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Collection M. F. Denancé.
Droits réservés.

Georges, Alfred, Louis, Denancé naît le 24 septembre 1891 à Laval (Mayenne), fils de Victoire Denancé, cultivatrice, née en 1859 à Oisseau (53).

En février 1917, il se marie avec Antonia Castanier, née le 2 septembre 1882 à Soller (Espagne).

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Coll. Marie-France Denancé. D.R.

Ils ont un fils, Georges, Antoine, né le 12 mai 1918 à Tarbes (Hautes-Pyrénées) où le couple est installé.

De la classe 1911, Georges Denancé – père – est mobilisé au cours de la guerre 1914-1918, au 44e régiment d’artillerie (en tout, il aura accompli sept ans de service armé).

Après la guerre, la famille migre vers la Meuse (50) où les demandes de personnel ouvrier dans les aciéries sont nombreuses.

Mais Antonia décède le 11 juillet 1920 à l’hôpital de Nancy (Meurthe-et-Moselle), peut-être victime de l’épidémie de “grippe espagnole” (à vérifier…). Georges garde son fils auprès de lui.

Le 23 avril 1921 à Gondrecourt-le-Château (50), Georges Denancé épouse Marie, Félicie, Minette, née dans cette commune le 23 septembre 1891 (ils ont un jour d’écart…).

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Coll. Marie-France Denancé. D.R.

Ils auront deux fils, Jean, Alfred, Pierre, né le 19 octobre 1922 à Cousances-aux-Forges [1] (50), et Bernard, René, Louis, né le 14 juin 1925 à Saint-Michel (Aisne). Marie a un frère, Auguste, né le 21 janvier 1895, qui, rentré infirme de la Grande guerre – décoré de la Croix de guerre et de la Légion d’honneur -, restera célibataire et sera à sa charge jusqu’à la fin de sa vie.

Pendant un temps, Georges Denancé et sa famille habitent au 17 bis, avenue de Turenne à Aulnay-sous-Bois [2] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93).

Plus tard, ils emménagent au 96, rue de Bourgogne à Sevran [2] (93) – commune limitrophe -, propriétaires d’un petit pavillon construit grâce à la loi Loucheur [3].

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Vers 1938, la famille est rassemblée devant la maison.
De gauche à droite : Georges, Antoine Minette, Justine Minette, Jean, Georges fils, Marie Félicie, Bernard.
Collection Marie-France Denancé. D.R.

Dans le terrain entourant la maison, ils aménagent un potager et des clapiers pour lapins.

Georges Denancé est alors tourneur à l’usine (fonderie) de la Compagnie Nationale des Radiateurs, “Idéal Standard”, d’Aulnay-sous-Bois, où il est délégué du syndical CGT des Métaux.

Militant communiste à partir de 1936, Georges Denancé est également membre de la cellule de son entreprise.

En 1939, à l’occasion d’élections complémentaires, il est élu conseiller municipal de Sevran sur la liste du parti communiste.

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Sevran. La mairie en 1948.
Carte postale. Collection mémoire Vive.

Il est secrétaire de la section locale de l’ARAC (Association républicaine des Anciens combattants).

Néanmoins, selon le témoignage de ses fils, c’est d’abord à son activité syndicale qu’il consacre la plus grande partie de son engagement militant.

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Lors d’un congrès du Syndicat des Métaux en septembre 1937,
Georges Denancé est assis au premier plan, au centre.
Coll. Marie France Denancé. D.R.

Après la déclaration de guerre, il semble qu’il soit mobilisé comme affecté spécial à l’usine d’aviation de la SNCASE à Clichy – anciennement Lioré et Olivier (jusqu’à la nationalisation de 1936) – ou/puis à l’usine du 14, boulevard de l’Yser à Paris 17e (porte de Champerret), travaillant pour l’industrie de guerre.

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Été 1939, sortant de l’usine de la S.N.C.A.S.E. à Clichy.
Coll. Marie-France Denancé. D.R.

Georges Denancé est au chômage à partir de juin 1940, ne pouvant bientôt plus payer son loyer (il devrait plutôt s’agir de traites…), malgré la petite allocation versée par son dernier employeur.

