Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Lucien, Zéphir, Desenclos naît le 8 janvier 1920 à Béthencourt-sur-Mer (Somme – 80), fils de Robert Desenclos, 24 ans, outilleur, et de Jeanne Pecquery, 23 ans, son épouse.

Le 18 décembre 1914, son père a été incorporé comme sapeur de 2e classe au 3e régiment du Génie. Le 9 mars 1917, est passé au 13e régiment d’artillerie service automobile. Le 1er juin 1917, il est passé au 20e escadron du train.
Le 24 octobre 1917,dans le secteur des Éparges, il a été blessé à la main droite par éclats d’obus et évacué. Le 15 décembre suivant, il est passé dans la réserve de l’armée active (15e escadron du train). Le 28 avril 1919, il a été mis en congé illimité de démobilisation, titulaire d’un certificat de bonne conduite, se retirant à Béthencourt-sur-Mer. Le 4 novembre 1919, la commission de réforme d’Abbeville le propose pour une pension permanente de 20 % pour « amputation du pouce droit au 1/3 supérieur de la première phalange suite à blessure… »

En 1921, la famille Désenclos habite au 83 Grande Rue à Béthencourt-sur-Mer.

En mars 1923, ils sont installés à Friville-Escarbotin (80). En 1928, naît Jacqueline, sœur de Lucien. En 1931, ils habitent au 4 rue de la Promenade et hébergent Émilienne, née Grognet, mère de Robert Desenclos. Le père de famille possède un petit atelier métallurgique, employant un mouleur et une ébarbeuse.

En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Lucien Désenclos est domicilié avec ses parents au 15, impasse Saint-Étienne à Friville-Escarbotin. Il devient tourneur, chez son père.

Le 1er octobre 1939, l’armée classe son père “affecté spécial” à la SNCAN à Méaulte. Mais, le 5 avril 1940, le général commandant la 2e région militaire raye celui-ci de l’affectation spéciale par mesure disciplinaire et l’affecte au dépôt du 6e B.O.A. où il arrive trois jours plus tard… pour être aussitôt renvoyé dans ses foyers, en affectation réservée.

Le 23 octobre 1941, Lucien Desenclos et son père sont arrêtés comme otages communistes par les autorités d’occupation, parmi vingt-quatre personnes de l’arrondissement d’Abbeville. Celles-ci sont conduites à la Kommandantur d’Abbeville où elles sont interrogées.

Le lendemain 24 octobre, peut-être après avoir été d’abord rassemblés à la citadelle d’Amiens, ils sont trente-huit du département à être internés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; Lucien Desenclos y est enregistré sous le matricule 1939 ; Robert Desenclos reçoit le matricule 1942 (il sera libéré le 4 septembre 1942).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 26 décembre 1941, le préfet de la Somme répond à François de Brinon [1], Délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, sur les conditions dans lesquelles des habitants du département ont été arrêtés en octobre et internés à Compiègne. Il dresse une liste de treize « personnes qui, en raison des renseignements défavorables recueillis au cours de l’enquête (ex-militants communistes), n’ont pas fait l’objet d’une demande de libération » à la Feldkommandantur 580 d’Amiens ; Lucien Desenclos est du nombre.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Lucien Desenclos est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45463 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Lucien Desenclos est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Là, il est assigné au Block 4 et affecté aux ateliers du camp.

Le 25 juillet, il est admis au bâtiment des maladies contagieuses (Block 20) de l’hôpital des détenus [2].

Lucien Desenclos meurt à Auschwitz le 11 août 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et une copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp, et où est inscrit le matricule n° 45463 (ce local de regroupement temporaire des cadavres est situé au sous-sol du Block 28) ; un mois après l’arrivée de son convoi, le même jour que dix-neuf autres “45000”. Il a 22 ans.

Dans la même période, en France, les Allemands projettent de libérer Robert Desenclos et quatre autres internés de la Somme restés à Compiègne. Mais le préfet de la Somme préconise au préfet de région de les interner immédiatement au centre d’internement de Doullens afin de faire procéder à une enquête complémentaire sur leurs convictions.

Le nom de Lucien Desenclos est inscrit sur le Monument aux morts de Friville-Escarbotin, stèle dédiée « aux martyrs de la liberté assassinés dans les bagnes nazis ».

Notes :

[1] (De) Brinon : ancien journaliste et “ultra” de la collaboration, Fernand (de) Brinon était Délégué général du gouvernement de Vichy auprès des autorités militaires allemandes d’occupation. Quand des requêtes étaient formulées par les familles des détenus auprès de l’administration française, la Délégation générale les transmettait à la Commission d’armistice (bipartite), après enquête de la police ou de la gendarmerie pour s’assurer des conditions d’arrestation et de l’honorabilité du détenu. Une lettre était ensuite adressée aux familles sous couvert de l’organisme qui en avait fait la demande : elle leur annonçait que l’intervention avait eu lieu et leur faisait part de la réponse fournie par les autorités allemandes. Ainsi, un très grand nombre de fiches de la Délégation générale portent le nom de “45000” ; surtout après le départ du convoi, le 6 juillet 1942, et l’absence de nouvelles résultant de leur “statut NN”. La plupart de ces fiches se trouvent dans les dossiers d’état civil des déportés conservés au BAVCC (anciennement archives du secrétariat d’État aux Anciens Combattants).

[2] L’ “hôpital d’Auschwitz” : en allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”. Mais les “31000” et Charlotte Delbo ont connu et utilisé le terme « Revier » : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.

Sources :

- Son nom (orthographié « DESENELOS ») et son matricule (avec une erreur : « 45363 ») figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 369 et 402.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 517.
- Archives départementales de l’Aisne (AD 02), Laon : dossiers du commissariat régional aux Renseignements généraux, partis politiques des départements voisins : Ardennes, Somme et Oise (970w58).
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), doc. IV-198.
- Archives départementales de la Somme, Amiens : correspondance de la préfecture sous l’occupation (26w953, 26w832).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué).
- Site Mémorial GenWeb, relevé de François Bronnec (10-2002).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre du Block 4 ; registre d’appel avec la liste des détenus décédés (« Verstorbene Häftlinge).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 8-02-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.