianne et Paul Hardy en 1935 ; extrait d’une série de quatre photos dont celles ci-dessous © Jean Louis Pechin.

Augustine, Lilianne et Paul Hardy en 1935 ; extrait d’une série de quatre photos dont celles ci-dessous © Jean Louis Pechin.

Au moment de son arrestation, Paul Hardy est domicilié avec sa famille, dont sa belle-mère malade, au 22, rue Danton à Courbevoie.

Paul Hardy est mécanicien (régleur, ajusteur) ; à partir de 1934 et jusqu’au moment de son arrestation, il travaille à la Société Cadum, 5 boulevard de la Mission-Marchand à Courbevoie. Son épouse est employée dans la même entreprise.

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Carte postale non datée. Impression lithographique à Bruxelles.
Coll. Mémoire Vive.

Adhérent au Syndicat général ouvrier des industries chimiques de la région parisienne, membre de sa commission exécutive, Paul Hardy est secrétaire de la section syndicale de son entreprise à partir de 1936 et délégué du personnel l’année suivante. Il est également adhérent au Parti communiste.

Au cours des vacances d’été en 1936, le docteur Charles Pechin, chirurgien au Havre, emmène sa famille et celle de Paul dans sa résidence secondaire de Vincelles (Yonne).

De gauche à droite : Paul Hardy, Pauline, sa mère, placée derrière le premier fils de Marthe, puis Renée, fille de Marthe, avec son petit frère Jean Louis, Marthe Pechin, soeur de Paul, Augustine Hardy, avec sa fille Lilianne. © Jean Louis Pechin.

De gauche à droite : Paul Hardy, Pauline, sa mère, placée derrière Charles, le premier fils de Marthe, puis Renée, fille de Marthe, avec son petit frère Jean Louis, Marthe Pechin, soeur de Paul, Augustine Hardy, avec sa fille Lilianne. © Jean Louis Pechin.

Le même jour. De gauche à droite : au premier rang (marches du bas), Augustine Hardy et sa fille Lilianne, Jean Louis Pechin et sa mère Marthe, le premier fils de celle-ci ; au deuxième rang, Pauline Hardy, Paul Hardy, Renée Pechin. © Jean Louis Pechin.

Le même jour. De gauche à droite : au premier rang (marches du bas), Augustine Hardy et sa fille Lilianne, Jean Louis Pechin et sa mère Marthe, Charles, le premier fils de celle-ci ; au deuxième rang, Pauline Hardy, Paul Hardy, Renée. © Jean Louis Pechin.

Syndicaliste, Paul Hardy est délégué du personnel de son entreprise à partir de 1937.

Le 26 août 1939, à la veille de la déclaration de guerre, étant de la classe 1927, il est rappelé sous les drapeaux. Au bout de treize mois, il est officiellement démobilisé le 3 septembre 1940.

La police française (RG) considère Paul Hardy alors comme un « meneur très actif », qui aurait été secrétaire de la cellule de son entreprise. Ultérieurement, Paul Hardy déclarera n’avoir jamais appartenu au Parti communiste. Son absence de Courbevoie pour cause de mobilisation, c’est-à-dire son empêchement d’y militer, ne sont absolument pas pris en compte. Tout juste est-il rentré du service armé, que son domicile est perquisitionné par la police française, sans résultat.

Quelques jours plus tard, le 9 décembre 1940, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif, en application du décret du 18 novembre 1939, modifié par la loi du 3 septembre 1940. Paul Hardy est arrêté le jour même pour être conduit au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Val-d’Oise – 95), créé au début du mois d’octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre. Paul Hardy est assigné à la chambre n° 41.

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Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan,
le pavillon qui fut transformé en camp d’internement.
Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Début décembre, Augustine Hardy écrit au préfet de la Seine afin de solliciter un complément d’enquête pour son mari, en certifiant « qu’il ne s’occupe plus de rien depuis longtemps ». Dès le lendemain, sa demande est transféré à la préfecture de police, qui transmet à son service des renseignements généraux.

Le 2 janvier 1941, Augustine Hardy écrit directement au préfet de police pour solliciter un complément d’enquête. Enregistrée le 4 février, sa demande est transmise aux renseignements généraux quatre jours plus tard.

Le 25 février, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » de Paul Hardy, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, émet un avis défavorable en s’appuyant sur le constat que cet interné « est resté communiste et son internement n’a pas modifié ses opinions », tout en lui reconnaissant une « attitude correcte ».

Les 27 février et 4 mars, Madame Hardy écrit au préfet de Seine-et-Oise pour solliciter une autorisation de visite pour elle et sa fille. Celui-ci lui répond en expliquant que son mari « ayant fait l’objet d’un arrêté de M. le Préfet de Police, ce haut fonctionnaire est seul qualifié pour statuer sur [cette] demande ».

Le 30 mars, Madame Hardy envoie une lettre recommandée au préfet de police pour demander de nouveau un complément d’enquête. En post-scriptum de sa lettre, elle sollicite une autorisation de visite à Aincourt pour elle et sa fille « qui s’ennuie bien de son papa et voudrait bien l’embrasser ». Le 10 avril, Le cabinet du préfet de police écrit au commissaire de Courbevoie pour lui demander de faire connaître à la requérante « que satisfaction ne peut lui être accordé, le règlement du camp interdisant les visites aux détenus ». Sans doute convoquée au commissariat, Augustine Hardy signe cette lettre sous la mention « Pris connaissance ».