Il s’engage rapidement dans l’action clandestine. En juillet 1940, selon la police, il participe à la campagne menée par Gaston Bussière [4], ancien maire, pour demander le retour de la municipalité communiste déchue, faisant notamment circuler un tract en forme de pétition rédigé ainsi : « Devant les procédés malhonnêtes qui se passent à la mairie de Sevran, nous demandons et exigeons le retour de la municipalité élue par la population, pour la justice, pour l’ordre, pour l’honneur ».

Le 6 novembre 1940, Georges Denancé est convoqué au commissariat de circonscription de Livry-Gargan pour y être informé que « dans le cas de distributions de tracts ou d’affichage de tracts communistes dans la commune de Sevran, il sera tenu comme responsable et appréhendé », en application de l’arrêté préfectoral du 19 octobre précédent [5]. C’est une sorte de statut d’otage et ce terme sera effectivement utilisé par un policier.

Quelques jours plus tard, une diffusion de tracts a lieu sans que ses responsables soient pris.

Le 11 novembre 1940, Georges Denancé est arrêté par la police française près de chez lui, au coin de la rue de Bourgogne et de la rue de Verdun, alors qu’il sortait faire ses courses. Le lendemain, il est conduit au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé en octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.

Le 13 novembre, le préfet de Seine-et-Oise légalise la situation en signant l’arrêté ordonnant son internement administratif.

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Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan,
le pavillon qui fut transformé en camp d’internement.
Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin. Pendant un temps, Georges Denancé est assigné à la chambre n° 43, puis à la n° 12.

Depuis l’arrestation de son mari, Marie Denancé est dans une situation de ressources critique. La petite allocation chômage reçue de la dernière entreprise où a travaillé son époux n’a plus été versée à partir du 12 novembre, lendemain de son arrestation. Marie héberge sa mère, Justine Minette, âgée de 83 ans, « qui ne touche que 52 francs par mois de l’assistance aux vieillards et incurables », et son frère, Auguste Minette, « réformé de guerre, infirme d’une main et d’une jambe, ayant subit des commotions… ». Le fils aîné du couple, Georges, infirme d’un pied, est hospitalisé à l’hôpital de Gonesse par les soins de l’AMG [?] (plus tard, il est envoyé dans un sanatorium à la campagne). Le cadet, Jean, 18 ans, se trouve isolé à Marseille (Bouches-du-Rhône) – de l’autre côté de la ligne de démarcation – où il travaille à la SNCASE pour un salaire lui permettant tout juste de subvenir à ses propres besoins. Le troisième, Bernard, 15 ans, est en apprentissage non rétribué à l’école d’orientation professionnelle de la Chambre de commerce de Paris, au 245, avenue Gambetta, où il suit notamment des cours de dessin industriel.

Le 12 décembre, Georges Denancé écrit au préfet de Seine-et-Oise : « C’est moi qui suis considéré comme coupable et arrêté, c’est à moi que l’on assure l’existence ; mais c’est à ma femme et à mon fils, innocents, que l’on refuse la subsistance indispensable, sachant que bientôt ils n’auront plus rien pour manger ; en contradiction avec le Chef de l’État français qui veut rénover le pays en s’appuyant sur la famille et la jeunesse ».

Le 28 décembre, Marie Denancé souscrit auprès de la mairie de Sevran une demande d’allocation de secours qui reste sans suite parce que signée de son nom de jeune fille et qu’elle renouvelle en janvier suivant, appuyée par un courrier de réclamation de son mari.

En janvier 1942, Georges Denancé sollicite sa libération, demande qui est transmise au préfet par le chef de camp. Mais, quand on demande à celui-ci son avis sur une telle mesure, sa réponse est défavorable, au motif que la conduite de Georges Denancé au Centre « …laisse supposer qu’il a conservé toutes ses sympathies à l’égard du parti communiste. [il] est un des principaux animateurs des conciliabules qui se tiennent fréquemment… »

Le 15 janvier, son fils aîné, Georges, 23 ans, ajusteur, décède dans la maison familiale ; d’un cancer des os, aux dires de son frère Bernard, se rappelant de nombreux séjours à Berck, station balnéaire de la Manche réputée pour soigner les maladies des os. Sa belle-mère va déclarer sa mort au service d’état civil de la mairie de Sevran.

