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Auschwitz, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Robert Gaillard naît le 14 mai 1912 à Darnétal (Seine-Maritime [1] – 76), troisième fils de Gustave Théophile Gaillard, 39 ans, et de Coralie Louise Tuloup, 38 ans, dans une famille de dix enfants : Marthe, née en 1893, Gustave Eugène, né en 1894, Berthe, née en 1898, Émilienne, née en 1901, Raymond, né en 1905, Simone, née en 1907, Lucien, né en 1909, Robert, tous nés à Darnétal. Puis leur père les emmène à Petit-Quevilly (76), emménageant au 16 rue de l’Hospice, où René naît en 1914.

Mobilisé le 13 septembre 1914 au 94e régiment d’infanterie, leur frère aîné Gustave – 21 ans – est tué « à l’ennemi » près du village de la Harazée, en forêt d’Argonne (Marne) le 18 avril 1915 ; Robert n’a que 3 ans.

Au premier trimestre 1926, Robert, âgé de 14 ans, est “petit clerc” chez un notaire.

Le 6 avril 1935, Robert Gaillard, âgé de 22 ans, se marie avec Solange Moutier. Ils auront une fille, Claudine.

Au moment de son arrestation, Robert Gaillard est domicilié au 4, place des Chartreux, au Petit-Quevilly, à l’ouest de Rouen, dans la boucle de la Seine (76).

Jusqu’à la déclaration de guerre, il travaille comme employé de bureau à la Compagnie Industrielle des Pétroles (CIP).

En 1935, Robert Gaillard adhère au Parti Communiste. Il est trésorier de cellule et de section de 1935 à 1939, et trésorier régional de 1937 à 1939. Ultérieurement, la police le désigne comme « un des dirigeants du parti à Petit-Quevilly, avec Vallée et Castelli ». Elle note qu’ « il a suivi les cours de l’école du parti, pour perfectionner son instruction. ».

Le 2 septembre 1939, il est mobilisé à l’état-major des troupes coloniales, 2e bureau, rue Saint-Dominique à Paris.

Au cours de ce mois, il est arrêté et amené à comparaître devant le tribunal militaire : on le considère comme « un élément dangereux ». Il est en instance de jugement au moment de la Débâcle (la date est à vérifier…).

Suite au décret du 26 septembre 1939, son domicile fait l’objet d’une perquisition (notice établie le 4 novembre).

Entre temps, le 7 octobre 1939, le commissaire spécial de Rouen transmet à tous les commissaires de Seine-Inférieure, et à certains maires, une circulaire leur demandant de lui « fournir, dès que possible, la liste des principaux militants du Parti communiste qui faisaient partie des cellules de (leur) ville ou circonscription » en indiquant, nom, prénoms, âge si possible, profession, domicile et « situation actuelle (présent ou mobilisé) ». Sur la liste de militant(e)s qu’il renvoie trois jours plus tard, le commissaire de police de la circonscription de Petit-Quevilly inscrit Hilaire Castelli, « présent », Robert Gaillard, mobilisé, et Charles Legac, « mobilisé au 148e RI ».

Les deux frères de Robert Gaillard – Lucien, né en 1909, et René, né en 1914 – sont faits prisonniers de guerre.
sont faits prisonniers de guerre.

En septembre 1940, Robert Gaillard est démobilisé. Il reste au chômage pendant six mois, puis trouve une emploi d’agent à la compagnie d’assurance La Populaire.

Dans la nuit du 21 au 22 octobre 1941, Robert Gaillard est arrêté par les polices françaises et allemandes lors de la grande rafle de Rouen et de sa banlieue [2]. Il connait déjà six autres militants de Grand ou de Petit-Quevilly qui partiront avec lui dans le convoi du 6 juillet 1942 : André Bréançon, Lucien Ducastel, Charles Le Gac, Adrien Gentil, Louis Jouvin, Adrien Fontaine.

Rouen. La caserne Hatry dans les années 1920. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Rouen. La caserne Hatry dans les années 1920. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Il fait partie des hommes rassemblés à la caserne Hatry, place d’Amiens à Rouen, puis transférés le 1er novembre 1941 au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Enregistré sous le matricule n° 2078, il est assigné pendant un temps au bâtiment A7.

Son épouse se rend à la Kommandantur de Rouen, où on lui répond qu’une enquête va être menée qui peut durer deux ou trois mois. Elle retrouve son emploi à la Société nouvelle des Établissements Durand, avenue du Mont-Riboudet à Rouen, dont elle avait démissionné pour élever sa fille.

