Droits réservés.

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Maurice, Georges, Léon, Élet naît le 15 janvier 1921 à Ézy-sur-Eure [1] (Eure – 27), fils de Fernand Élet et d’Augustine Baron, son épouse.

Fernand Élet, mobilisé au cours de la guerre 1914-1918, avait été gravement atteint par les gaz de combat. Il finit par succomber en 1931. Orphelin à dix ans, Maurice Élet est « adopté par la Nation » le 30 juin 1934.

Le 10 février 1940 à Sorel-Moussel (Eure-et-Loir), il se marie avec Denise Lepin, née dans cette commune le 14 septembre 1920, ouvrière en peignes [2] (une manufacture et plusieurs ateliers fonctionnent alors à Ézy, « capitale normande du peigne »). Ils ont bientôt un fils, Raymond, né en septembre (âgé de 13 mois au moment de l’arrestation de son père).

Maurice Élet et les siens sont domiciliés au 8, rue Raspail à Ézy-sur-Eure.

Il est plombier-couvreur dans l’entreprise de Joseph Angst, rue Pasteur.

Maurice Élet milite aux Jeunesses communistes.

En décembre 1939, après l’interdiction des organisations communistes, une perquisition de police menée à son domicile amène la découverte de tracts et de tampons des Jeunesses communistes. Inculpé pour détention de tracts communiste, Maurice Élet est jugé en première instance par un tribunal (correctionnel ?), puis relaxé par la Cour d’appel de Rouen en juillet 1941.

Le 13 août 1940, son épouse met au monde leur fils, Raymond.

Sous l’occupation, Maurice Élet est nommé responsable de la section d’Ézy du PCF clandestin selon la police. Dans le cadre de son activité, il cache des documents au domicile de sa mère, domiciliée, au 5, boulevard Ulysse-Lavertu, à Ézy ; au centre du village, près de la mairie.

Le 23 octobre 1941, Maurice Élet est arrêté sur son lieu de travail, le toit de l’école des filles d’Ézy, où il répare une gouttière (aujourd’hui l’école maternelle de la rue Isambard). Les Feldgendarmes disent à son épouse, qui assiste à l’arrestation, qu’ils l’interpellent pour un « simple interrogatoire ». Ses proches ont suspecté une dénonciation.

Une liste d’otages établie fin 1941 mentionne son arrestation pour « activité communiste » et sa détention à la Maison d’arrêt d’Évreux (27), ainsi que celle de Jean Even, de Gisors (27), et de Roger Gaudeau, du Petit-Andelys (27).

Dès le 25 octobre, Maurice Élet est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise) selon un certificat de présence établi par l’administration militaire quelques jours plus tard ; il est enregistré sous le matricule n° 2000.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930, collection Mémoire Vive.

Il semble qu’après son arrestation, toute la famille se rassemble au domicile de sa mère, Augustine Élet.

Le 18 novembre, ayant été interrogé sur les ressources de Denise Élet, Marcel Joly, dirigeant de la fabrique de peignes Le Mouflon, certifie que la jeune femme est employée dans son entreprise comme apprentie-ponceuse depuis un mois et qu’elle a perçu un salaire de 510 francs, assurances déduites, pour octobre.

Le 24 novembre, le Conseil municipal d’Ézy-sur-Eure émet l’avis qu’il soit accordé une « allocation militaire » à son administrée ; la mention « incorporation » imprimée étant rayée et remplacée à la main par « incarcération ».

Dès le 26 novembre, Madame Élet mère écrit au Maréchal Pétain pour lui demander d’intervenir auprès des autorités allemandes afin d’obtenir la libération de son fils, en expliquant sa situation : « atteinte d’une maladie incurable, angine de poitrine, crise cardiaque », elle a encore une fille de dix ans à élever et héberge sa bru et son petit-fils. Son fils Maurice et son autre fille, Paulette, âgée de 18 ans, mariée (Madame Maurice Goubert), devant bientôt interrompre son travail pour cause de maternité, sont ses seuls soutiens.