Le 15 février, Marie Denancé sollicite à son tour la libération de son époux. Mais, le 31 mars, elle doit signer la communication, transmise par le commissariat central d’Aulnay-sous-Bois, indiquant que le préfet de Seine-et-Oise a classé sa demande sans suite.

Le 25 février, Justine Minette, la mère de Marie, décède.

Deux jours plus tard, Marie Denancé envoie un télégramme au cabinet du préfet de Seine-et-Oise pour solliciter une permission de sortie exceptionnelle afin que Georges, son mari, puisse assister à l’inhumation de sa belle-mère. Une mention manuscrite sur le télégramme semble indiquer que le directeur du camp a donné son accord, mais la suite effective est inconnue…

Considérant Georges Denancé comme « un des membres les plus influents du Parti communiste » (derrière les barbelés…), la direction du camp censure sa correspondance à plusieurs reprises, par exemple le 23 mars 1941, quand il écrit : « L’époque de l’Inquisition du Moyen-Âge ne faisait pas mieux ».

Le 27 juin 1941 – avec cinq autres Sevranais, dont Maurice Métais et André Mortureux -, Georges Denancé fait partie d’un groupe de 88 internés communistes de Seine-et-Oise – dont 32 futurs “45000” – remis aux “autorités d’occupation” et conduits à l’Hôtel Matignon, à Paris, – alors siège de la Geheime Feldpolizei – où ils rejoignent des hommes appréhendés le jour même dans les départements de la Seine-et-Oise et de la Seine par la police française en application d’arrêtés d’internement administratif [6]. Tous sont ensuite menés au Fort de Romainville (sur la commune des Lilas – 93), alors camp allemand, élément du Frontstalag 122. Considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp [7].

Trois jours plus tard, les hommes rassemblés sont conduits à la gare du Bourget (Seine-Saint-Denis – 93) et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Polizeihaftlager). Pendant la traversée de la ville, effectuée à pied entre la gare et le camp, la population les regarde passer « sans dire un mot, sans un geste. Tout à coup nous entonnons La Marseillaise et crions “Des Français vendus par Pétain” » [8]. Ils sont parmi les premiers détenus qui inaugurent ce camp créé pour les « ennemis actifs du Reich ».

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La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers
bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan, sur l’autre rive de l’Oise,
l’usine qui fut la cible de plusieurs bombardements
avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Selon un courrier ultérieur de son épouse, Georges Denancé arrive à Compiègne le 30 juin (enregistré sous le matricule n° 841).

De ce camp, il lui enverra encore plusieurs lettres, donnant des conseils pour gérer la maison, pour s’occuper du jardin et de l’élevage des lapins (les pommes de terre sont conservées dans le grenier et les lapins seront tous mangés pour compenser la pénurie alimentaire).

Au cours de l’hiver 1941-1942, Georges Denancé est conduit à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris. Puis il est ramené au Frontstalag 122 de Royallieu.

Le 19 mars 1942, le préfet de Seine-et-Oise transmet au Conseiller supérieur d’administration de guerre [sic] de la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud une liste d’anciens internés d’Aincourt à la libération desquels il oppose un avis défavorable – « renseignements et avis formulés tant par [ses] services de police que par le directeur du centre de séjour surveillé » ; liste accompagnée de « notes » individuelles avec copie traduite en allemand, dont celle concernant Georges Denancé.

Entre fin avril et fin juin 1942, celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Aux environs de Nancy (?), Georges Denancé parvient à jeter de son wagon un message qui sera transmis à son épouse (« destination inconnue »).

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Georges Denancé est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45454 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

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Portail du sous-camp de Birkenau, secteur B-Ia, semblable
à celui du secteur B-Ib par lequel sont passés tous les “45000”.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Georges Denancé. Diverses notifications de son décès indiquent Birkenau, suivant les termes employés par deux camarades rescapés, mais on peut penser qu’il s’agit d’une erreur de formulation (voir plus loin.).

