Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Saül (Paul) Frucht naît le 4 mai 1901 à Vilno (Lituanie), fils de Morka Frücht et de Soulia Simherovitch.

Saül Frucht arrive en France en 1925, âgé de 24 ans.

Après avoir exercé différents métiers, il est embauché par une entreprise fabriquant des vêtements en caoutchouc (imperméables), peut-être Engels et Compagnie.

En 1935, il se marie avec Hode Kagas, née le 25 janvier (ou le 21 juillet) 1907 à Ukmergé en Lituanie, où a existé une forte communauté juive, mécanicienne en fourrure.

Ils ont deux filles : Denise, née le 24 avril 1936, et Mireille, née le 7 août 1937, toutes deux à Paris 18e.

De Paris, l’entreprise où travaille Paul Frucht l’envoie à Saint-Cyr-du-Vaudreuil [1] (Eure – 27) diriger l’usine locale. Il y emménage avec sa famille. En 1937, ils y sont rejoint par la mère de son épouse, Chaja (Chaya) Kaciene, âgée de 60 ans et probablement veuve, arrivant de Lituanie et qui semble avoir un domicile personnel dans la commune.

Leur fils Michel naît le 15 août 1939 à Louviers (27). Les trois enfants sont français de naissance, alors que leurs parents n’ont pas la nationalité française, celle-ci ayant notamment été refusée à leur père (il est possible qu’au cours de cette démarche il propose de franciser son prénom en “Paul”).

En juin 1940, au moment de l’offensive allemande, la famille Frucht prend la route de l’exode, qui la conduit jusqu’à Périgueux (Dordogne). Après la signature de l’armistice, considérant le danger passé, les parents décident d’un retour à la maison.

La loi pétainiste du 2 octobre 1940 établissant un statut des Juifs les conduit à se faire recenser comme tel auprès des autorités françaises. Le 17 octobre, Saül Frucht déclare toute la famille – lui, son épouse, ses trois enfants et sa belle-mère – comme Israélites à la sous-préfecture des Andelys (?). Professionnellement, il se présente alors comme « colleur spécialisé ». Jusqu’à son arrestation, cette déclaration permettra de l’inscrire lui et les siens sur divers listes de « Juifs résidant dans le département de l’Eure… », puis, avec sa femme, sur une « Liste de Juifs des deux sexes, porteurs de l’étoile, âgés de 16 à 50 ans, ayant les nationalités suivantes : apatrides, russes, polonais, émigrés allemands et autrichiens, arrêtés par les Autorités allemandes ».

Le 22 juin 1941, l’armée du Reich envahit l’URSS (opération Barbarossa). Né en Russie, Saül Frucht craint – à juste titre – une arrestation. Dès la veille, il propose de partir, mais son épouse ne le souhaite pas. Le 22 juin, il est arrêté à son domicile par des soldats allemands puis rapidement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) [2].

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.     L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

À plusieurs reprises, Hode Frucht et ses enfants font le déplacement jusqu’à Compiègne et réussissent à parler à Saül au travers des barbelés.

Entre fin avril et fin juin 1942, Saül Frucht est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler). Il est sur la liste (reconstituée) des hommes déportés comme otages juifs.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Saül Frucht jette du convoi un message qui sera rapporté à sa famille : « Je pars travailler dans une ferme en Allemagne ».

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Saül Frucht est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46275 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Saül Frucht.

Il meurt à Auschwitz le 10 août 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; un mois après l’arrivée de son convoi, le même jour que dix-neuf autres “45000”.

