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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Maurice Guerrier naît le 28 avril 1898 à Noyers-sur-Cher (Loir-et-Cher), fils de Jules Guerrier, 38 ans, vigneron, et de Léonie Marteau, son épouse, 28 ans.

Pendant un temps, Maurice Guerrier travaille comme cultivateur, puis comme épicier à la Maison Audesil (?).

La Première Guerre mondiale est déclenchée début août 1914. Le 3 mai 1917, Maurice Guerrier est incorporé comme soldat de 2e classe au 82e régiment d’infanterie afin d’y accomplir son service militaire. Le 7 octobre suivant, il passe au 7e R.I. qui part « aux armées ». Le 17 avril 1918, à Hangard (Somme), intoxiqué par les gaz de combat, il est évacué, mais rejoint le front trois mois plus tard. Le 18 juillet suivant, à la Ferté-Milon (Aisne), blessé par des balles lui occasionnant des éraflures au thorax et au talon gauche, il est de nouveau évacué. Il rejoint le front le 8 octobre. Le 13 février 1919, il sera cité à l’ordre de son régiment : « S’est distingué à Hangard, où il fut gravement blessé. A pris de nouveau part aux attaques de Port-à-Luison, le 19 juillet où il s’est vaillamment conduit » ; il reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze.

La Croix de guerre 1914-1918 avec étoile de bronze. © MV

La Croix de guerre 1914-1918
avec étoile de bronze.
© MV

Le 7 octobre 1919, il passe au 2e régiment de tirailleurs algériens et est envoyé pour huit mois en campagne au Maroc. Le 14 juin 1920, il est renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 10 février 1923 à Noyers, Maurice Guerrier se marie avec Marguerite Charret, née le 6 mars 1903 à Paris 8e. Ils auront deux enfants, un garçon et une fille, née vers 1933.

 En janvier 1929, ils habitent au 22, rue de l’Aigle, à la Garenne-Colombes [1] (Seine /Hauts-de-Seine – 92). En septembre 1932, ils demeurent au 81, allée du Midi, à Courbevoie [1] (92).
Début octobre 1935 et jusqu’au moment de son arrestation, Maurice Guerrier est domicilié au 125, boulevard de Verdun à Courbevoie.
Le 5 juin précédent, il est embauché comme ouvrier tourneur sur métaux (« tourneur spécialisé ») chez Hispano-Suiza (moteurs d’avion), à Bois-Colombes (?).
Il est adhérent du Parti communiste.
Le 12 septembre 1939, Maurice Guerrier est rappelé à l’activité militaire, affecté à l’atelier de construction (arsenal) de Bourges dans la 2e compagnie d’ouvriers de renforcement. Il reste mobilisé jusqu’à la fin juin.
Sous l’Occupation, il participe à une délégation qui se réunit sur la place de la mairie de Courbevoie afin de solliciter une augmentation des allocations de chômage.Début 1941, il est embauché à l’usine Peugeot, produisant alors pour l’armée d’occupation, et où personne ne lui prête de convictions politiques, tant à la direction que parmi ses collègues.Fin juin 1941, lors de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie, Maurice Guerrier écouterait Radio-Moscou en poussant son poste de façon à ce qu’il soit entendu à l’extérieur de son logement. Pris à partie par ses voisins de palier, le couple C. dont le mari ne cache pas ses idées collaborationnistes et pro-nazies, il leur déclarerait : « Vive la Russie ! Quand les Russes auront gagné la guerre, vous verrez ça : on vous cassera la gueule ! »À la suite d’une dénonciation anonyme, visant également un autre voisin de palier (« M. Jean »), le commissaire de police de Courbevoie prescrit son internement administratif en le désignant comme un « meneur très actif », « participant activement à la propagande communiste clandestine ».Le 10 juillet 1941, Maurice Guerrier est appréhendé à son domicile par deux inspecteurs de Courbevoie, invité à les suivre afin que le commissaire de police puisse lui demander « quelques renseignements ». Le même jour, le préfet de police signe un arrêté collectif (huit noms) ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939 ; avec notamment Jean Garre, de Courbevoie, et Albert Bouquet, de La-Garenne-Colombe. Maurice Guerrier est conduit comme « détenu communiste » à la caserne désaffectée des Tourelles, boulevard Mortier à Paris 20e, “centre surveillé” dépendant de la préfecture de police de Paris. Enregistré sous le numéro 54, il est assigné à la chambre 12.

La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre. Partagée avec l’armée allemande au début de l’occupation, elle servit surtout à interner les « indésirables étrangers ». Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre.
Partagée avec l’armée allemande au début de l’occupation, elle servit surtout à interner les « indésirables étrangers ».
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Dès le 18 juillet, il écrit au préfet de police pour demander sa mise en liberté, « vu que mon arrestation n’est pas justifiée. Je n’ai jamais milité dans aucun parti politique, ni distribué de tracts. La seule chose que l’on puisse me reprocher est d’avoir été syndicaliste, chose qui était courante sous le régime Front populaire. […] Mon internement ne peut provenir que d’une dénonciation anonyme et je vous demande de faire enquête à ce sujet. »

Un mois plus tard, son épouse peut lui rendre visite avec leurs enfants. Le 18 août, inquiète de son dépérissement, c’est elle qui s’adresse au préfet, protestant que son mari n’a jamais intégré le Comité de chômeurs de la commune.

Le 18 février 1942, elle écrit une seconde fois au préfet « pour le même motif » et s’étonnant de n’avoir « obtenu aucune réponse, ni reçu aucune visite d’inspecteurs de la police judiciaire (pour une contre-enquête), surtout que presque tous les hommes qui ont été internés comme mon mari et à la même date ont eu satisfaction et ont été libérés ».

Le 5 mai 1942, Maurice Guerrier fait partie des 24 internés des Tourelles, pour la plupart anciens Brigadistes, que viennent « prendre des gendarmes allemands » afin de les conduire au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Maurice Guerrier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45635 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée – et récemment reconnue par ses enfants, 2006).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Il est probable que Maurice Guerrier soit affecté à Auschwitz-I ; en effet, son nom est inscrit sur les registres des Blocks 20 et 28 faisant partie de l’hôpital du camp-souche.

Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits aux registres des décès en deux jours (probablement gazés [2]).

Maurice Guerrier  est homologué comme “Déporté politique”.

Sa mémoire est honorée à Courbevoie par une plaque à son domicile, dans le quartier Varebois, et sur une plaque en Mairie.

Son nom est également inscrit sur le Monument à la mémoire des habitants de Courbevoie fusillés et morts en déportation en 1939-1945, situé dans le cimetière du RP Cloarec.

Le 10 novembre 1960, Marguerite Guerrier est signataire d’un article du Mouvement de la Paix publié dans la revue L’Éveil.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Maurice Guerrier (J.O. du 17-05-1994).

Notes :

[1] La Garenne-Colombes et Courbevoie : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 382 et 407.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Archives municipales de Courbevoie – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national).
- Archives départementales du Loir-et-Cher (AD 41), site internet du conseil départemental, archives en ligne : registre d’état civil de Noyers-sur-Cher (MIEC 164 R1), année 1898, acte n° 11 (vue 522/549) ; registre des matricules militaires, bureau de recrutement de Blois, classe 1918 (2 MI 48/R150), matricule 695 (vues 268-269/696).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, dossiers divers et les Tourelles (BA 1836), quatre registres d’internés, (…) militants communistes internés aux Tourelles ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 608-26340) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1687-91221).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 409 (31811/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 92-Courbevoie, relevé de Francis Libaud (01-2008).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 21-12-2018)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.