Le 27 août, il est admis au Block 28 de l’hôpital [9] d’Auschwitz-I (le “camp-souche”, ancienne caserne), où il est diagnostiqué comme ayant le typhus (Fleck, pour Fleckfieber), puis dirigé vers le Block 20, réservé aux malades contagieux.

Georges Denancé meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement gazés [10]) ; la cause administrative indiquée pour sa mort est : « défaillance des valvules cardiaques » (Herzklappenfehler).

Le 21 juillet 1942, Auguste Minette, frère de son épouse, décède à Sevran, âgé de 47 ans.

Jean remonte de Marseille pour aider sa mère. Ayant traversé la ligne de démarcation clandestinement avec un passeur, il est détenu pendant huit jours par l’armée d’occupation. De retour à Sevran, il est embauché dans les usines Matra, où il devient délégué du personnel. Il y est rejoint par son frère. Ensemble, ils ont des activités de résistance clandestine dans l’entreprise par la distribution et l’affichage de tracts – parfois illustrés par Bernard – et par le sabotage et le ralentissement de la production d’ailes d’avions Dornier 24 et de tourelles de char (l’engagement de Bernard est comptabilisé à partir du 15 décembre 1943 ; il a 18 ans).

Dans la nuit du 26 au 27 juillet 1943, Jean est arrêté comme réfractaire au Service du travail obligatoire (en Allemagne ; STO) et conduit à Saint-Cyr-École.

Le 6 septembre, Marie Félicie Denancé écrit au service des internés civils de la Croix Rouge française afin d’obtenir des nouvelles de son mari. Huit jours plus tard, l’organisation lui répond qu’elle n’a « malheureusement aucun renseignement sur le convoi parti le 6 juillet 1942. Nous savons que quelques internés sont au camp d’Auschwitz en Haute-Silésie, mais ce n’est pas la majorité, le convoi ayant certainement été départagé en cours de route. Les internés ayant commencé à écrire depuis un moment, il faut encore que vous essayiez de prendre patience en attendant la première lettre officielle que votre mari sera autorisé à vous écrire… ».

Marie Félicie décède le 19 mars 1944 dans un hôpital du Raincy, à 52 ans, peut-être de sous-alimentation. Son fils Jean va déclarer sa mort au service d’état civil de la mairie de Sevran.

Ses deux garçons orphelins (ils peuvent encore espérer que leur père est vivant…), Jean et Bernard, sont soutenus par des personnes âgées du voisinage.

Le 4 avril 1944, Jean s’adresse à la “délégation spéciale” de Sevran afin d’obtenir de son père. Celle-ci transmet la demande aux services de de Brinon, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés.

Jean participe à des réunions clandestines qui se tiennent à la baignade du canal de l’Ourcq (celle du Vert-Galant ?).

À la veille de la libération, ils intègrent le groupe 143 des Francs-tireurs et partisans français (FTPF) au sein de la compagnie Robespierre (région île-de-France, secteur Est). Le 17 août 1944, Bernard est désigné comme caporal, encadrant d’autres jeunes. Il reçoit des armes : deux revolvers de calibre 6 mm et 9 mm.

Le 25 août, les deux frères commencent leur participation à l’insurrection en occupant l’usine Westinghouse [11] de Sevran au sein de leur groupe de dix partisans.

Dans les jours suivants, ils participent ensemble à la libération de Sevran et de ses alentours. Le 27 août, ils patrouillent sous les balles, puis participent à une offensive contre des Allemands repliés dans les carrières à Livry-Gargan, aux Treize Grottes. Le 28, avec d’autres groupes FFI du secteur et le 22e régiment d’infanterie de l’US Army, ils participent à l’encerclement d’éléments de la Wehrmacht retranchés sous un remblais au nord-ouest de la ferme de Montceleux, secteur de la gare du Vert-Galant et de la Poudrerie nationale, vers Villepinte. Ils combattent jusqu’à la reddition de l’ennemi, faisant plusieurs dizaines de prisonniers.

