Collection du Musée de l’Histoire vivante. Montreuil.

Collection du Musée de l’Histoire vivante. Montreuil.

Georges Guichan naît le 9 décembre 1920 à Paris 11e (75), fils d’André Guinchan et de Henriette Blanchard, son épouse, tous deux issus de familles d’expatriés français en Argentine à la fin du 19e siècle et revenus en France. En 1917, son père, artiste-peintre formé aux Beaux-Arts de Buenos-Aires, décide de venir en France pour y trouver du travail. Fils de Français, il est aussitôt naturalisé, mobilisé et envoyé à Salonique, en Grèce, base d’opération des forces alliées d’Orient. En 1919, son régiment participe à l’occupation de la région hongroise qui sera intégrée à la toute nouvelle Yougoslavie par le Traité de Versailles. Démobilisé, il épouse la jeune fille avec laquelle il s’était fiancé en Argentine. Athée par réaction au pouvoir du clergé en Amérique du Sud, il est gagné par les idées révolutionnaires et adhère au Parti communistes vers 1924. Chez lui, il lit quotidiennement L’Humanité.

Georges Guinchan passe son enfance à Rosny-sous-Bois où, de 1927 à 1933, il fréquente l’école communale et noue des amitiés, notamment avec le jeune René Beaulieu qui mourra à Auschwitz.

Rosny-sour-Bois. L’école des garçons et la gare (à gauche) dans les nnées 1930. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Rosny-sour-Bois. L’école des garçons et la gare (à gauche) dans les années 1930.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

De juillet à octobre 1928, en convalescence à la suite d’une double broncho-pneumonie, il séjourne à la Borie de Pagax, lieu-dit de la commune de Flagnac, au bord du Lot entre l’abbaye de Conques et les mines de Decazeville, dans le Rouerge (Aveyron), hameau où est née sa grand-mère maternelle, Julie Altran. Afin de favoriser son intégration, celle-ci le fait baptiser à l’église du village. Mais, au retour, Georges ne fréquentera pas le catéchisme, ses parents l’inscrivant plutôt aux Pionniers, dans le cadre du Secours ouvrier international. Au cours mois d’août 1931 et 1932, ils l’inscrivent aux Vacances populaires enfantines dans un centre installé sur l’île de Ré, qu’il faut alors gagner en bateau.

Pendant un temps, la famille Guinchan habite rue des Quinconces, à Rosny, dans un petit logement aménagé parmi d’autres dans une ancienne maison de maître.

L’école ne réussit pas à Georges, notamment à cause d’interruptions dues à la maladie, et, dès ses quatorze ans, il souhaite travailler avec son père. Par ailleurs, celui-ci le charge d’entretenir la correspondance avec la famille restée en Argentine, dont sa grand-mère paternelle ; il commence à collectionner des timbres du monde entier.

En 1935, âgé de 15 ans, Georges Guichan adhère aux Jeunesses communistes. Un soir par semaine, il suit une école élémentaire du Parti communiste. Le dimanche matin, il participe à la vente à domicile des revues et journaux hebdomadaires. Et, en période électorale, il consacre tout son temps libre au collage d’affiches et aux distributions de tracts, participant à la plupart des meetings.

La même année, il est embauché dans l’entreprise où travaille son père, peintre décorateur. Il l’assiste notamment sur le chantier de la Maison du Danemark à la Cité universitaire de Paris (14e arrondissement), puis dans l’hôtel particulier parisien du directeur de la banque Morgan.

Ayant reçu un vélo d’occasion, il sillonne la banlieue sud-est le week-end avec des amis, notamment les berges de la Marne.

La famille Guinchan suit de très près la guerre civile d’Espagne, d’autant qu’Alfred Blanchard, frère de la mère de Georges, s’est engagé en 1937 dans les Brigades internationales (selon Le Maitron en ligne citant l’AVER, un nommé Alfred Blanchart est affecté comme sergent au Train de combat de la 129e Brigade le 1er octobre 1938). Toute la famille participe aux actions de solidarité.

En 1938 et après plusieurs périodes de chômage, son père se met à son compte en créant une petite entreprise réalisant de grands panneaux peints apposés sur les frontons de cinéma pour annoncer les films. Georges l’assiste alors comme peintre en lettres. Mais les commandes se raréfient, deviennent irrégulières et sont mal payées. Son père devient aigri, autoritaire.

Fin 1938, ses parents se séparent. Georges part avec sa mère pour Reims (Marne). Il aide le nouveau compagnon de celle-ci dans son emploi d’étalagiste et décorateur de vitrines. Mais l’affaire périclite et Georges rentre à Paris où il est hébergé par un oncle et une tante. Cet oncle, David (patronyme à préciser…), d’origine polonaise, parvient à le faire embaucher au Centre de diffusion du livre et de la presse (CDLP), un des organismes de propagande du PCF. Pendant tout le printemps 1939, Georges doit se rendre plusieurs fois par jour dans un bureau de poste afin d’y réceptionner, en provenance de Russie, la version française de L’histoire du parti communiste bolchevique de l’URSS, avant que les volumes soient reconditionnés puis réexpédiés en province. Au début de l’été, les commandes chutent : des rumeurs de guerre circulent…

Au mois de juin, toujours par l’intermédiaire de son oncle et aussi grâce à propre son engagement militant, Georges Guichan obtient un petit emploi en soirée au siège de L’Humanité, remplaçant à la demande le téléphoniste au standard, le coursier auprès des agences de presse ou entre la rédaction et l’imprimerie. Il pourvoit même le journaliste Gabriel Péri, spécialiste de politique étrangère, en journaux (surtout allemands) et en cigarettes. Depuis peu, il habite au 17, rue Douy-Delcupe à Montreuil-sous-Bois [1] (Seine / Seine-Saint-Denis), dans le Bas-Montreuil – probablement chez sa grand-mère -, et rentre chez lui à bicyclette après minuit.

