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Auschwitz, le 8 juillet 1942.

Jean Guilbert naît le 10 septembre 1908 à Avesnes-lez-Aubert, entre Cambrai et Valenciennes (Nord), chez ses parents, Jean-Baptiste Guilbert, 40 ans, tisseur, et Marie Moniez, 36 ans, son épouse, domiciliés rue de l’Enclin. Les témoins pour l’inscription du nouveau-né à l’état civil sont deux autres tisseurs. À partir de 1914, sans doute après avoir fuit la zone envahie par l’armée allemande, sa famille s’installe à Mitry-Mory (Seine-et-Marne).

Carte militaire éditée en 1920 (reprise d’une édition antérieure), avant le développement des lotissements. Collection Mémoire Vive.

Carte militaire éditée en 1920 (reprise d’une édition antérieure), avant le développement des lotissements. Collection Mémoire Vive.

En 1928, du bureau de recrutement de Melun, Jean Guilbert est appelé à accomplir son service militaire comme soldat de 2e classe, peut-être au 122e Aviation [?, à vérifier…].

Le 4 avril 1931, à Mitry-Mory, Jean Guilbert se marie avec Marcelle Dubois, née le 16 décembre 1908 dans cette commune. Ils ont rapidement trois enfants : Gaston, né le 20 juin 1931, Jeannine, née le 16 août 1932, et Colette, née le 22 décembre 1933, tous à Mitry-Mory.

Au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 19, rue de Villeparisis à Mitry-Mory. Pendant un temps, Jean Guilbert est employé comme manœuvre à la sucrerie Piot, à Mitry-Mory. Sur d’autres documents, Jean Guilbert est déclaré comme terrassier ou comme cultivateur.

Il adhère au Parti communiste en 1933.

Lors des scrutins de mai 1935, il est élu conseiller municipal de Mitry-Mory.

Mitry-Mory après guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Mitry-Mory après guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive. Au premier plan, la mairie. Plus loin, la sucrerie et la briqueterie.

De novembre 1939 au mois d’août 1940, il est mobilisé comme soldat de 2e classe au 32e régiment d’infanterie.

Entre temps, en février 1940, il a été déchu de son mandat municipal par le conseil de préfecture de Seine-et-Marne.

Sous l’occupation, il poursuit son activité militante dans la clandestinité, transportant et diffusant des imprimés, hébergeant à son domicile le responsable de secteur André Gautier, alias « Victor ». Selon une attestation ultérieure, celui-ci lui aurait confié la mission de relever l’importance et la nature du matériel de guerre dans les wagons en stationnement en gares de Mitry-Mory et Villeparisis ainsi que leur lieu de destination. Il quitte son domicile.

Le 23 septembre 1941, Marcelle, son épouse, met au monde leur quatrième enfant, Jean-Claude.

Le 20 octobre suivant, alors qu’il va chez lui voir le nouveau-né, Jean Guilbert est appréhendé par la Feldgendarmerie de Meaux dans le cadre d’une vague d’arrestations décidée par l’occupant contre des communistes de Seine-et-Marne, pris comme otages en représailles de distributions de tracts et de destructions de récolte – incendies de meules et de hangars – ayant eu lieu dans le département.

Jean Guilbert est rapidement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), parmi 86 Seine-et-Marnais arrêtés en octobre (46 d’entre eux seront des “45000”). Il y est immatriculé sous le n° 1824. Jean-Claude, son dernier né, décède le 31 janvier 1942.

Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Guilbert est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30

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Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Guilbert est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45639 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Après l’enregistrement, la plupart des 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Jean Guilbert est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

« À Auschwitz, son travail consistait à couper du bois, à faire de la culture et du terrassement. (…) Il était descendu à 42 kilos, avec le typhus. Plusieurs fois, il a été appelé pour passer à la chambre à gaz, mais, au dernier moment, on le mettait sur le côté, car on le considérait comme un bon travailleur. » Jean Guilbert participe à l’évasion de détenus polonais.En France, le 29 mars 1943, son épouse s’adresse à une haute autorité française afin de solliciter une intervention en faveur de sa libération ou de pouvoir obtenir de ses nouvelles. Le 20 avril, les services de Fernand de Brinon, ambassadeur de France, secrétaire d’État auprès du chef du gouvernement, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, écrivent au préfet de Seine-et-Marne afin de demander des renseignements sur les motifs de l’arrestation de Jean Guilbert. La police rédige un rapport selon lequel : « il ne semble pas qu’il soit très opportun d’intervenir en faveur de l’intéressé auprès des autorités allemandes compétentes car Guilbert était un convaincu et il ne paraît faire aucun doute que, si les circonstaneces le permettait à nouveau, il reviendrait bien vite à ses idées révolutionnaires ». Le 5 mai suivant, le chef de cabinet du préfet répond à de Brinon qu’il « estime qu’il n’apparaît pas opportun d’intervenir en sa faveur auprès des autorités occupantes ».

