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Extrait de la photographie ci-dessous. 
Droits réservés.

Emmanuel, Louis, Florentin, Marie, Desbiot naît le 10 décembre 1890 à Rennes (Ille-et-Vilaine – 35), chez ses parents, Emmanuel, Célestin, Desbiot, 25 ans, serrurier, et Marie Villeneuve, 19 ans, son épouse, domiciliés au 64, faubourg de Nantes.

De la classe 1910, Emmanuel Desbiot fils obtient un premier sursis d’incorporation (probablement afin de poursuivre ses études), renouvelé en 1913.

En août 1913, il habite à Dinan-ouest (22).

Mais il renonce à son sursis le 27 septembre de cette année. Le 8 octobre, il est incorporé au 117e régiment d’infanterie, au Mans, afin d’y accomplir son service militaire. Dès le 5 août 1914, il part « aux armées ». Le 13 septembre suivant, il est nommé caporal. Le 27 juillet 1918, il est nommé sergent. Le 16 novembre 1917, il est cité à l’ordre de sa brigade : « Très bon caporal téléphoniste. Le 6 novembre […], sa ligne étant coupée, est allé de sa propre initiative la réparer plusieurs fois sous un très violent tir d’artillerie, faisant son travail avec le plus grand calme » ; action qui lui vaut la Croix de guerre avec étoile de bronze.

La Croix de guerre 1914-1918 avec étoile de bronze. © MV

La Croix de guerre 1914-1918
avec étoile de bronze.
© MV

Le 31 décembre 1918, il est cité à l’ordre de son régiment : « Sergent téléphoniste ayant la plus haute conception du devoir, énergique, brave et dévoué, s’est particulièrement distingué au cours de l’avance par son initiative, installant souvent des liaisons dans des circonstances difficiles et périlleuses ». Le 10 août 1919, il est mis en congé illimité de démobilisation par le 47e R.I. et se retire à Saint-Servant (56) ; à vérifier…

Le 6 août 1915, à Dinan, il s’est marié avec Louise, Émilie, Raphael (patronyme à vérifier…).

Pendant un temps, Emmanuel Desbiot habite à Liffré (35), à 18 km au nord-est de Rennes, et est instituteur.

En mars 1920, l’armée enregistre sa domiciliation au 23, rue de la Geôle, à Caen. En mai 1921 et en janvier 1922, il demeure au 60, rue de Bayeux, toujours à Caen.

Marié, père de deux enfants, il habite au 96, rue Bicoquet à Caen (Calvados – 14), près de l’École primaire supérieure (EPS) Gambetta, 72 rue de Bayeux, où il est professeur d’anglais : André Montagne compte parmi ses élèves.

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Le professeur Desbiot dans sa classe… 
Droits réservés.

Emmanuel Desbiot milite à la SFIO, dans le milieu enseignant.

Sous l’occupation, il appartient à un groupe de résistance ; peut-être le réseau “Centurie”, écrit son fils Jean-Claude ; au “Deuxième bureau” selon Louise, sa veuve.

Le 11 novembre 1941, Emmanuel Desbiot est arrêté une première fois par la police de Caen (à vérifier), avec les deux frères Colin, Lucien et Marcel, pour avoir participé à une manifestation silencieuse et au dépôt d’une gerbe au monument aux morts de la ville, situé sur la place du Maréchal Foch, devant l’entrée de l’Hôtel Malherbe où s’était installée la Feldkommandantur 723 !

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Frise de la base du monument aux morts de Caen. 
Carte Postale. Collection Mémoire Vive.

Jugés aussitôt (à vérifier) par le Tribunal de simple police, ils sont relâchés.

Le 7 mai 1942, vers 22 h, Emmanuel Desbiot est arrêté à son domicile par deux Feldgendarmes, comme otage politique lors de la deuxième vague d’arrestations qui suit l’attentat de Moult-Argences (Airan) [1]. Il est interné au “petit lycée” Malherbe de Caen.

Puis, le 9 mai, il fait partie des 19 détenus amenés à la gare. Là, son fils peut venir lui dire « au revoir » alors qu’il est assis à l’entrée d’un wagon à bestiaux.

Le train part dans la soirée pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Étant parmi les détenus les plus âgés, Emmanuel Desbiot – matricule 5648 – y est exempté de corvée.

Ne partageant pas les convictions politiques de la plupart de ses co-détenus, il pense qu’il y a erreur et signe, avec les frères Colin, le doyen Musset [2] et Maurice Mondhard, une lettre adressée au chef de camp « lui expliquant notre cas et indiquant que nous n’avions rien à voir avec le Parti communiste ».Lucien Colin parle de lui avec confiance et respect dans le journal qu’il tient quotidiennement du 28 mai au 4 juillet 1942.

Entre la fin avril et la fin juin 1942, Emmanuel Desbiot est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (suivant un ordre de Hitler). Dans une lettre à sa famille datée du 30 juin, Emmanuel Desbiot annonce la probabilité d’un départ « pour une destination inconnue ». Il s’inquiète pour la réussite de son fils à un examen (certificat d’études primaires ?).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Les deux wagons à bestiaux 
du Mémorial de Margny-les-Compiègne, 
installés sur une voie de la gare de marchandise 
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Emmanuel Desbiot est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45459, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartisdans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Emmanuel Desbiot est dans la moitié des membres du convoi qui reste dans ce camp en construction choisi pour mettre en œuvre la “solution finale” (contexte plus meurtrier).