Le soir du 23 août, juste avant de quitter son poste, il passe détacher les feuillets du téléscripteur afin d’apporter les dernières dépêches  au rédacteur en chef de service avant que lui-ci donne le feu vert aux rotativistes de l’imprimerie pour l’édition du journal. « Stupéfaction : d’après une dépêche de l’agence allemande DNB de Berlin, l’Allemagne et l’URSS viennent de conclure un pacte de non-agression et… à Moscou même ! ». Malgré la difficulté de joindre des membres du comité central du PCF, alors en vacances, un article est ajouté approuvant la signature du traité. Dès sa sortie, le quotidien est interdit de parution et les exemplaires sont saisis. La rédaction ne pouvant plus fonctionner, Georges Guinchan perd son emploi.

La guerre ayant été déclarée et se sachant du quatrième contingent de sa classe, il envisage sa mobilisation prochaine et, afin de ne pas être versé dans l’infanterie (les souffrances vécues par les Poilus dans les tranchées sont dans toutes les mémoires), il s’inscrit aux cours par correspondance de l’École spéciale d’aviation de Paris.

Le 28 février, il parvient à se faire embaucher comme ouvrier spécialisé ajusteur aux usines Caudron-Renault de Boulogne-Billancourt [2] (Seine /Hauts-de-Seine), affecté sur une chaîne de fabrication de culasse de moteurs d’avions. Travaillant alors pour la Défense nationale, l’entreprise fonctionne jour et nuit, six jours par semaine (72 h), avec des services de douze heures. Georges Guichan s’y rend en métro. Quelques jours après ses débuts, il apprend que sa mobilisation pour l’armée le maintient à son poste comme « requis civil » (ou affecté spécial ?).

Boulogne-Billancourt, place Jules-Guesde, entrée des usines Renault. Collection Mémoire Vive.

Boulogne-Billancourt, place Jules-Guesde, entrée des usines Renault. Collection Mémoire Vive.

Lors de l’Exode, toujours mobilisé, Georges Guinchan doit rejoindre par ses propres moyens le lieu de repli de son usine à Périgueux (Dordogne). Le 12 juin 1940, il part à bicyclette. Arrivé dans la soirée à Orléans et devant l’impossibilité de franchir la Loire, tellement la route est encombrée, il quitte la ville et dort dans une ferme. Le lendemain, il franchit le fleuve à Meung-sur-Loire. La route est moins encombré, mais il subit le mitraillage des avions italiens. Avant de se rendre en Dordogne, il décide d’aller voir son père, âgé de 44 ans, mobilisé à Bordeaux (Gironde). Il gagne une caserne de Pessac où celui-ci a été affecté. Après négociations et grâce à son statut de mobilisé civil, il obtient d’y entrer. Pendant quelques jours, il partage la vie militaire de son père qui… peint à longueur de journée des tableaux pour les officiers. Fin juin, en raison de l’avancée allemande, la caserne doit être évacuée et Georges décide de rejoindre le groupement Renault à Périgueux (Dordogne).

 En septembre, libéré des obligations militaires, il rentre à Montreuil, chez sa grand-mère, mais ne retournera pas aux usines Renault, qui se mettent rapidement à produire du matériel de guerre pour l’armée d’occupation. Il s’inscrit au chômage. La mairie lui trouve un emploi dans un atelier de fabrication de radiateurs électriques près de chez lui.
Georges Guichan est alors contacté par Roger Jurquet, ancien secrétaire des Jeunesses communistes de Montreuil, et Auguste Gentelet, responsable de la propagande clandestine dans le secteur. Il fait partie d’un groupe formé entre autres de Roger Tessier (déporté avec lui), Roger Delmat, Jankiel Klajman, Otello Tamanini… Ils distribuent des tracts contre le régime de Vichy.Le 20 octobre 1940, avec plusieurs membres de son groupe, Georges Guichan participe à une manifestation devant la mairie de Montreuil, réclamant le rétablissement de la municipalité destituée en février 1940. La Feldgendarmerie intervient et fait évacuer la place de la Mairie sous la menace de deux mitrailleuses.

L’hôtel de ville de Montreuil après-guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel de ville de Montreuil après-guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Ensuite, son groupe célèbre le 23e anniversaire de la Révolution d’octobre en apposant des affichettes et en accrochant des petits drapeaux rouges aux fils électriques. Ils installent une imprimerie chez Roger Tessier, secrétaire du groupe, habitant chez sa mère, au 47 rue des Deux-Communes, dans le Bas-Montreuil. Georges Guinchan transcrit pour celui-ci un organigramme de leur organisation.

Le 7 novembre 1940, des policiers effectuent une perquisition au domicile de Roger Tessier, au cours de laquelle ils trouvent de nombreux documents dont cet organigramme.