Entre temps, le 14 juillet à 20 h 30, son épouse, Hode, a été arrêtée par « les services de la police spéciale allemande » comme treize autres Juifs étrangers de l’Eure. Sur instruction téléphonique du préfet de l’Eure, le commissaire de police de Louviers accompagne les Feldgendarmes jusqu’au domicile de cette « Lituanienne de race juive » [sic]. De son côté, le commandant de brigade de gendarmerie rapporte : « On ignore les motifs de ces arrestations et aucun incident ne s’est produit. » Autorisées à emporter un paquet de linge et des vivres pour trois jours, les personnes arrêtées sont conduites à la prison d’Évreux avant d’être rassemblées le 15 juillet à Rouen « en vue de leur départ pour les territoires occupés de l’Est européen ». Hode Frucht semble avoir passé la nuit à la maison d’arrêt de Louviers avant son transfert à Rouen. Seuls les parents sont emmenés, les enfants étant conduits soit dans un hospice, soit dans un hôpital, soit chez une personne charitable avant d’être placé chez un membre de leur famille.

C’est le cas de Denise Frucht, 6 ans, Mireille, 4 ans, et Michel, 3 ans. Le commissaire de police présent lors de l’arrestation de leur mère les conduit à l’hospice de Louviers. Le lendemain, la Feldgendarmerie lui ordonne de conduire les trois jeunes enfants chez leur grand-mère maternelle, Chaja Kaciene, domiciliée à Saint-Cyr-du-Vaudreuil. Ils y arrivent à 11 h 45, puis le policier va en aviser le maire de la commune, Arthur Papavoine.

Entre le 16 juillet et le 12 août, la grand-mère s’adresse au sous-préfet des Andelys et/ou l’armée d’occupation pour solliciter une autorisation de se rendre à Paris, qu’elle obtient. Mais le projet est abandonné.

Pendant un temps, Hode Frucht est internée au camp de Pithiviers, baraque n° 9. Elle est déportée vers Auschwitz le 3 août 1942 par le convoi n° 14. Elle meurt (gazée ?) le 7 août.

En octobre 1943, Chaya (Chaja) Kaciene est arrêtée à son tour, par la gendarmerie française. Le 20 novembre, elle est déportée par le convoi n° 62 à Auschwitz. Âgée de 66 ans, elle est probablement sélectionnée pour la chambre à gaz à sa descente du train.

Le maire de Saint-Cyr confie alors les enfants aux religieuses de l’école privée de la commune voisine de Notre-Dame-du-Vaudreuil. Après quelques jours, Michel est chaleureusement pris en charge par Marie Constantin, voisine de ses parents à Saint-Cyr, âgée de 70 ans, sans enfant. Le garçon assiste à la messe dominicale, mais conserve son nom juif et circule librement dans le village. C’est là qu’il voit arriver un premier soldat américain en 1944. Il quitte sa protectrice en 1949, âgé de dix ans, mais retournera fréquemment la voir, ainsi que la famille de son neveui, Émile Leblanc, qui l’a également hébergé.

Après la guerre, Léon Ikor, grand-oncle par alliance, domicilié au 94, rue Legendre à Paris 17e, devient le tuteur des trois enfants Frucht.

Notes :

[1] Saint-Cyr-du-Vaudreuil : le 15 avril 1969, la commune est rattachée à celle de Notre-Dame-du-Vaudreuil et prend le nom du Vaudreuil.

[2] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes et les natifs de Russie – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes et natifs de Russie sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord conduits dans des lieux de rassemblement contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942

Sources :

- Son nom et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 390 et 404.
- Yves Lecouturier, Shoah en Normandie, 1940-1944, éditions Cheminements, Le-Coudray-Macouard (Maine-et-Loire), mai 2004, pages 126-127,190-191, liste p. 248 ; fondé en partie sur un témoignage de Michel Frucht.
- Mémorial de la Shoah, site internet, moteur de recherche des victimes.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre d’appel avec la liste des détenus décédés (Verstorben Häftlinge) ; Saul Frucht y est inscrit comme Juif français…
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 320 (19168/1942).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Saül Frucht (21 P 452 441), recherches de Ginette Petiot (message 12-2012).
- Archives départementales de l’Eure (AD27) : listes et registre de recensement des Juifs du département sous l’occupation, recherches de Ginette Petiot (message 01-2013)

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-01-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.