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août 1943, Jean Guilbert est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur des femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur
des femmes détenues – et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

A la fin de l’été 1944, Jean Guilbert est parmi les trente-six “45000” qui restent à Auschwitz, alors que les autres survivants sont transférés vers d’autres camps, plus à |’intérieur du Reich.

Entre le 18 et le 22 janvier 1945, lors de l’évacuation des camps et Kommandos d’Auschwitz, Jean Guilbert est incorporé, avec Frédéric Ginollin, de Paris, dans les colonnes de détenus dirigées vers le KL [1] Buchenwald (matr. 118.532). Il est intégré pendant quelques jours au « petit camp », puis dirigé sur un Kommando extérieur [« Grawikef, Granvikef », probablement le Kommando installé dans le château fort de Kranichfeld, à vérifier…].

Lors d’une nouvelle avancée du front, deux mois et demi plus tard, début avril, plus de 26 000 détenus de Buchenwald et de ses Kommandos sont évacués. Jean Guilbert et Frédéric Ginollin font partie de ceux qui sont embarqués en gare de Weimar pour être dirigés vers le KL Dachau, où ils arrivent finalement le 27 avril. Ils sont libérés deux jours plus tard par la 45e division d’infanterie de la septième Armée américaine.

Le 28 mai, Jean Guilbert est rapatrié en France via le centre de Mulhouse. Son examen de Santé enregistre qu’il a eu le typhus en 1945, qu’il souffre d’une hernie bilatérale, de rhumatismes aux genoux et qu’il a subit un amaigrissement de 13 kg. Il retrouve sa famille en son domicile du 19, rue de Villeparisis.

Le 17 juin 1950, Jean Guilbert remplit un formulaire de demande d’attribution du titre de Déporté politique. Dans sa séance du 25 mars 1952, la commission départementale émet un avis favorable. Le 15 septembre, lui est envoyée la carte n° 1101.01956.

Le 23 novembre 1963, après avoir obtenu des attestations de son activité de résistant de la part d’André Gauthier et de Pierre Schosmann, qui déclarent chacun qu’il a été sous leurs ordres et décrivent ses activités clandestines dans les mêmes termes, Jean Guilbert remplit un formulaire de demande d’attribution du titre de Déporté résistant. Le 28 avril 1964, le directeur du bureau général des statuts du ministère des ACVG l’avise par courrier que « cette requête n’est pas recevable, la forclusion [2] fixée au 31 décembre 1958 par la loi n° 57-1423 du 31 décembre 1957 lui étant opposable ». Ayant ultérieurement appris que cette forclusion avait été temporairement levée du 1er janvier au 31 décembre 1966, Jean Guilbert sollicite une nouvelle étude de sa demande du titre de Déporté résistant le 9 octobre 1969, laquelle essuie un refus définitif le 5 novembre suivant.

Jean Guilbert décède le 14 mai 1982 à Villepinte (Seine-Saint-Denis).

Notes :

[1] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[2] Forclusion : déchéance d’un droit à la suite de l’expiration d’un délai.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 182 (lettre des enfants de J. Guilbert, 12-1989), 346, 358, 378 et 407.
- Archives départementales du Nord (AD 59), site internet, archives en ligne ; registre d’état civil d’Avesnes-les-Aubert, NMD 1907-1909 (3 E 6354), naissances 1908, acte n° 110 (vue 90/212).
- Archives départementales de Seine-et-Marne (AD 77), Dammarie-les-Lys ; cabinet du préfet, arrestations collectives octobre 1941 (M11409).
- Division des archives des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen ; dossier de Jean Guilbert (n° 21 P 621 554), recherches de Ginette Petiot (message 12-2016).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 29-12-2016)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.