Le matin du 10 novembre 1940, Georges Guichan est arrêté en sortant de son domicile par des inspecteurs du commissariat de police de Montreuil, après d’autres membres des Jeunesses communistes clandestines arrêtés la veille ; il est le dernier des neufs militants pris alors dans la même affaire. Mené dans les locaux de la brigade spéciale des renseignements généraux de la préfecture de police, il est « très malmené » lors de son interrogatoire, qui est cependant très bref. Il est ensuite conduit au dépôt de la préfecture de police (la Conciergerie, sous le Palais de Justice). Puis, inculpé d’activités communistes, en infraction au décret du 26-09-1939, il est placé sous mandat de dépôt et écroué en détention préventive à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Isolé de ses camarades dans une cellule sombre et humide, bientôt forcé à la promiscuité avec des détenus de droit commun, cherchant un moyen de s’en évader mentalement, il dessine puis décide d’apprendre une langue étrangère en utilisant une méthode ; l’anglais étant interdit, ce sera l’allemand.

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage. (montage photographique)

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage.
(montage photographique)

Le 5 avril 1941, au “procès des Jeunes communistes de Montreuil”, il est parmi les 14 inculpés qui comparaissent devant la chambre des mineurs (15e) du Tribunal correctionnel de la Seine ; les parents de cinq accusés ont été convoqués comme civilement responsables, dont la mère de Georges Guinchan. Celui-ci est condamné à dix-huit mois d’emprisonnement et 100 francs d’amende, car son écriture a été reconnue sur le schéma d’organisation, ce qui augmente son degré de responsabilité. Lui et Tessier, condamné à la même peine, font appel auprès du procureur de la République.

Le 18 avril, Georges Guinchan est transféré à la Maison d’arrêt de Fresnes [1] (Seine / Val-de-Marne). Presque toujours seul dans une cellule lumineuse et plus décente que celle de la Santé, il peut s’absorber dans les études : au bout de trois mois, il parvient à lire dans le texte Les souffrances du jeune Werther, de Goethe.

La maison d’arrêt de Fresnes après guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La maison d’arrêt de Fresnes après guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 16 juin, la 10e chambre de la cour d’Appel de Paris réduit sa peine à quinze mois. À sa levée d’écrou, quatre mois plus tard, il n’est pas libéré : le 17 octobre, le préfet de police de Paris signe un arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939 et Georges Guichan est conduit dans la grande salle du Dépôt en attendant son transfert dans un camp d’internement.

Le 10 novembre, il fait partie d’un groupe de 58 militants communistes transférés au « centre de séjour surveillé » (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne).

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Dans le camp, en suivant le cours supérieur d’allemand dispensé par deux ou trois détenus alsaciens et lorrains, dont Rudolphe Baum, de Forbach, il poursuit son apprentissage et commence à pouvoir s’exprimer dans cette langue.

Le 25 décembre, Roger Tessier est à son tour interné au camp de Rouillé (la même cour d’Appel avait maintenu la durée de sa peine).

Au cours de l’hiver, Georges Guichan reçoit la visite de sa mère qui lui apporte des denrées rares : chocolat, sucre, sardines…

Le 8 février 1942, Henriette Guinchan écrit au préfet de la Vienne afin de solliciter la libération de son fils, expliquant qu’il « a été entraîné ». Le 13 mars, le préfet de police émet un avis défavorable à cette demande.

Le 7 mars, Roger Jurquet (22 ans), de Montreuil, Gaston Huart (23 ans) et Roland Martin (20 ans) ont été extraits du camp pour être fusillés parmi 40 otages otages en répression de l’exécution d’une sentinelle allemande rue de Tanger à Paris.

Le 18 mars, Georges Guinchan est parmi les treize “jeunes” communistes – dont Roger Tessier – « extraits par les autorités allemandes et transférés, pour des raisons qui n’ont pas été indiquées » au camp de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; tous sont de futurs “45000” sauf André Giraudon, de Bourges, fusillé au Mont-Valérien le 9 mai 1942. Georges Guichan est enregistré à Royallieu sous le matricule 3802.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

 

Il ne semble pas y nouer de contact avec les jeunes communistes de sa banlieue (René Beaulieu est interné dans ce camp le 28 avril).

Le 4 avril, ne recevant plus de ses nouvelles, sa mère écrit au commandant du camp de Rouillé, qui peut seulement l’informer de la réalité du transfert. Le 18 avril, elle écrit à l’administration militaire de Royallieu afin de solliciter un droit de visite. La réponse est rédigée cinq jours plus tard (en allemand) : « le détenu précité n’est pas depuis assez longtemps dans le camp pour y recevoir une visite. Je vous conseille de renouveler votre demande dans 3 mois environ » (soit début juillet…). Depuis décembre, Georges Guinchan n’a reçu aucune visite.

