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Marcel, Camille, Gouilliard naît le 23 août 1903 à Quessy (Aisne – 02), fils de Zéphirin, Jérôme, Gouilliard, 28 ans, employé aux Chemins de fer du Nord, et de Charlotte Miay, 21 ans, son épouse.

Le 27 juillet 1925, Marcel Gouilliard est embauché par la compagnie des Chemins de fer du Nord qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 [1].

Le 27 mars 1937, à Tergnier (02), il se marie avec Laure Frayard (23 ans ?) ; ils n’ont pas d’enfant.

Au moment de son arrestation, Marcel Gouilliard est domicilié au 4, rue Jules-Ferry à Fargniers, commune voisine (02).

Il est alors ouvrier (serrurier) à l’atelier voitures et wagons de la gare de Tergnier.

Tergnier. Les ateliers SNCF après-guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Tergnier. Les ateliers SNCF après-guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Il est receveur (de cotisations ?) pour le syndicat CGT. Selon le préfet de l’Aisne, Marcel Gouilliard a fondé une cellule dans son entreprise. Membre du Comité de défense de L’Humanité (CDH) local, il vend le journal « à son tour ».

Sous l’occupation, il est actif dans la résistance, secondant Paul Caille, de Quessy, lui aussi cheminot et militant avant guerre. Marcel Gouilliard est connu de la police sous le sobriquet de « le Boiteux ».

Des tracts ayant été distribués à Fargniers dans la nuit du 1er au 2 février 1941, le Préfet de l’Aisne délivre le 26 février plusieurs mandats au commissaire spécial de police de Laon afin d’effectuer des perquisitions chez les principaux militants communistes revenus dans l’agglomération ternoise après l’exode.

Chez Marcel Gouilliard, la perquisition effectuée le 28 février en son absence, alors qu’il est à son travail, amène seulement la découverte de différents livres et brochures communistes datant d’avant septembre 1939 et d’un exemplaire de L’Humanité clandestine, numéro spécial de décembre 1940, que Laure Gouilliard puis son mari disent avoir été déposé dans leur boîte aux lettres à leur insu. Les policiers vont ensuite trouver Marcel Gouilliard sur son lieu de travail, aux ateliers du matériel roulant, et « visitent » son vestiaire sans résultat. Le cheminot n’est alors pas poursuivi.

De nouveaux tracts ayant été distribués à Fargniers dans la nuit du 19 au 20 mars, le préfet prend le 28 mars un arrêté par lequel il décide l’internement administratif de Marcel Gouilliard.


PREFECTURE DE L’AISNE – CABINET DU PREFET – 1er Bureau

Le Préfet de l’Aisne, décoré de la Croix de Guerre,

Vu le décret du 26 septembre 1939 portant dissolution des organisations communistes ;

Vu les décrets des 18 novembre 1939 et 3 novembre 1940, relatifs aux mesures à prendre à l’égard des individus dangereux pour la sécurité publique ;

Vu les instructions ministérielles ;

Considérant que des tracts de tendances communistes ont été apposés et distribués sur le territoire de la commune de Tergniers dans la nuit du 1er au 2 février, et dans la nuit du 19 au 20 mars ;

Considérant que le ou les auteurs de ces manifestations ne sont pas connus ;

Considérant qu’il résulte de la perquisition effectuée à son domicile, le 28 février 1941, que le sieur GOUILLARD [sic] […] est un communiste notoire ;

ARRETE :

Article 1er : Le sieur GOUILLARD Marcel […] sera interné administrativement à partir de ce jour ;

Article 2 : Le sieur GOUILLARD Marcel sera provisoirement emprisonné à la Maison d’Arrêt de Laon, jusqu’à son transfert dans un camp ou établissement qui sera désigné par M. l’Amiral de la Flotte, Ministre, Secrétaire d’Etat à la Guerre.

Article 3 : M. le Commandant de Gendarmerie de l’Aisne est chargé de l’exécution du présent arrêté qui sera notifié à l’intéressé en la forme individuelle.

Laon, le 28 mars 1941

Le Préfet de l’Aisne,

signé : J. QUENETTE


Le lendemain, Marcel Gouilliard est arrêté par la gendarmerie française en même temps que Paul Caille. Les deux camarades subiront ensemble le même trajet en détention. Ils sont d’abord conduits à la Maison d’arrêt de Laon (02).