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« Sortant de tous côtés, tels des fantômes,
ils fusionnent et se déploient dans la plaine ».
Dessin de Bernard Denancé (voir ci-dessous).
Collection Marie-France Denancé. D.R.
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Le 29 août 1944, les FTPF accompagnent au cimetière de Sevran
les cercueils de leurs camarades tombés au combat.
Bernard, épuisé, amaigri, est au premier plan, portant un béret : « Tout le long du parcours, j’ai une envie formidable de dormir. Mes jambes flageolent. »
Collection Marie-France Denancé. D.R.

Le 31 août, Bernard est blessé « par l’explosion d’un mortier » dans les combats de Villepinte et Tremblay-les-Gonesse. Suite à cette blessure, il contracte un début de poliomyélite. Alors qu’il est soigné à l’hôpital Necker, à Paris, il relate la libération de Sevran sur un petit livret illustré de ses dessins. Rédaction qu’il achève le 11 novembre et qu’il complète le 14 mai 1945 d’un poème dédié à son frère Jean lors d’un séjour de convalescence à Chécy (Loiret), chez la marraine de guerre de celui-ci. Sa bravoure lui vaut une citation à l’ordre de la division et la Croix de guerre avec étoile d’argent, et sa blessure une réforme définitive n° 1.

Son frère Jean poursuit le combat au sein du 7e escadron de la 2e Division Blindée du général Leclerc, parti de Boulogne-Billancourt le 19 octobre, participant aux campagnes de Lorraine, des Vosges, d’Alsace (le 6 février 1945, il est à Wittisheim, en ruines, Bas-Rhin), de la poche de Royan, pour achever le combat en Allemagne.

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Jean, à l’arrière du front au cours de l’hiver 1944-1945.
Coll. Marie-France Denancé. D.R.

En septembre suivant, après la capitulation, Jean est brigadier-chef et son unité stationne à Marseille. Il poursuivra son engagement militaire jusqu’en Indochine (il s’y trouve en mars 1946).

Les 12 et 16 octobre 1946, deux rescapés du convoi – Henri Charlier, du Blanc-Mesnil, et Jean Guilbert, de Mitry-Mory – attestent à la mairie de leurs domiciles respectifs de la disparition de Georges Denancé. Ils rédigent leurs déclarations séparées en employant exactement les mêmes termes, au mot près, certifiant : « …avoir été interné au camp de Birkenau près d’Auschwitz avec mon camarade Denancé Georges : ce dernier est décédé au camp vers la fin de octobre 1942 ». Or Henri Charlier et Jean Guilbert étaient dans la moitié des hommes du convoi qui ont été ramenés à Auschwitz-I au soir du 13 juillet ; de quel camp parlent-ils au juste ?

Après la guerre, le conseil municipal de Sevran donne le nom de Georges Denancé à l’ancienne rue de Bourgogne, où il était domicilié. Le matin du dimanche 24 août 1947, une cérémonie officielle a lieu pour l’inauguration de la plaque de rue, ainsi que celles d’autres voies de la commune portant les noms de conseillers municipaux morts en déportation, dont Maurice Métais, qui habitait à proximité, rue des Trèfles.

Le nom de Georges Denancé est inscrit sur le Monument aux morts de Sevran, situé dans le cimetière communal.

Le 24 février 1964, à la suite des démarches engagées par ses fils, le ministère des Anciens combattants et victimes de guerre lui attribue le titre de “déporté politique” (carte n° 1137 00717).

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès, avec la date erronée du 31 octobre 1942 (J.O. du 30-12-1986, arrêté du 7-10-1986).

Jean Denancé décède le 16 décembre 1985 à Perpignan (Pyrénées-Orientales).