Le 9 juin, Madame Hardy écrit au préfet de police pour lui demander « si cela est possible, une révision de dossier sur la personne de [son] mari ». À son courrier, elle joint deux timbres à 0,50 francs dans l’espoir de recevoir une réponse écrite.
Le 26 juillet, Le cabinet du préfet de police écrit au commissaire de Courbevoie pour qu’il fasse connaître à la requérante « que sa demande ne peut être accueillie favorablement dans les circonstances actuelles ». Le 3 août, Augustine Hardy signe au bas de cette lettre sous la mention « Reçu communication et deux timbres ».

Le 4 décembre, Madame Hardy écrit au préfet de police pour lui demander « si [elle peut] espérer la prochaine libération de [son] mari ». À son courrier, elle joint un timbre à 1 franc… qui ne lui sera pas retourné. Le 22 décembre, la délégation du gouvernement français dans les territoires occupés (ministère de Brinon) s’adresse au préfet de police afin que celui-ci lui fasse « connaître les raisons des mesures prises à l’égard de l’intéressé et [son] avis motivé sur l’opportunité de sa libération. [Son] rapport devant être soumis à la prochaine réunion des services de police anticommuniste, il y a lieu de [lui] faire parvenir sous huitaine ». L’argumentaire de réponse ne change pas, fondé sur le même A.S. : « … Durant plusieurs années, Hardy a été l’un des principaux organisateurs de la cellule communiste des établissements “Bébé Cadum” et, après la dissolution des groupements affiliés à la IIIe Internationale, il a continué à poursuivre son activité. Sa libération ne semble donc pas opportune dans les circonstances actuelles ». Le 5 janvier 1942, Le cabinet du préfet de police écrit au commissaire de Courbevoie pour qu’il fasse connaître à la requérante « qu’une mesure de clémence ne saurait être actuellement envisagée en faveur de M. Hardy ».

Le 11 août, le commissaire spécial commandant le camp transmet un rapport concernant plusieurs détenus dans lequel il donne un avis favorable à la libération de Paul Hardy « jamais puni, attitude correcte ».

Selon une note de la police (RG ?) datée du 18 février 1942, Paul Hardy figure sur une liste de 43 « militants particulièrement convaincus, susceptibles de jouer un rôle important dans l’éventualité d’un mouvement insurrectionnel et pour lesquels le Parti semble décidé à tout mettre en œuvre afin de faciliter leur évasion ».

Le 15 mars, le directeur du camp transmet au préfet de Seine-et-Oise 37 notices sur des détenus devant être exclus des listes d’otages. Paul Hardy est du nombre au motif qu’il « se tient à l’écart de toute activité politique » « au Centre ». Le 26 mars, le directeur signe un avis favorable à sa libération.

Le 5 mai, Paul Hardy fait partie d’un groupe de détenus transférés au “centre de séjour surveillé” de Voves (Eure – 28). Enregistré sous le matricule 398, il n’y reste que cinq jours.

Le 10 mai, il fait partie des 81 internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Paul Hardy est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45654 (sa photo d’immatriculation a été identifiée par comparaison avec des photos de famille conservées par son neveu, Jean Louis Pechin).

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Paul Hardy.

Il meurt à Auschwitz le 2 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp, qui indique pour cause mensongère de sa mort une « insuffisance cardiaque » (Herzmuskelinsuffizienz).

Son nom figure sur la plaque commémorative en Mairie de Courbevoie.

Son nom est également inscrit sur le Monument à la mémoire des habitants de Courbevoie fusillés et morts en déportation en 1939-1945, situé dans le cimetière du RP Cloarec.
Le 15 juin 1946, sur un formulaire à en-tête de la FNDIRP, René Aondetto certifie sur l’honneur que Paul Hardy est décédé au camp d’Auschwitz à la date du… « janvier 1943 », selon ce qu’il croit savoir.

Le 24 septembre suivant, le bureau de l’état civil déportés du ministère des Anciens combattants et victimes de guerre (ACVG) établi un acte officiel de décès fixé au 15 janvier 1943 (c’est-à-dire à la moitié du mois), transcrit au registre la mairie de Courbevoie le 23 octobre. Le 15 janvier 1947, à la mairie de Courbevoie, Augustine Hardy remplit un formulaire de demande d’inscription de la mention « Mort pour la France » sur l’acte de décès de son mari (avis favorable le 20 mars et transcription le 26 juin).

Le 1er février 1953, Madame Hardy remplit un formulaire de demande d’attribution du titre de déporté politique à titre posthume pour son mari. Le ministère des ACVG accorde ce titre le 7 octobre… 1957 (carte n° 1175.12401).

Domiciliée alors à La-Garenne-Colombes, Augustine Hardy est pendant un temps secrétaire du comité local de l’Union des Femmes Françaises (UFF), proche du Parti communiste.

Une fiche de contrôle du ministère des ACVG établie le 6 mai 1968 mentionne la date de décès mentionnée sur l’acte de décès du camp (2-09-1942) ; celui-ci semble être parvenu au ministère, peut-être par le centre de recherches d’Arolsen. Néanmoins, quand le service d’état civil de la mairie de Courbevoie établit un axerait d’acte de décès en février 1970, il est encore fait mention de la date approximative.

Sources :
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 381 et 403.
- Cl. Cardon-Hamet, notice réalisée pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” du nord des Hauts-de-Seine, citant : Archives municipales de Courbevoie – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (avis de décès).
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1w73, 1w74 (révision trimestrielle), 1w76, 1w122 (dossier individuel).
- Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des archives départementales d’Eure-et-Loir.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Appo, site du Pré-Saint-Gervais ; cartons “Occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; cabinet du préfet (1w0512), dossier de Paul Hardy (13.517).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 427 (26832/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 92-Courbevoie, relevé de Francis Libaud (01-2008).
- Jean Louis Pechin, neveu de Paul Hardy, fils de Marthe, la sœur de celui-ci (messages 08-2015, photographies).MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 2-09-2015)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Courbevoie : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).