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Auschwitz-I, Block 16, le 8 juillet 1942. 
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 
Oświęcim, Pologne. 
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

René Demerseman naît le 27 mai 1912 à Braquetot ou à Watteville-la-Rue (Seine-Maritime [1] – 76), dans une famille d’agriculteurs.

Au moment de son arrestation, il est domicilié Parc des Roses, au Trait (76), sur la Seine, 25 km à l’ouest de Rouen. Marié à Marie, il a trois enfants (10 ans, 2 ans, 6 mois).

Il travaille comme ouvrier spécialisé sur un chantier maritime du Trait.

Il participe à sa première grève en 1936 et adhère à la CGT le 8 juin de la même année.

Il milite au chantier naval. Le 26 juillet 1936, il adhère au Parti Communiste. Très actif, il rassemble les Jeunesses communistes de la région et devient ainsi responsable du groupe le plus important de JC du département.

Dès le 2 septembre 1939, au tout début de la guerre, il est mobilisé au 6e régiment d’infanterie coloniale. Il est démobilisé le 31 août 1940.

Sous l’Occupation, il poursuit clandestinement ses activités. Dès septembre 1940, aidé de sa femme, il regroupe les membres du PC, distribue des tracts et organise des manifestations. Repéré comme « meneur de grèves », il prend la précaution d’enterrer dans sa cave les archives du PC et de la CGT.

En octobre 1940, sous la direction de Georges Déziré, les militants du Trait tentent de reconstituer une cellule du Parti communiste interdit. La première réunion a lieu dans la cave de Maurice Billard et la deuxième chez René Demerseman. Au cours de celle-ci, est établie une liste de sympathisants à contacter. Mais la brigade de police mobile de Rouen arrête le nouveau secrétaire de cellule. Au cours de son interrogatoire, celui-ci fait le récit des deux premières réunions… et donne des noms.

Le 11 novembre, lors d’une perquisition au domicile de René Demerseman, rien de compromettant n’est trouvé. Il est pourtant arrêté une semaine plus tard à Yainville, sur le chemin de son domicile, par la brigade de gendarmerie française de Duclair (76).

Le 20 février 1941, le Tribunal Correctionnel de Rouen condamne quatorze militants à plusieurs mois de prison chacun pour « reconstitution de ligue dissoute » (par défaut pour quatre d’entre eux ayant échappé aux arrestations, dont Georges Déziré). René Demerseman est condamné à 18 mois de prison et 100 francs d’amende, comme Maurice Billard. Il est écroué à la Maison d’arrêt “Bonne-Nouvelle” de Rouen, où il subit trois mois d’isolement comme « prisonnier dangereux ». Le 26 mars suivant, la Cour d’Appel de Rouen ramène sa peine à treize mois de prison.

Après son arrestation, son épouse, qui n’a comme ressource que l’allocation allouée au titre de l’assistance aux familles des internés politiques, se réfugie à Grugny (76) avec leurs enfants, chez Madame Castelot.

Le 4 août 1941, répondant à une note du préfet de Seine-Inférieure datée du 22 juillet, le commissaire principal de police spéciale de Rouen transmet à celui-ci une liste nominative de 159 militants et militantes communistes de son secteur dont il préconise de prononcer l’internement administratif dans un camp de séjour surveillé, tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et « par tous les moyens ». Parmi eux, René Demerseman, « actuellement en prison, à interner à sa sortie »…

Le 19 décembre 1941, à l’expiration de sa peine, René Demerseman n’est pas libéré, mais maintenu en détention, selon les consignes édictées dans le code des otages.

Le 8 janvier 1942, remis aux autorités d’occupation à leur demande, René Demerseman et Arthur Lefebvre sont transférés ensemble au camp allemand de Royallieu à Compiègne [2] (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Une liste d’otages établie le 4 février 1942 mentionne son rôle dans les luttes sociales de 1936. Après l’attentat d’Elbeuf [3] (76), il est désigné par les Allemands comme otage “fusillable” (fiche d’otage du 7 février 1942).

À Compiègne, Georges Cogniot demande à René Demerseman de faire partie du “service d’ordre” du camp afin d’empêcher le marché noir et de lutter contre « la dégradation » et l’usure morale. Il est prévu que René Demerseman s’évade par le tunnel [4], mais l’organisation clandestine du Parti lui demande de céder sa place à « Bounard » (sic – ?), électricien, qui serait repris et fusillé.