Le 21 avril, le service Vpol 2 du Kommandant von Gross-Paris s’adresse au service V ju du Militärbefehlshaber in Frankreich (MbF) pour lui proposer une liste de trente otages en représailles d’un attentat contre un train de permissionnaires allemands (« SF-Zug 906 ») près de Caen sur la ligne Maastricht-Cherbourg ; parmi les hommes désignés sont inscrits : Georges Guinchan, Jean Berthout, Pierre Bourneix, René Perrotet, André Tollet… (il semble qu’aucun des autres n’ait été fusillé au Mont-Valérien)

Entre fin avril et fin juin 1942, Georges Guichan est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 4 juillet, un millier de détenus sont appelés au bureau central du camp pour vérification d’identité et de motif d’internement ; il n’en fait pas partie et pense alors être épargné. Mais, le lendemain, il est parmi la centaine d’hommes ajoutée au premier groupe. Le lendemain soir, tous sont regroupés à l’écart – dans le secteur C du camp – dans l’attente du départ.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de marchandise de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée. Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Georges Guichan est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46243 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Attendant son tour dans la file des nouveaux concentrationnaires, il aperçoit Armand Schkolnic (38944), un ancien compagnon de chambrée de Rouillé, déporté comme juif le 5 juin 1942, qui lui apprend que la plupart des hommes de son propre convoi sont déjà morts. Après l’enregistrement, la plupart des 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit ; pour ce qui le concerne avec d’autres, Georges Guinchan se rappelle avoir dormi dehors.Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire sur leur état civil et leur profession – au cours duquel Georges Guinchan se déclare peintre -, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. Sous une chaleur torride, il doit transporter des briques pour les maçons civils qui commencent à construire le futur Krematorium II.

Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Georges Guichan est dans la moitié du convoi qui est ramenée à Auschwitz-I après l’appel du soir.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.

Dans un état second lors de la constitution des Kommandos de travail, il ne réagit pas à l’appel des peintres et est affecté au meurtrier Kommandos des couvreurs (Dachdeckerkommando), subissant toutes les intempéries et l’hostilité des détenus d’autres nationalités. Il est assigné au Block 15. Il voit René Beaulieu, son copain de l’école communale, dépérir de dysenterie (déclaré mort le 14 septembre) ; puis bientôt le père de celui-ci, travaillant à ses côtés (déclaré mort le 18 septembre).

Au mois d’août, lors d’une période de repos, Georges Guinchan entre en contact avec un Polonais qui parle allemand, Ryszard Matuszewski, arrivé en juin 1940 dans le premier convoi de déportés pour Auschwitz (matricule n° 60 !). Après l’avoir interrogé, celui-ci le prend en sympathie. Il lui apporte d’abord un supplément de nourriture. Puis, après un test technique, il obtient de le faire affecter comme peintre en lettres à l’atelier de peinture du camp (die Malerei der Bauleitung), où lui-même travaille. En effet, l’ensemble concentrationnaire s’étend et il faut confectionner de nombreux panneaux indicateurs. Georges Guinchan rejoint leur Block d’habitation (n° 4 ?). Moitié par obligation, moitié par choix délibéré, il apprend le polonais. Pris en charge par les membres du Kommando, il reçoit une mixture d’écorce d’arbre, remède efficace contre la dysenterie, une des maladies du camp dont il est atteint et qui l’épuise. Il découvre le point de vue patriotique des Polonais, qui ont vu l’Est de leur pays envahi par l’Armée rouge à la suite du pacte germano-soviétique.  Par le Kapo polonais de l’atelier, il apprend que tous les Français qui se sont déclarés comme peintres ont été envoyés à la fabrique de skis pour peindre en blanc au pistolet, du matin au soir, des skis réquisitionnés dans le Reich pour la campagne d’hiver suivante de la Wehrmacht ; la plupart sont déjà morts, empoisonnés par les émanations toxiques des solvants.

Au cours de l’automne, lors d’un interminable appel du soir, démoralisé sous des bourrasques de neige fondue, il se met spontanément à prier ; ce sentiment religieux ne le quittera plus.

Fin janvier 1943, il apprend l’arrivée d’un convoi de Françaises qui ont eu le courage de chanter La Marseillaise avant d’entrer au camp de femmes de Birkenau, attitude qui revalorise l’image des Français aux yeux des autres détenus.

Après l’hécatombe parmi les “45000” au cours des neuf premiers mois, un petit groupe de survivants se ressoude et se rencontre au Block 4. Au début du printemps 1943, Robert Lambotte, déporté dans le même convoi, met Georges Guichan en contact avec Hermann Langbein, un des dirigeants du Comité international de résistance, fondé par des détenus communistes autrichiens et allemands. Ce dernier lui demande de devenir infirmier au Block 20 des maladies infectieuses du Revier afin de prendre discrètement en charge les détenus français et de leur éviter, dans la mesure de ses moyens, d’être pris dans les sélections des “inaptes au travail” pour la chambre à gaz ; le fait que Georges Guinchan ait appris l’allemand lui permet d’accéder à ce poste. Après avoir passé avec succès un interrogatoire devant le médecin-chef SS Wirths, il est affecté au premier étage, celui des tuberculeux (au rez-de-chaussée, ce sont les malades du typhus…). Il est aidé par l’infirmier autrichien Franz Danimann, André Faudry et André Montagne. Mais ses fonctions au Revier ne sont pas sans conséquences sur sa propre santé : une radiographie montre une tache au poumon droit. Pour le soigner, Hermann Langbein lui fournit un vrai médicament, “organisé” depuis l’infirmerie des SS (du calcium-glucose Sandoz).

Roger Tessier meurt à Auschwitz le 18 mars 1943, après être passé par le Block de chirurgie de l’hôpital d’Auschwitz-I, selon les registres du camp.