Bernard Denancé décède d’une crise cardiaque le 15 février 1998 à Brem-sur-Mer (Vendée) où il avait pris sa retraite.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 386 et 401.
- Monique Houssin, Résistantes et résistants en Seine-Saint-Denis, Un nom, une rue, une histoire, Les éditions de l’Atelier/ Les éditions Ouvrières, Paris 2004, pages 198 et 199.
- Archives départementales de la Mayenne, site internet, archives en ligne : registre des naissance de Laval, année 1891 (4E 159/302), acte 491 (vue 131/169).
- Archives départementales des Yvelines (78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1W76, 1W80 (relations avec les autorités allemandes), 1W108 (dossier individuel).
- Liste des 88 internés d’Aincourt (domiciliés dans l’ancien département de Seine-et-Oise) remis les 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation, et liste Internés de Seine-et-Oise à la suite d’une mesure prise par le préfet de ce département, ayant quitté le centre d’Aincourt, copies de documents des AD 78 communiquées par Fernand Devaux (03 et 11-2007).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 220 (31897/1942).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; page du registre du Block 28 de l’hôpital d’Auschwitz, acte de décès du camp (31897/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 93-Sevran, relevé d’Alain Claudeville (2000-2002).
- Marie-France Denancé, sa petite-fille – fille de Bernard -, témoignages, documents et photos (messages 02-2013).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Georges Denancé (21.p.442.624), recherches de Ginette Petiot (message 03-2013).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 2-03-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Cousances-aux-Forges : en 1965, la commune fusionne avec sa voisine de Cousancelles pour en former une nouvelle : Cousances-les-Forges.

[2] Aulnay-sous-Bois et Sevran : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] La loi Loucheur : votée le 13 juillet 1928 à l’initiative de l’ingénieur Louis Loucheur (1872-1931), ministre du Travail et de la Prévoyance sociale entre 1926 et 1930, elle prévoit l’intervention financière de l’État pour favoriser l’habitation populaire. Cette loi marque le premier engagement financier de l’État dans le logement social alors que, jusque-là, celui-ci résultait d’initiatives privées, ou, depuis la Loi Bonnevay, d’interventions communales en ce qui concerne les HBM. La loi Loucheur élargit notamment le rôle de la Caisse des Dépôts, qui, depuis 1905, est chargée de financer le logement social. Elle permet aux particuliers d’emprunter à taux réduit afin d’acheter un terrain et d’y faire construire un pavillon ou une maison. Tout en laissant chaque propriétaire libre de choisir l’entrepreneur, le matériau et le plan de sa future maison, l’État mandate un de ses architectes pour suivre et vérifier la qualité de la construction. (source Wikipedia)

[4] Gaston Bussière : né le 31 décembre 1902 à Paris 12e, adhérant au Parti communiste en 1928, installé à Sevran en 1932, secrétaire de la cellule puis de la section, élu au conseil municipal en mai 1935 avant de devenir maire le 12 février 1939 après la mort de Louis Fernet, entré en clandestinité sous l’occupation, arrêté par la police française dans la nuit du 18 au 19 juin 1941, fusillé comme otage par l’armée allemande le 21 septembre 1942 au Mont-Valérien (Suresnes – 92). (source : DBMOF Maitron

[5] L’arrêté préfectoral du 19 octobre 1940 :


CABINET du PRÉFET de SEINE-et-OISE

Versailles, le 19 octobre 1940

Le PRÉFET de SEINE-et-OISE, OFFICIER de la LÉGION d’HONNEUR,

Vu le décret-loi du 26 septembre 1939 ;

Vu la loi du 3 septembre 1940 ;

Considérant que la diffusion de tracts est interdite par les ordonnances des autorités d’occupation et par les lois françaises et qu’elle est, à ce double titre, illégale ;

Considérant que ces tracts sont d’inspiration communiste et que leur diffusion ne peut avoir lieu qu’avec la complicité de militants du parti, ainsi que l’ont prouvé de nombreuses perquisitions domiciliaires ;

ARRÊTE :

Article 1er. – Toute découverte de tracts à caractère communiste sur le territoire d’une commune du département de Seine-et-Oise entraînera l’internement administratif immédiat d’un ou de plusieurs militants communistes notoirement connus résidant sur le territoire de cette commune, sans préjudice des poursuites judiciaires dûment engagées.

Article 1er. – MM. le Secrétaire Général de la Préfecture pour la Police, les Sous-Préfets, le Directeur de la Police d’État, le Chef d’Escadron, Commandant la Compagnie de Gendarmerie de Seine-et-Oise, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté.

Fait à Versailles, le 19 octobre 1940.

Le PRÉFET de SEINE-et-OISE, signé : Marc CHEVALIER

Pour ampliation, Le Sous-Préfet, Directeur du Cabinet.