Entre fin avril et fin juin 1942, René Demerseman est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, René Demerseman est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45453. Ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – René Demerseman est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

Là, il est assigné au Block 4. Il est affecté au Kommando Hutta (terrassements, canalisations), puis un mois après au Kommando du Jardin.

Sans changer de Kommando, il est envoyé à Birkenau de janvier à mars 1943.

À partir de mai 1943, il est au Kommando Lingerie-Désinfection à Auschwitz-I. Membre de la Résistance du camp, il est, avec Jean (« Jeannot » ?) Tarnus, de Dommary-Baroncourt (Meuse – 55), chargé d’assurer les contacts et d’ “organiser” des vêtements pour la solidarité, notamment avec les déportées “31000”.

Le 4 juillet 1943, comme les autres “politiques” français (essentiellement des “45000” rescapés), il reçoit l’autorisation d’écrire en allemand et sous la censure à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.

À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) et mis en “quarantaine” au premier étage du Block 11. Ceux-ci sont exemptés de travail et d’appel extérieur, mais témoins des exécutions massives de résistants, d’otages et de détenus dans la cour mitoyenne.

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Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient 
les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues – 
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage 
de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. 
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, suite à une inspection du nouveau chef de camp (Liebehenschel) et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de “récupérer”, ils sont renvoyés dans leurs Blocks et Kommandosd’origine. René Demerseman retrouve le Kommando “Désinfection”, puis celui de la Cuisine des SS.

Le 3 août 1944, il est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 7 septembre 1944 , il est dans le petit groupe de trente “45000” transféré – dans des wagons de voyageurs – au camp Gross-Rosen, dans la région de Wroclaw (matricule 40990), où il a Johan Beckman(45218) comme Vorarbeiter.

Le 10 février 1945, René Demerseman est parmi les dix-huit “45000” transférés à Hersbrück,Kommando de Flossenburg (n° 84463). Le 8 avril, avec les mêmes camarades, il se trouve dans une colonne de détenus évacués à marche forcée et qui arrive à Dachau le 24 avril. Le 29 du même mois, le camp est libéré par les troupes américaines.

René Demerseman est rapatrié le 16 mai par Strasbourg et arrive le 17 à l’Hôtel Lutétia : très affaibli, il reprend 14 kg en trois semaines.

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L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. 
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. 
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

Dès son retour, il adhère à la FNDIRP et à l’Amicale d’Auschwitz.

Au cours d’un entretien en avril 1988, il déclare : « Si c’était à refaire, je le referais, mais, cette fois, j’y resterais ».

Il est homologué comme “Déporté politique”. Sa demande d’homologation comme “Déporté résistant” lui étant refusée.

Dans l’édition du 12 juillet 1994 de L’Humanité, il participe à un appel de 25 résistants de Seine-Maritime contre la décision de François Mitterrand de faire défiler les soldats allemands sur les Champs-Élysées.

René Demerseman décède le 15 mai 2005.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 376 et 401. 
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et les “31000” de Seine-Maritime, à Rouen en 2000, citant : témoignage de René Demerseman : cassette et questionnaire, 4/1988 ; entretien, 23/9/1990 – Liste de transferts conservée par Johan Beckman (45218). 
- Archives nationales, correspondance de la Chancellerie sur des procès pour propagande et activité communistes, BB18 7042, cote 2BL 2038, et BB18 7042. 
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’hôtel du département, cabinet du préfet 1940-1946, individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de Da à De (cote 51 W 414), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”). 
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), doc. XLIII-48. 
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre du Block 4.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 26-04-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller.

À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine-Saint-Denis – 93).

[3] L’attentat d’Elbeuf : en janvier 1942, une sentinelle allemande est abattue à Elbeuf ; neuf otages seront fusillés le 14 février :

AVIS Le 21 janvier dernier, à Elbeuf, des coups de feu étaient tirés sur une sentinelle de l’armée allemande qui fut grièvement blessée. À la suite de cet attentat, j’ai ordonné l’exécution des personnes qui ont commis des actes criminels contre l’armée allemande.

Der Chef des Militaerverw. Bezirkes A

(avis paru dans Le Journal de Rouen du 16 février 1942)

[4] Le tunnel a permis l’évasion de 19 militants syndicalistes (dont Georges Cogniot et André Tollet) dans la nuit du 21 au 22 juin 1942, peu avant la déportation des otages, le 6 juillet.