Le 4 juillet 1943, comme les autres “politiques” français (essentiellement des “45000” rescapés), Georges Guinchan reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis. Jusque-là, la dernière nouvelle reçut par sa famille était une carte-formulaire en allemand envoyée le 15 juillet 1942 pour informer celle-ci que : « le détenu (Georges Guinchan) a été transféré dans un autre camp pour travailler. Le lieu de destination ne nous est pas connu, de sorte que vous devez attendre des nouvelles ultérieures… ».

Le 13 août, il fait partie des “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) et mis en “quarantaine” au premier étage du Block 11, la prison du camp. Exemptés de travail et d’appel extérieur, ceux-ci sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées.
Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Bientôt, les membres les plus sûrs de l’organisation clandestine apprennent la présence dans les cachots du sous-sol de Hermann Langbein, de Josek Cyrankiewicz, un des dirigeants d’un groupe de Résistance polonaise, et d’un Allemand, Paul, soupçonnés par la Gestapo du camp. Avec notamment Robert Lambotte, Georges Guichamp participe à l’organisation des contacts et de la solidarité avec les trois prisonniers. Ils font notamment connaître la situation de Hermann Langbein, à son chef direct, le médecin-chef SS Wirths, lequel parvient à obtenir sa libération.

Au premier étage du Block 11, Georges Guinchan constitue un groupe de sympathie avec les plus jeunes : Guy Lecrux, Robert Lambotte et André Montagne. Sa connaissance de l’allemand lui vaut d’être le traducteur du courrier des détenus. Lui-même reçoit la première lettre de ses parents après un an et demi de silence.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, les “45000” sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine. Il faut néanmoins l’appui de Hermann Langbein pour que Georges Guinchan retrouve sa place au Revier. Avec le français Charles Gelbart, il est affecté à la chambre des malades de la jaunisse et de la malaria. Lorsque Josek Cyrankiewicz y entre comme malade après sa détention au Block 11, , ils veillent sur sa vie et sa sécurité. Ils lui servent également d’agents de liaison.

Au printemps 1944, Georges Guinchan contracte le typhus qui le rend fiévreux et inconscient plusieurs jours. Il s’est mis sous la protection de Franz Danimann. Cependant, ses amis le font sortir du Block pour échapper à une sélection. Ernst Burger lui permet alors une “convalescence” au Block 4.

En juin, grâce à l’intervention de H. Langbein, il est placé comme secrétaire du SS responsable de l’infirmerie au camp des travailleurs civils (Gemeinschaftlager), proche de la gare d’Auschwitz, où il se rend tous les jours. Georges Guinchan est un Kommando à lui tout seul. Depuis ce poste, il est chargé d’établir des relais avec la Résistance polonaise agissant à l’extérieur du camp, dans la région montagneuse des Beskides, le long de la frontière Tchécoslovaque. Il parvient seulement à dialoguer avec quelques déportés civils russes. Puis, à la suite de l’évasion d’un jeune polonais des cuisines du camp civil, il reste consigné au camp principal.

À la fin de l’été 1944, Georges Guinchan est parmi les trente-six “45000” qui restent à Auschwitz, alors que les autres survivants sont transférés vers d’autres camps. Considéré comme faisant parti du groupe autrichien de résistance, les responsables de celle-ci veulent le mettre à l’abri des transferts d’anciens détenus qui ont commencé.
Fin septembre, afin de remplacer des cadres de la résistance transférés, Ernst Burger le fait affecter comme secrétaire (Blockschreiber) au rez-de-chaussée du Block 7, occupé par des détenus Allemands (Volksdeutschen, Allemands hors du Reich) ; lors des appels, Georges Guinchan est chargé du rapport sur l’effectif des détenus. André Montagne, de Caen, qui parle aussi allemand, assume la même responsabilité au premier étage.

Le 30 décembre 1944, après l’appel du soir, tous les détenus doivent assister à la pendaison de quatre membres du groupe de combat qui ont été trahis lors de leur tentative d’évasion de sortie du camp pour entrer en contact avec les partisans polonais ; parmi ceux-ci, Ernst Burger.

Au moment de l’évacuation des camps d’Auschwitz, Georges Guinchan doit choisir entre se cacher, risquer d’être exterminé comme infirmier avec les malades du Revier ou partir. Dans la nuit du 17 au 18 janvier 1945, il suit les détenus Volksdeutschen de son Block. Il est du nombre des vingt “45000” incorporés dans les colonnes de détenus dirigées sous la neige – d’abord à pied, puis en wagons découverts via Vienne – vers le KL [3] Mauthausen (matricule n° 117 795).

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Mauthausen. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Le 28 ou 29 janvier, Georges Guinchan est parmi les douze “45000 qui sont affectés au sous-camp de Melk, installé dans une caserne. Il travaille d’abord plusieurs semaines dans un grand Kommando chargé du percement de galeries souterraines au pied de la montagne, travaillant au marteau-piqueur, puis rejoint un Kommando de terrassement au bord du Danube.

Le 15 ou 17 avril, le camp est évacué en marche forcée vers le Kommando d’Ebensee, dans la province de Salzbourg, où d’autres usines souterraines sont en cours d’aménagement.