Il meurt à Birkenau le 25 août 1942, selon les registres du camp ; « battu à mort par un kapo polonais » témoignent des rescapés.

Sa carte de Déporté politique est délivrée à sa famille le 11 décembre 1952. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 27-03-1988).

Son nom est inscrit avec celui des frères Colin sur une plaque commémorative apposée sur son lieu de travail (ancienne EPS).

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Jean-Paul Desbiot devant la plaque apposée 
sur l’ancienne école primaire supérieure en hommage 
aux professeurs et anciens élèves morts pour la France. 
Photographie de François Le Gros (vers 2001).

À une date restant à préciser, le Conseil municipal de Caen donne le nom d’Emmanuel Desbiot à une ruede la ville proche de la Faculté.


Les causes de l’arrestation de Monsieur Desbiot

Témoignage de Jean-Paul Desbiot, son fils (9/3/2001) : « Le 11 novembre 1941 : ce jour là, en accord avec M. Colin, son directeur, il décide d’organiser une manifestation silencieuse au monument aux morts de 1914-1918 face à la Feldkommandantur. Cette manifestation, à laquelle participait un nombre important d’étudiants, tourne court au bout de quelques minutes, les Allemands essayent d’encercler la foule. Profitant d’un passage momentanément libre, mon père les fit sortir vers le boulevard Bertrand. À environ 300 mètres plus loin (près de la porte), mon père apercevant deux de ses élèves interrogés par les Feldgendarmes approche d’eux pour essayer de parlementer. L’un des Allemands lui demande de se retirer, mais à la suite de sa réponse désobligeante, exigea ses papiers d’identité. Quelques semaines plus tard, il fut traduit devant un tribunal de simple police, sans suite ; ce que nous pensions avant les tristes mai et juin 1942… »

Témoignage de Jacques Vico (09/03/2001) : « Parmi les otages arrêtés, des étudiants de l’école primaire supérieure. Ils ont participé le 11 novembre 1941 à un dépôt de gerbe au monument conformément aux consignes du général de Gaulle [diffusées par Radio-Londres]. Il y a là les frères Colin, M. Desbiot, et en tout une trentaine de jeunes. Nous déposons une gerbe devant le monument aux morts. Des soldats sortent précipitamment de la Feldkommandantur, et là, certains ont eu de la chance, d’autres moins. Notre groupe va s’échapper vers la cité Gardin et la Prairie et l’autre vers la rue des Jacobins. Ce dernier [groupe] est rattrapé et encerclé. Les Allemands se contentent de relever leur identité, de les garder toute la nuit. Malheureusement, deux ans après [sic], ces gens fichés comme gaullistes sont arrêtés comme otages avec les juifs, les communistes. »


Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’associationMémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, pages 32, 42, 45, 47, 102. 
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 61 à 63, 74 et 75, 361 et 401. 
- Journal de Lucien Colin, publié en 1995 par les archives départementales et le conseil général du Calvados dans un recueil de témoignages rassemblés par Béatrice Poule dans la collection Cahiers de Mémoire sous le titre Déportés du Calvados (pages 60-80) ; note n° 1 page 60. 
- Jean Quellien (1992), sur le site non officiel de Beaucoudray, peut-être extrait de son livre Résistance et sabotages en Normandie, éditions Corlet. 
- Archives de la Ville de Rennes, site internet, archives en ligne ; registre des naissances année 1890 (cote 2 E 98), acte n° 1471 (vue 253/293).
- Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (AD 35), site internet du conseil général, archives en ligne ; registre des matricules militaires, bureau de Rennes, classe 1910, vol. 5, matricules de 2001 à 2500 (cote 1 R 2290), matricule 3674 (vue 520/893).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 221 (25024/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 12-09-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. 
Collection R. Commault-Mémorial de Caen. 
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. 
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés, au Mont-Valérien (Hauts-de-Seine – 93) pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

[2] René Musset, professeur de géographie, est doyen de la Faculté des Lettres de Caen en 1937.

Sous l’occupation, il n’hésite pas dans ses cours à insister sur la force maritime de l’Angleterre et entretient un esprit d’opposition à l’occupant. Tout cela contribue à le faire remarquer par les Allemands. le 7 mai 1942, il est arrêté comme otage après le deuxième attentat d’Airan. À la gare de Caen, au milieu des familles et amis qui viennent visiter les otages, il s’entretient en latin avec son fils, Lucien.

Au camp allemand de Royallieu à Compiègne, il est avec Emmanuel Desbiot, professeur d’Anglais, les frères Colin et M. Mondhard. Le journal de Lucien Colin le cite fréquemment : le doyen Musset donne à des cours de géographie dans ce qui fait figure d’université.

Quand ses compagnons d’infortune partent pour Auschwitz le 6 juillet, il reste à Royallieu.

Le 24 janvier 1943, René Musset est déporté au KL Sachsenhausen, transféré au KL Oranienburg puis au KLBuchenwald, où il est libéré par les soldats américains en avril 1945.

À son retour, il contacte les familles de ses compagnons. Il tente d’informer celles-ci, mais ne peut témoigner que sur leur séjour à Compiègne. Il reprend ses cours.