Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Lucien, Marcel, Eugène, Dubeaux naît le 12 mai 1921 à Boulogne-Billancourt [1] (Seine / Hauts-de-Seine), fils de Gabriel Dubeaux et de Marcelle Jusomme.

Au moment de son arrestation, il est domicilié chez ses parents au 56, quai du Point-du-Jour à Boulogne, comme son frère Louis, né le 7 janvier 1920 à Boulogne. Tous deux sont célibataires.

Le 30 septembre 1940, les deux frères sont arrêtés par le commissaire de police de la circonscription de Boulogne « à la suite de la découverte d’une vaste organisation de propagande communiste clandestine ». Interrogés, ils reconnaissent avoir collé des papillons et déposé des tracts ronéotypés dans les boîtes aux lettres au voisinage de leur domicile. N’ayant jamais auparavant attiré l’attention de la police pour leurs opinions politiques, ils n’auraient participé à ces activités de propagande qu’à l’instigation de camarades d’enfance, Louis ayant entraîné Lucien. Inculpés d’infraction à l’ordonnance du 20 juin 1940, ils sont écroués à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Le 30 septembre, Louis est transféré à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne). Le 13 novembre 1940, le tribunal militaire allemand de Paris les condamne chacun à six semaines d’emprisonnement. Ayant purgé leur peine en détention préventive, ils sont libérés trois jours plus tard, le 16 novembre.

De novembre 1940 à mai 1941, son frère Louis est employé pour le compte des autorités allemandes à la Chapelle-sur-Erdre (Loire-Maritime), puis il est embauché comme ouvrier-tourneur aux usines Renault de Billancourt. À partir de janvier 1941, Lucien Dubeaux travaille comme ouvrier-tôlier à la Maison Devidal, sise au 93, rue Thiers, à Boulogne.

Le 28 avril 1942, ils sont arrêtés à leur domicile, comme otages, lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine – avec le concours de la police française – et visant majoritairement des militants du Parti communiste clandestin – notamment des jeunes – ayant déjà connu une procédure judiciaire. Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central.  Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)  Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

À la suite de ces arrestations, un membre de la famille tente une démarche auprès des autorités françaises. Le 20 juin, les services de Brinon, ambassadeur de France, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, transmettent une demande de renseignements sur les deux frères au préfet de police, en vue d’une intervention « éventuelle » en leur faveur. La préfet de police ne répondra que le… 25 juillet.

Entre fin avril et fin juin 1942, Lucien Dubeaux a été sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler). Avant leur départ, son frère Louis, qui reste à Compiègne, demande à Robert Jarry de veiller sur celui-ci.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Marcel Dubeaux est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45486, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé). Selon le témoignage de Robert Jarry, le jeune Marcel Dubeaux est très violemment frappé par un Kapo au moment où chacun essaie de trouver une place sur les bas-flancs.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marcel Dubeaux.

Il meurt à Auschwitz le 4 novembre 1942 [2], selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher)
Le 24 janvier 1943, son frère Louis est déporté au KL [3] Sachsenhausen, où il est affecté au Kommando Heinkel (usine de pièces d’avions). Il est rescapé des camps.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Lucien Dubeaux (J.O. du 25-02-1989).

Notes :

[1] Boulogne-Billancourt : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Différence avec la date de décès inscrite sur les actes d’état civil en france : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Lucien Dubeau, c’est « le 11 juillet 1942 à Auschwitz et non le 6 juillet 1942 à Compiègne » qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

[3] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 112, 127 et 128, 381 et 402.
- Archives de la préfecture de police de Paris (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais ; cartons “occupation allemande”… ; archives du cabinet du préfet (1W695), dossier commun de Dubeaux Louis et Dubeaux Lucien (25155).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 242 (38778/1942).
- Thomas Fontaine et Guillaume Quesnée, Livre-Mémorial de la FMD, Tome 1, I.74, pages 579 et 611.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 8-02-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.