Le 5 mai, redoutant d’être exterminés, les détenus refusent de se rendre dans les tunnels dont les entrées ont été minées par les SS. Le lendemain matin, des soldats du Volksturm ont remplacé les gardiens SS dans les miradors, puis ils disparaissent à leur tour. Enfin, les troupes américaines atteignent le camp. Avec ses compagnons, Georges Guinchan est parmi les derniers “45000” à être libéré. Il demeure sur place une semaine comme aide-infirmier. Le 14 mai, il monte dans un camion de l’armée américaine qui le conduit au centre international de triage de Nuremberg, où après plusieurs contrôles, les rescapés sont regroupés par pays d’origine. Puis, il est conduit en camion à la gare de Würzburg pour y prendre le train.

Le 27 mai 1945, il passe par l’hôtel Lutetia, à l’angle du 45 boulevard Raspail et de la rue de Sèvres, à Paris 6e, où s’étaient installés les états-majors de l’Abwehr et de la Geheime Feldpolizei sous l’occupation, et alors transformé en centre d’accueil des déportés. Sa dentition est « dans un état déplorable ». Une radiographie permet d’observer une tache importante sur son poumon droit.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

Il loge provisoirement chez sa tante Suzanne, domiciliée rue Benoît à Paris (il a appris le décès de sa grand-mère maternelle par un courrier reçu en déportation). Au retour, il a également appris la mort de son oncle David, tué en 1944 dans un maquis.

Le 27 février 1946, en compagnie de Ryszard Matuszewski, retrouvé par hasard à Paris, alors que celui-ci est réfugié dans un camp américain pour personnes déplacées, il se rend en train à Reims (Marne) pour assister au mariage de Guy Lecrux, autre « 45000” rescapé.

Après avoir passé deux mois dans une maison de repos au pied du mont Salève, près de la frontière suisse, il revient à Paris.

Il se laisse convaincre de s’inscrire à l’école spéciale de télégraphie sans fil, par Rudolphe Baum, son ex-compagnon de Rouillé, qui avait réussi à s’évader lors d’un transfert et qu’il a rencontré par hasard dans Paris. S’étant construit un petit récepteur à ondes courtes, Georges Guichan peut capter les cours diffusés par la BBC et se met de lui-même à l’apprentissage de l’anglais.

À la fin de l’année, une consultation à l’Hôtel-Dieu permet de constater que son poumon n’est pas guéri. Au début de l’année 1947, il est pris en charge dans un petit sanatorium installé dans une station de sports d’hiver à Arosa, dans les Grisons, en Suisse alémanique. Il peut dialoguer en allemand avec d’autres pensionnaires, dont un jeune étudiant autrichien en médecine, lui aussi philatéliste. Il suit le cours d’anglais assuré une fois par semaine dans le sana et continue à écouter la BBC sur petit son poste à ondes courtes.

Sa réintégration est entrecoupée pendant six ans de séjours dans des hôpitaux et des sanatoriums, en Suisse, en Allemagne et en France. Il séjourne régulièrement au sanatorium universitaire Jacques Arnaud de Bouffémont (Val-d’Oise). L’appareil digestif détraqué par les médicaments, il fera également des cures régulières à Châtel-Guyon, station thermale du Puy-de-Dôme.

Le 2 juin 1948, Auguste Gentelet signe une attestation certifiant des activités de résistance de Georges Guinchan dans le secteur de Montreuil-Rosny. Étrangement, le certificat d’appartenance à la Résistance intérieure française qui est établi le 22 décembre 1948 par le secrétariat d’État aux forces armées-guerre mentionne que celui-ci appartient à l’organisation de Résistance « isolé » (sic).

En février 1949, Georges Guinchan est en convalescence à la Maison des déportés de la FNDIRP à Arbois (Jura).

Le 30 décembre 1949, la commission de réforme de la Seine le propose pour une pension d’invalidité de 100 % pour tuberculose pulmonaire bilatérale. Pris en charge par l’armée, il est envoyé au sanatorium “Alsace” de Saint-Blasien, en Forêt-Noire, alors en zone française d’occupation. Cet établissement passant ensuite sous l’autorité de la Fondation  universitaire de France, il obtient d’y rester au titre d’étudiant. S’étant fiancé avec Edith, une jeune fille allemande de la ville, âgée de 18 ans, il l’épouse le 28 mars 1950 au consulat de France à Fribourg-en-Brigau. Ils rentrent à Paris dès le lendemain pour emménager dans un petit logement, au 17, rue de Trétaigne, près de la station de métro Jules-Joffrin (Paris 18e).

De 1951 à 1954, parallèlement à un emploi de comptable à mi-temps à l’hebdomadaire La Tribune des Nations, il prépare le diplôme d’État de spécialiste du commerce extérieur, ce qui l’amène à traduire toutes sortes de documents en différentes langues. Pendant un temps, il héberge sa mère.

Le 26 mars 1952, Georges Guinchan remplit un formulaire du ministère des anciens combattants et victimes de guerre (ACVG) pour demander l’attribution du titre de déporté résistant. Le 23 juin 1953, la commission départementale pour le statut des déportés et internés de la Résistance prononce un avis défavorable. Elle est suivie par la commission nationale, puis par le bureau des fichiers de l’état civil déportés du ministère le 16 novembre 1953, lequel rejette la demande au motif qu’« Il résulte du dossier que l’intéressé  ne remplit pas les conditions exigées par les dispositions combinées des articles R.286 & R.287 du Code des Pensions ».  Le bureau accorde à Georges Guinchan le statut de déporté politique et lui envoie la carte n° 1101.08120, qu’il reçoit au sanatorium de Bouffémont.