Le 27 décembre, François de Brinon, délégué du gouvernement français dans les territoires occupés, se voit confier le suivi de ce dossier et demande au préfet de l’Eure d’intervenir auprès des autorités locales allemandes… s’il le juge opportun.

Le 31 décembre, l’armée d’occupation inscrit Maurice Élet sur une liste dite « des Jeunes communistes » préalable à des désignations d’otages.

Le 17 janvier 1942, le préfet de l’Eure répond à François de Brinon en lui faisant savoir que lui-même « estime qu’une intervention en faveur de [Maurice Élet] serait inopportune », puisque « l’intéressé est un militant très actif du Parti communiste ».

Le 1er février, Paulette Goubert s’adresse directement à François de Brinon, pour demander la libération de son frère.

Le 8 mars, elle envoie une nouvelle demande au maréchal Pétain, expliquant que sa mère est alitée depuis deux mois et que son propre époux est le seul à ramener un peu d’argent au foyer pour nourrir six personnes et payer les soins.

Le 16 mars, l’ambassadeur écrit au préfet de l’Eure en reprenant les termes de celui-ci : « Une demande de grâce serait, en l’occurrence, inopportune, mais je vous laisse juge de la décision à prendre au sujet de l’attribution d’une allocation d’assistance à Madame Élet… ». Le 20 mars, le préfet répond que « la situation digne d’intérêt de sa famille ne m’avait pas échappé et, par arrêté du 21 février dernier, j’ai accordé une allocation journalière de 8 francs (4 francs pour elle et 4 francs pour un enfant à charge)… Je signale, par ailleurs, la famille Élet à l’attention du secours National ».

Au printemps 1942, Maurice Élet est assigné au bâtiment A2, chambre 12, puis au A6, chambre 8.

Le 5 mai, Augustine Élet s’adresse cette fois-ci au « président » Pierre Laval, ajoutant aux arguments précédents que la maladie de son épouse la fait également souffrir de crises de foie et d’hémorragies, que « l’enfle » la tient alitée. Le cabinet du Chef du gouvernement transmet cette nouvelle demande à… François de Brinon !

Entre fin avril et fin juin 1942, Maurice Élet est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Maurice Élet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45521 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Maurice Élet.

Il meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942 [3], alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement gazés [4]). La cause mensongère inscrite sous la signature du médecin SS est « insuffisance cardiaque » (Myocardinsuffizienz).

Le 14 novembre 1942, le bureau de la Croix-Rouge allemande en France, avenue Kleber à Paris, transmet à son siège de Berlin une demande d’information sur le sort de Maurice Élet, formulée par sa mère.

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En-tête de la Croix-Rouge allemande
sous le IIIe Reich.
DAVCC, Caen.

Un an plus tard, le 11 novembre 1943, le Bureau central de sécurité du Reich répond à la présidence de la Croix-Rouge allemande à Berlin, Bücherpaltz 2 : « Pour les raisons de police d’État, aucun renseignement ne peut être donné sur les personnes suivantes de la liste : 1. ) Maurice Élet […], 2.) Félix Bedin [de Loudun (Vienne)], 3. Paul Fourmentin [de Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne)]… »

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Tampon du bureau du chef
de la police de sécurité du Reich
(“Gestapo”), à Berlin.
DAVCC, Caen.

Le 16 juillet 1945, après la libération des camps, une demande de recherche d’un déporté est déposée par sa sœur, « Paulette Élet » (manière de signifier le lien familial), qui poursuit les démarches engagées par sa mère, décédée à la fin du mois de juin, et qui demande à être inhumée avec les quelques lettres de son fils reçues de Compiègne. Mais, par la suite et au moins jusqu’en août 1994, aucun proche n’effectue de démarche afin que lui soit reconnu le statut de déporté politique.

Le ministère des anciens combattants et victimes de guerre cherche la trace de Maurice Élet dans différents camps nazis, envoyant des avis de recherche auprès des administrations militaires occupant l’Allemagne. Les réponses sont négatives : « inconnu à Dachau » (ZRU du 4-4-46), « no trace could be found of Elet Maurice at Belsen-camp… » (8-8-46 IT).

