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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz. 
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jean Desbleumortier naît le 10 mai 1923 à Paris 13e (75), fils de Charles Desbleumortier, 31 ans, livreur aux Établissements François, et de Marie Huilizen.

Au moment de son arrestation, Jean Desbleumortier habite encore chez ses parents, domiciliés au 1, rue de Fourcy à Paris 4e. Il est célibataire.

Il travaille comme électricien ou livreur, métier déclaré après son arrestation.

En février 1941, « une recrudescence de la propagande communiste clandestine [ayant été constatée depuis un certain temps par les services de police] dans le 4e arrondissement, et particulièrement dans le quartier Saint-Paul », deux inspecteurs de la brigade spéciale anticommuniste des Renseignements généraux engagent de nombreuses enquêtes et surveillances à la suite desquelles ils acquièrent la certitude que les tracts et brochures communistes distribués journellement dans ce quartier sont diffusés par Jean Desbleumortier.

Le 17 février, les inspecteurs vont l’interpeller chez ses parents. La perquisition effectuée à leur domicile amène la découverte de nombreuses brochures communistes.

Il est aussitôt conduit – avec son père – dans les locaux de la BS1 pour y être interrogé.

Le lendemain, 18 février, Jean Desbleumortier dément d’abord toute activité de propagande – disant avoir trouvé ces brochures dans le square du Temple. Puis, soumis à la pression des inspecteurs, le jeune garçon dédouane ses parents du fait d’être au courant et met en cause son professeur de langue russe depuis deux mois, Annette Naïtchenko, née de Guilhermy, le 2 novembre 1897, à Goussainville, domiciliée au 8, Cité de l’Alma, à Paris 7e. Le domicile de celle-ci est perquisitionné en son absence ; par un enchainement de stratagèmes, sa fille et sa mère parviennent à dissimuler un paquet de tracts aux recherches. À son retour à la maison, elle est arrêtée et amenée à son tour dans les locaux de la BS1. Lors de leur confrontation, Jean Desbleumortier confirme ses dires, tandis qu’elle les dément de façon catégorique.

Le jour même, 18 février, après les interrogatoires, la confrontation et au vu du rapport des inspecteurs, considérant que « l’activité du Jeune Desbleumortier […] et de la femme Naïtchenko […] avait pour but la diffusion des mots d’ordre de la IIIe Internationale communiste ou d’organismes s’y rattachant au moyen de la diffusion par Desbleumortier de matériel de propagande à lui fourni par la dame Naïtchenko », le commissaire André Cougoule, chef de la brigade spéciale, officier de police judiciaire, les inculpe d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 et les fait conduire au Dépôt (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité), à disposition du procureur de la République.

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Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. 
Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage. 
(montage photographique)

Le 3 mai, Jean Desbleumortier et Annette Naïtchenko comparaissent devant la chambre des mineurs (15e) du Tribunal correctionnel de la Seine ; le père de Jean Desbleumortier a été convoqué à l’audience comme civilement responsable. Jean Desbleumortier est condamné à six mois de prison.

Le 3 juin, il est transféré à la Maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne – 94) où il reste incarcéré jusqu’au 4 juillet (n° d’écrou “correction homme” 8337).

À l’expiration de sa peine, le préfet de police de Paris signe un arrêté ordonnant son internement administratif. Il est probablement libéré plus tard (dans quelles conditions ?).

Le 6 avril 1942 (dans des conditions restant à préciser) ou le 28 avril, il est arrêté à son domicile, comme otage, lors d’une grande vague d’arrestations collectives organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine, visant essentiellement des militants du Parti communiste clandestin. Les hommes arrêtés ce jour-là sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Desbleumortier est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Les deux wagons à bestiaux 
du Mémorial de Margny-les-Compiègne, 
installés sur une voie de la gare de marchandise 
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Desbleumortier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45460, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

On ignore la date exacte de sa mort à Auschwitz ; certainement avant la mi-mars 1943. Il n’a pas 20 ans…

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 370 et 401. 
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen. 
- Archives de Paris, archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 28 mars au 5 juin 1941, cote D1u6-5855. 
- Archives Départementales du Val-de-Marne, Maison d’arrêt de Fresnes, registre d’écrou n° 151 “correction hommes” (20 avril-7 juillet 1941), cote 2742w18. 
- Archives de la préfecture de police (Paris), site du Pré-Saint-Gervais ; cartons “occupation allemande” (BA ?) ; dossiers de la BS1 (GB 53), n° 148, « affaire Desbleumortier – Naïtchenko », 18-2-1941.
- Maroussia Naïtchenko, Une jeune fille en guerre, La lutte antifasciste d’une génération, éditions Imago, mars 2003, pages 192-195 ; l’auteur y nomme « Desabre » Jean Desbleumortier.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 7-01-2015)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.