Ses longs séjours en sanatorium lui font perdre le contact avec de nombreux camarades de déportation.

Cependant, début mai 1955, il participe à un “pèlerinage” organisé par la FNDIRP dans les camps autrichiens, au cours duquel il fait fonction d’interprète. Après la visite de Mauthausen et Melk, il a l’occasion de rencontrer d’anciens camarades autrichiens à Vienne, dont Franz Daniman. Un de ses interlocuteurs lui apprend que Robert Chambeiron, ancien secrétaire de Jean Moulin, cherche du personnel qualifié pour fonder à Vienne un organisme international afin de relancer les échanges commerciaux est-ouest. Georges Guinchan postule et, après un aller-retour à Paris, s’installe, seul, à Vienne le 5 septembre. Il est chargé d’analyser les articles concernant le commerce est-ouest parus dans la presse allemande, suisse et autrichienne. Comme aucun membre de l’institution n’est capable de lire les publications russes dans ce domaine, Georges Guichan se porte volontaire pour apprendre cette langue slave, proche du polonais qu’il a parlé dans les camps. Étant à Vienne, il rencontre, en dehors du travail, Hermann Langbein, alors en difficulté politique sur son poste de secrétaire générale de l’Amicale internationale d’Auschwitz, qu’il a co-fondée.

La guerre froide se durcissant, l’organisme disparaît et le personnel est licencié à la fin de juillet 1956 ; Georges Guinchan lit alors presque couramment le russe.

Après le 4 novembre 1956, date du début de l’intervention militaire soviétique contre la « révolution hongroise » à Budapest, il quitte le Parti communiste.

De retour en France, il doit retourner se faire soigner au sanatorium de Bouffémont, mais il y reste actif malgré les soins médicaux. Chargé de diriger le cercle d’études internationales de l’établissement, il y enseigne l’allemand et l’anglais commercial. En outre, afin d’améliorer ses revenus, il se lance dans la traduction technique, lisant régulièrement des revues de physique nucléaire ou d’électronique. Il traduit également pour l’Office des hyperphospates des documents russes traitant des assolements en URSS. En avril 1957, après avoir reçu pendant trois mois un tout nouveau médicament, il est définitivement guéri, sans en être alors vraiment certain.

Il constate que les postes d’adjoints de direction de services d’exportation qu’on lui propose alors ne lui conviennent pas et décide de changer de carrière. En 1957, il se présente sans préparation au concours d’entrée de l’école d’interprète et de traducteur des Hautes Études commerciales où il est admis pour deux ans d’enseignement : il est étudiant à 38 ans. En plus des cours d’Allemand, il suit un enseignement organisé par le Commissariat à l’énergie atomique de Saclay sur les terminologies française et anglaise dans le domaine nucléaire, une abondante documentation ayant été produite aux États-Unis. Il se spécialise dans la traduction technique et scientifique, dans la perspective de pouvoir travailler chez lui afin de ménager sa santé. Pendant deux ans, il obtient des contrats avec l’ONU, EDF, Le CNRS, le CERN. Mais il ne veut pas seulement faire de la traduction, et le travail en free-lance ne lui convient pas.

À la fin de l’hiver 1958, il répond à une petite annonce et obtient en avril 1959 d’être embauché à la Compagnie de télégraphie sans fil (CSF), où il doit d’abord analyser et résumer en français  des brevets d’inventions américains, anglais et allemands déposés en France par la CSF.

En 1960, Edith, son épouse le quitte. À Noël 1961, en vacances dans la station de ski de Kitzbühel, il fait la connaissance d’une allemande de 38 ans, Rosemarie, qui parle français. Fin septembre 1961, à Palaiseau, où Georges Guinchan possède un appartement, ils se marient. Le 28 décembre 1962, Rose-Marie met au monde leur premier enfant : Georges-Frédéric ; les deux parents sont quarantenaires. Viendront ensuite Birgit, née le 2 mai 1966 à Suresnes, et Yann, né le 5 février 1969 à Saint-Loup (Suisse).

En 1963, ayant scruté les petites annonces et passés plusieurs tests concluants, Georges Guinchan est embauché à Sud-Aviation en qualité d’ingénieur, ayant à fournir de la documentation dans le domaine des transmissions spatiales et de la télémesure pour des appareils embarqués sur des satellites artificiels ou des missiles. Parallèlement, il continue des travaux de traduction technique pour d’autres sociétés, par exemple sur le procédé de télédiffusion SECAM. À la fin des années 1960, le gouvernement français  décide la mise en route de la fusée-lanceur Ariane et Georges Guinchan passe de Sud-Aviation à l’Aérospatiale, où il obtient un contrat de travail à domicile. En décembre 1967, il s’installe avec son épouse et leurs garçons dans un chalet qu’ils viennent d’acheter aux Hôpitaux-Neuf, commune faisant partie de la station hivernale de Métabief (Doubs).

Il termine sa carrière salariée en 1980.