Le 5 mars 1946, au titre de l’Amicale d’Auschwitz, installée au siège de la FNDIRP, Lucien Penner signe un certificat attestant du décès de Maurice Élet à Auschwitz, qu’il estime avoir eu lieu à la fin de l’année 1942. Le 15 mars, Camille Nivault signe une attestation rédigée en termes identiques.

Le 24 mai, en conformité avec ces deux déclarations, le bureau de l’« état civil-déportés » du ministère des anciens combattants et victimes de guerre officialise le décès de Maurice Élet en fixant la date de sa mort au 30 décembre 1942. Simultanément, le disparu est déclaré “Mort pour la France”.

Sa jeune veuve, ayant à élever leur fils, se remarie avec Joseph T. En juin 1947, elle demeure à Paris 20e.

Après la guerre, le Conseil municipal d’Ézy donne le nom de Maurice Élet à une portion de la grande rue du village (D. 143).

Il est également inscrit sur le monument aux morts de la commune.

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Troisième nom de la colonne de gauche… Photo : P. Girardot.

Une plaque commémorative a été apposée sur sa maison, ex-rue Raspail devenue rue Clovis Vigny (vers 1986). Son fils Raymond apprendra l”existence de cette plaque par la presse locale.

La mention “mort en déportation » est ajoutée sur son acte de décès – toujours daté du 30 décembre 1942 (arrêté du 8 juin 1989, JORF du 20 juillet). Pourtant, à une date restant à préciser, une copie ancienne de l’acte de décès établi par l’administration SS d’Auschwitz – et portant la seule date pouvant servir de référence – parvient au ministère des anciens combattants et victimes de guerre (aujourd’hui BAVCC, à Caen).

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DAVCC, Caen.

Le 9 mai 2015, L’Écho Républicain, à la rubrique de Ézy-sur-Eure, publie un article dans lequel Raymond Élet, interviewé et photographié à l’occasion de la commémoration du 8 mai 1945, témoigne du destin de son père. Cette année-là, visite les camps d’Auschwitz et de Birkenau avec l’association Mémoire Vive, en compagnie de Fernand Devaux (93 ans). Il refait ce voyage deux ans plus tard, les 1er et 2 juillet 2017.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 363 et 403.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et les “31000” de Haute-Normandie, 2000, citant : lettre et questionnaire rempli par son fils, Raymond Élet, 14/12/1992 – Listes des Archives du Musée d’Auschwitz (V, n° 31378 – S, n° 99) – État civil communiqué par M. J. Gatelais, Maire d’Ézy (certificat de naissance avec mention marginale, acte de décès du 24 mai 1946).
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), XLIII-72.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 263 (31578/1942).
- Archives départementales de l’Eure (AD 27).
- Direction des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen ; dossier de Maurice Élet (21 P 447 263), recherches de Ginette Petiot (message 11-2012).
- Raymond Élet, son fils (courrier).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 4-07-2017)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Ézy-sur-Eure. Par décret ministériel du 15 novembre 1932, Ézy ajouta à son nom « sur Eure » afin d’éviter toute confusion avec les communes dont le nom se prononce de la même manière : Aisy (Aisne), Aisy (Saône-et-Loire), Les Eyzies (Dordogne), Ezy (Isère).

[2] Les Peigneux. Ézy-sur-Eure a perdu son dernier peigneux. Raoul Baronnet, le dernier des peigneux d’Ézy-sur-Eure (Eure) s’est éteint dimanche à l’âge de 86 ans. Il avait appris le métier à Ivry-la-Bataille, avant de retourner à Ézy pour travailler dans l’atelier de son père. Certaines de ses créations sont conservées à laManufacture-Musée du peigne, à Ézy-sur-Eure. Un film lui a été consacré en 2009. L’Écho Républicain du 11 juin 2012.

[3] Différence avec la date de décès inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – s’appuyant sur le ministère des Anciens combattants qui avait collecté le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Leur inscription à l’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

[4] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à liquider des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail”.