Le 6 avril, ils sont transférés au camp français de Choisel à Châteaubriant (Loire-Maritime), où ils resteront treize mois. Début octobre, ils y seront rejoints par Édouard Bonnet, de Chauny ; mais entrent-ils en contact ? Le 22 octobre, tous les trois sont témoins du départ des vingt-sept otages communistes conduits à la Sablière pour y être fusillés.

Le 4 septembre 1941, Marcel Gouillard est licencié de la SNCF par application de la loi du 17 juillet 1940.

Le 5 novembre, Édouard Bonnet, Paul Caille et Marcel Gouillard figurent sur une liste de douze otages établie par la Feldkommandantur de Laon.

Le 7 mai 1942, à la suite de l’évacuation des internés politiques de Châteaubriant, Marcel Gouilliard est enregistré sous le matricule 649 au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir), au sud-est de Chartres.

Entrée du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943. © Musée de la Résistance Nationale, Champigny, fonds de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé.

Entrée du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943.
© Musée de la Résistance Nationale, Champigny, fonds de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé.

Dans cette période, la Feldkommandantur 518 de Nantes demande le transfert au camp de Compiègne des otages Édouard Bonnet, Paul Caille et Marcel Gouilliard, très probablement sur réquisition de la Kommandantur de Laon…

Le 2 juin, les trois hommes sont remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits à la prison allemande de Chartres ; peut-être pour interrogatoire (à vérifier…). Le lendemain, ils sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Marcel Gouilliard est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Marcel Gouilliard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 46240, selon les listes reconstituées (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Marcel Gouillard se déclare alors comme cheminot (Bahnbeamte, littéralement « fonctionnaire du train »). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marcel Gouilliard.

Il meurt à Auschwitz le 7 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [2], qui indique pour cause – très probablement mensongère – de sa mort « entérite stomacale aigüe » (Akuter Magendarmkatarrh).

Les rescapés du convoi qui attestent de son décès sont Henri Peiffer, de Villerupt (57), le 29 octobre 1946, qui estime celui-ci survenu « fin 1942 », et André Gaullier, d’Ormes, près d’Orléans (Loiret).

Le 4 février 1953, le délégué interdépartemental du ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre écrit au préfet de l’Aisne pour lui demander les motifs et les circonstances de l’arrestation de Marcel Gouillard – notamment s’il y a eu intervention de la Gestapo -, afin que la Commission départementale des déportés et internés de la Résistance puisse statuer sur son cas. Huit jours plus tard, le chef de cabinet du préfet transmet la demande d’informations au commissaire des RG à Laon. Lequel répond le 23 février. Croyant que Marcel Gouillard est le demandeur, le fonctionnaire indique que celui-ci a été arrêté « sur instruction du préfet de l’Aisne et non par les polices française et allemande (Gestapo) comme il le prétend », précisant « d’ailleurs, il n’y avait aucun service de la gestapo dans le département et les premiers éléments du S.D. allemand de se sont installés dans l’Aisne qu’en 1942. » « …de l’exposé des motifs de l’arrêté préfectoral, il résulte que ce n’est pas pour acte de Résistance que M. Gouillard a été interné ».

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Marcel Gouillard (J.O. du 10-02-1994).

Notes :

[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Marcel Gouilliard, c’est le 31 décembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 360 et 396.
- Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, notice concernant Paul Caille.
- Le Courrier Picard, 6-08-1974.
- Archives départementales de l’Aisne (AD 02), site internet, archives en ligne ; registre d’état civil de (Tergnier-)Quessy , année 1903, acte n° 39, (vue 468).
- Archives départementales de l’Aisne, Laon, dossiers du commissariat régional aux Renseignements généraux (cote SC8312, lettre G).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), doc. XLIV-21 et XLIV-4.
- Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir ; relevés dans le dossier de Marcel Gouilliard, transmis par Étienne Égret (message 01-2014).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 380.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès du camp (n° 34542/1942).
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q ( 0110LM0108).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 693-694.
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier de Marcel Gouilliard (21 P 457 716), recherches de Thomas Fontaine (message 01-2014).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 27-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.