Le 25 janvier 1981, à La Mouthe, par -28°, il prend – avec son épouse et ses fils – le départ d’un marathon de ski de fond jusqu’à l’arrivée à Pontarlier. D’autres courses suivront…

Le 8 avril 1980, Hermann Langbein, domicilié à Vienne, alors secrétaire du Comité international des camps, signe une attestation témoignant des activités de Georges Guichan au sein du groupe de combat d’Auschwitz. Dans ce document il rappelle que, dans un livre dont il est l’auteur – Die Stärkeren. Ein Bericht aus Auschwitz und anderen Konzentrationslagern (Les plus forts. Un rapport sur Auschwitz et les autres camps de concentration) publié en 1949, non traduit -, il a caractérisé celui-ci comme « étant celui qui a bien travaillé pour notre groupe de combat et sur lequel on pouvait compter ». Le 16 avril, Franz Danimann, lui aussi domicilié à Vienne, signe une autre attestation allant dans le même sens.

Le 27 juin suivant, le secrétaire général de l’Union nationale des associations de déportés, internés et familles de disparus (UNADIF) écrit au secrétariat d’État aux anciens combattants, bureau du contentieux, pour connaître la suite qu’il serait possible de réserver à la requête de Georges Guinchan « qui a sollicité la transformation de sa carte de déporté politique en celle de déporté résistant ».

Au printemps 1984, celui-ci est invité à Esbly à une rencontre de familles rosnéennes dont un parent a été déporté à Auschwitz. À cette occasion, il retrouve, entre autres, Madame Baulieu, mère de René, son ami d’enfance, et la sœur d’Albert Rossé, lequel, revenu des camps, est décédé en 1981. Les questions posées l’incitent à écrire sa propre histoire.

En 1985, Hermann Langbein vient lui rendre visite aux Hôpitaux-Neuf.

Georges Guichan poursuit son apprentissage de la langue russe, suivant un cours de recyclage à Lausanne jusqu’à atteindre un niveau lui permettant de lire régulièrement l’hebdomadaire La Pensée russe ainsi qu’une revue philatélique russe. Pendant deux ou trois ans, il donne des cours de russe à Pontarlier.

Selon sa propre formulation, il participe « à la rédaction d’un ouvrage collectif sous la direction de Claudine Cardon-Hamet ».

En 2000, à l’occasion de ses 80 ans, Georges Guinchan achève la rédaction son livre autobiographique Aide-toi, le Ciel t’aidera, qu’il désigne comme son « devoir de mémoire ». Ce titre indique clairement sa foi religieuse. Dans l’avant-dernier chapitre, intitulé L’ange gardien, réfléchissant au rapport des hommes à Dieu, il écrit : « Toute ma vie en témoigne. Grâce à son influence, j’ai survécu à toute une chaîne de dangers mortes et cela depuis ma plus tendre enfance et pendant près d’un demi-siècle ». Cependant, ses dernières lignes sont : « La camaraderie, la croyance en un idéal juste, la prise de risque, tout a finalement joué en ma faveur. Je suis aussi très reconnaissant envers tous ceux qui m’ont aidé et soigné, tous ceux qui ne sont plus et qui ont sacrifié leur vie pour notre cause. »

Le 20 mars 2002, il dépose – en « recours gracieux » – une (nouvelle ?) demande de « transformation du titre de déporté politique en déporté résistant », appuyant sa demande par l’envoi d’un exemplaire de son livre. La commission nationale des déportés et internés résistants réunie le 10 octobre suivant émet cette fois-ci un avis favorable, débouchant sur la décision du secrétariat d’État aux anciens combattants du 24 octobre 2003 lui accordant le titre de déporté résistant, carte n° 1016.38269.

Georges Guinchan décède le 30 juillet 2006, âgé de 85 ans.

Sources :

- Georges Guinchan, Aide-toi, le Ciel t’aidera, Les Hôpitaux-Neuf, 2001 (mémoires publiées à compte d’auteur).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 385 et 407.
- Cl. Cardon-Hamet, notice in 60e anniversaire du départ du convoi des 45000, brochure répertoriant les “45000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, pages 24, 27 et 28.
- Bulletin municipal de Boulogne-Billancourt, supplément au n° 335, avril 2005, page 26, Liste des déportés des usines Renault, document cité dans un fichier pdf d’Annie Lacroix-Riz et Michel Certano (juin 2011).
- Archives de Paris, archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 28 mars au 5 juin 1941 (D1u6-5855) ; jugement du 5 avril 1941 (D1u6-3744).
- Archives Départementales du Val-de-Marne, Créteil ; Maison d’arrêt de Fresnes, dossier des détenus “libérés” du 16 au 31-10-1941 (511w24).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris) site du Pré-Saint-Gervais ; cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; cabinet du préfet, dossiers individuels (1w0039), n° 24487.
- Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), Paris ; liste XLV-31.
- Archives départementales de la Vienne,  camp de Rouillé (109W75)..
- Direction des archives des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen ; dossier de Georges Guinchan (21 p 622 163), recherches de Ginette Petiot (message 07-2016).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 18-07-2016)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Montreuil-sous-Bois et Fresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Boulogne-Billancourt : créée sous le nom de Boulogne-sur-Seine en 1790, la commune prend le nom de Boulogne-Billancourt en 1926, le rattachement de Billancourt datant de 1859. Jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine.

[3] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.