[6] Les 88 internés de Seine-et-Oise. Le 26 juin 1941, la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud transmet au préfet du département de Seine-et-Oise – « police d’État » -, cinq listes pour que celui-ci fasse procéder dès le lendemain à l’arrestation de ressortissants soviétiques ou de nationalité russe ancienne ou actuelle, dont 90 juifs, et de républicains espagnols en exil, soit 154 personnes. La sixième catégorie de personnes à arrêter doit être constituée de «  Différents communistes actifs que vous désignerez  » (aucune liste n’étant fournie). Tous doivent être remis à la Geheime Feldpolizei, à l’Hôtel Matignon, à Paris.

Si aucun autre document n’atteste du contraire, c’est donc bien la préfecture de Seine-et-Oise qui établit, de sa propre autorité, une liste de 88 militants communistes du département à extraire du camp d’Aincourt.

Le 27 juin, le commandant du camp écrit au préfet de Seine-Et-Oise pour lui « rendre compte que 70 internés[du département] ont été dirigés aujourd’hui dans la matinée sur le commissariat central de Versailles et que 18 autres internés ont été dirigés dans le courant de l’après-midi à l’Hôtel Matignon à la disposition des Autorités allemandes d’occupation. Le départ de ces internés s’est déroulé sans incident. » Les listes connues à ce jour ne distinguent pas les deux groupes et réunissent les 88 internés.

Le 29 juin, l’inspecteur de police nationale commandant l’escorte conduisant le contingent de 70 détenus à Versailles, rend compte que le commissaire divisionnaire lui a ordonné de poursuivre son convoyage « jusqu’à l’Hôtel Matignon, à Paris, siège de la Geheime Feldpolizei. En passant à Billancourt, quelques internés du premier car ont montré le poing et des ouvriers qui allaient prendre leur travail ont répondu par le même geste. J’ai immédiatement donné des ordres aux gardiens pour que les internés rentrent leurs bras.

À mon arrivée à Paris, je me suis trouvé en présence d’une quinzaine de cars remplis de prisonniers ayant la même destination que les internés d’Aincourt et j’ai dû prendre la suite.

Le formalités d’immatriculation étant assez longues, j’ai dû attendre mon tour ; l’opération a commencé à 18 heures et s’est terminée à 19h15 ; je n’ai pu faire la remise que de 38 internés sur 88 venus d’Aincourt. En raison de l’heure, le chef de bureau de la Feldpolizei m’a fait savoir qu’il recommencerait l’immatriculation le lendemain matin à 8h15, d’avoir à revenir à cette heure-là. J’ai rassemblé les 50 internés restant dans les deux cars et ai libéré les camionnettes et les gardiens disponibles.

Je me suis aussitôt mis en rapport avec la préfecture de Seine-et-Oise afin de savoir où je devais conduire, pour passer la nuit, les 50 internés. Une heure après, je recevais l’ordre de les conduire au Dépôt, 4 quai de l’Horloge, et de continuer ma mission le lendemain matin. Cette formalité étant remplie, j’ai renvoyé les cars et le personnel à Versailles.

Le 28 juin, à 7 heures, j’ai continué ma mission qui a pris fin à 11 heures. Cette escorte s’est déroulée sans autre incident. »

[7] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, témoignage d’Henri Rollin : «  Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[8] De l’Hôtel Matignon au Frontstalag 122 : témoignage de Marcel Stiquel (déporté au KLSachsenhausen le 24 janvier 1943). Son récit fait état de 87 internés (la liste en comporte 88) et d’un départ d’Aincourt étalé sur deux jours : les 27 et 28 juin 1941 (voir note ci-dessus).

[9] L’hôpital. En allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB) : hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”. Mais les « 31000 » et Charlotte Delbo ont connu et utilisé le terme « Revier » : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient « révir », car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.

[10] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-Isélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

[11] L’usine Westinghouse : exploitée par la Société des freins et signaux Westinghouse, elle s’est implantée en 1892 dans le quartier dit de Freinville, pour y exploiter les brevets de George Westinghouse concernant les freins ferroviaires. (source Wikipedia)