Entre fin avril et fin juin 1942, Robert Gaillard est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Robert Gaillard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45565 (ce matricule sera tatoué sur son bras gauche quelques mois plus tard).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Robert Gaillard est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Le 17 ou 18 mars 1943, il fait partie des dix-sept “45000” rescapés de Birkenau conduits à Auschwitz-I (en tout, 24 sur 600 !).

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz, essentiellement des “45000”, reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août 1943, Robert Gaillard est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur des femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur
des femmes détenues – et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

À la fin de cette période, lui et, Eugène Baudoin, d’Harfleur, Louis Eudier, du Havre, et un « camarade de Bordeaux » (probablement Gebriel Torralba) sont sévèrement battus par le “bourreau” Jacob et le Blockführer SS, pour avoir essayé d’ « organiser » la substitution de deux pains lors d’une corvée de ravitaillement. Puis ils sont enfermés ensemble avec un détenu soviétique dans une Stehzelle (cellule à rester debout) du sous-sol (le Bunker). Ils y restent plus de 24 heures et pensent y mourir. Mais, le 23 novembre 1943, le nouveau chef de camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, décide d’inspecter le Block 11.

Comme le Blockführer SS ne les a pas inscrits sur le registre du Bunker (une faute !), il envoie un soldat les faire sortir et rejoindre leurs camarades au premier étage.

Le chef de camp décide de faire cesser cette quarantaine sans objet et, après quatre mois de ce régime qui leur a permis de “récupérer”, les politiques français sont renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Robert Gaillard est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 7 septembre 1944 , il est dans le petit groupe de trente “45000” transférés – dans un wagon de voyageurs ! – au KL [4] Gross-Rosen, dans la région de Wroclaw.

Dans ce camp, Louis Eudier reçoit un mandat de 1000 francs envoyé par sa famille. Avec ses camarades Robert Gaillard et Henri Gorgue, ils décident d’acheter des cigarettes qu’ils échangent avec des détenus soviétiques contre des pommes de terre, qu’ils mangent en plusieurs jours. C’est Robert Gaillard qui a engagé la négociation.

En février 1945, devant l’avancée soviétique, Gross-Rosen est à son tour évacué. Louis Eudier, Robert Gaillard et Henri Gorgue sont dans une colonne de détenus conduits vers une gare située à plusieurs kilomètres du camp. Là, ils sont entassés à 120 dans des wagons plats et découverts destinés « au transport de betteraves ». Mais c’est un faux départ et ils sont reconduits au camp pour la nuit. Le lendemain, les trois compagnons arrivent à s’installer dans l’angle d’un wagon, ce qui leur permet de survivre à un transport de trois jours et deux nuits, sans boire ni manger, en plein hiver.

Ils sont parmi les dix-huit “45000” qui arrivent à Hersbrück, Kommando du KL Flossenburg. Robert Gaillard est affecté à un Kommando qui travaille dans le souterrain.

Le 8 avril, les trois camarades se retrouvent dans un nouveau train d’évacuation et s’installent de nouveau dans un angle de wagon. Le convoi les conduit au KL Dachau.

Le camp est libéré le 29 avril 1945 par l’armée américaine et Robert Gaillard est rapatrié en France le 9 mai.

Robert Gaillard est homologué comme “Déporté politique”. Il milite activement dans les associations de la Déportation. Avec Lucien Ducastel, Louis Jouvin et Germaine Pican, de la région rouennaise, il organise la première rencontre des “45000” et des “31000” qui se tient le 26 juin 1960, puis la commémoration à Rouen du 20e anniversaire de la libération d’Auschwitz.

© Mémoire Vive.

© Mémoire Vive.

En 1986, Robert Gaillard est fait Chevalier de l’Ordre national du Mérite.

Il décède le 29 mars 1988.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – dans un large périmètre autour de Rouen a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste).

Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire A, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. Tous les hommes appréhendés furent, en effet, remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941. 44 des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.

(*) 150 selon “30 ans de luttes“, brochure éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.

[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine-Saint-Denis – 93).

[4] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 259 à 262, 350 et 351, 358, 376 et 404.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie (2000), citant : Témoignage de Robert Gaillard (cassette audio et questionnaire), 1976 – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Louis Eudier (45523), Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945, imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (1977 ?), pages 99 à 102, 114, 116 à 118, listes à la fin du livre.
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département, cabinet du préfet 1940-1946 ; individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de G à H (cote 51 W 416), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”).
- Louis Eudier (45523), Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945, imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (1977 ?), pages 99 à 102, 114, 116 à 118, listes à la fin du livre.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 1-12-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.