Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Adrien, Émile, Delcros naît le 11 décembre 1892 à Paris 10e arrondissement, fils d’Eugène Delcros, 23 ans, épicier, et de Marie Louise Brifault, son épouse, 25 ans, journalière, domiciliés rue de Lancry (tous deux seront décédés au moment de son arrestation). La déclaration de naissance est faite en présence de Jean Delcros, 51 ans, fruitier, domicilié au 4, rue de Paradis.

Adrien Delcros reçoit une formation de boucher.

Le 19 mars 1913, à la mairie du 10e arrondissement, il s’engage volontairement pour trois ans au 8e régiment de hussard, cantonné à Meaux, où il arrive une semaine plus tard. Le 2 août 1914, en cours d’engagement, il est rattrapé par le déclenchement de la Première guerre mondiale. Le 20 septembre, il passe au dépôt et est affecté au 12 escadron. Le 7 décembre suivant, il passe au 11e escadron. Il part au régiment actif le 1er janvier 1916, puis rejoint le front le 5 mai suivant. Le 22 janvier 1917, il passe au 9e régiment de cuirassiers. Le 25 mai 1917, il est cité à l’ordre du régiment : « S’est distingué par son courage et son sang-froid dans le nettoyage des tranchées ennemies ». Un an plus tard, le 23 mai 1918, il est de nouveau cité : « Excellent fusillier-mitrailleur, a fait preuve de beaucoup de courage et de sang-froid en aidant, par son tir, sa section à progresser ». Le même jour est cité le bataillon de Vaucresson : « Le 17 mai 1918, sous le commandement de son chef, le commandant de Vaucresson, le 2e bataillon du 9e régiment de cuirassiers à pied, renforcé d’une section de la compagnie du Génie 4/59, appuyé de la compagnie d’Arodes du 4e cuirassiers à pied, a attaqué avec vigueur, malgré un feu violent de mitrailleuses, les lignes de Lassigny et de la tour Rolland, pénétré dans les lignes de l’ennemi à plus de 500 mètres, bouleversé ses organisations et ses abris, capturé de nombreux prisonniers et pris des mitrailleuses. Ses objectifs atteints, les a quitté à l’heure fixée, revenant vers nos lignes dans un ordre parfait, comme à la manœuvre, en troupe solide, maitresse d’elle-même et consciente de sa force » (29 prisonniers allemands, 9 tués et 33 blessés parmi les Français). Le 9 juin 1918, à Élincourt (Nord) – carrières Malet -, Adrien Delcros est blessé par balle à l’épaule alors qu’il contre-bat le feu de l’ennemi jusqu’à épuisement des munitions. Le 14 juillet 1918, il est évacué à l’intérieur et rayé des contrôles de la compagnie. Le 11 août 1918, le Colonel Calla, commandant le 9e Régiment de cuirassiers à pied, cite à l’ordre du régiment le cavalier Delcros Adrien, matricule 2147 (ordre n° 286), qui reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze. Le 7 octobre, celui-ci rejoint le dépôt. Le 13 janvier 1919, il est dirigé sur le D.I.S. ou C.I.D. [?] du 66e régiment d’infanterie.

Du 8 août 1919 au 12 août 1921, l’armée classe Adrien Delcros dans l’affectation spéciale comme employé des Chemins de fer de l’État. Le 2 décembre 1918, il est nommé homme d’équipe sur ce réseau. Il quitte l’armée titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 28 février 1920 à Saint-Pellerin (Eure-et-Loire), Adrien Delcros se marie avec Marie Chavigny, née le 28 février 1899 dans cette commune. La première de leurs quatre enfants, Suzanne, y naît le 8 février 1921.

En mars 1922, la famille est domiciliée dans le petit village de Roizy, sur la Retourne (Ardennes), une région occupée par l’armée allemande de 1914 à 1918. Adrien Delcros a probablement quitté les chemins de fer (à vérifier…).

Leur deuxième enfant, Daniel, naît le 6 août 1929 à Sault-Saint-Rémy, village voisin de Roizy.

En février 1931, les Delcros habitent au 110, boulevard circulaire, dans le quartier du Vert Galant, à Villepinte [1] (Seine-et-Oise / Seine-Saint-Denis), commune où naissent encore Claude, le 24 avril 1933, et Monique, le 18 janvier 1938 (presque dix-sept ans d’écart avec sa sœur aînée).

Au moment de son arrestation, Adrien Delcros est domicilié au 95, avenue des Combattants à Villepinte.

Il est manœuvre. À Aincourt, il se déclarera comme métallurgiste. À Auschwitz, il se déclarera comme boucher (« Fleischer ») ?

Selon la police, il aurait comme surnom « La Coterie » ?.

Le 24 novembre 1940, le préfet de Seine-et-Oise signe un arrêté ordonnant l’assignation à résidence sur le territoire de leur commune de domicile de 1097 « individus dangereux pour la Défense nationale et la sécurité publique », selon les termes du décret du 18 novembre 1939 ; parmi ceux-ci, Adrien Delcros.

Le 2 mai 1941, celui-ci est arrêté par des agents du commissariat de Tremblay-les-Gonesse à la suite d’unedistribution de tracts à Villepinte, en application de l’arrêté préfectoral du 19 octobre 1940 [2] et à la suite d’un échange téléphonique avec le cabinet du préfet de Seine-et-Oise. Le jour même, le commissaire remplit un formulaire de “notice individuelle à établir au moment de l’arrestation”. Le résumé des motifs se contente de… « Ex-militant communiste notoire, est soupçonné de se livrer à une propagande larvée en faveur de l’ex-parti communiste et d’être l’un des auteurs des distributions de tracts faites sur le territoire de la commune de Villepinte ». Un soupçon…

Deux jours plus tard, le 3 mai, Adrien Delcros est conduit au camp français d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), “centre de séjour surveillé” (CSS) créé au début du mois d’octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.

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Aincourt
Tel qu’il est photographié, le pavillon Adrien Bonnefoy Sibour ne laisse pas entrevoir la grande forêt qui l’entoure et l’isole de la campagne environnante

Le 15 mai, le secrétaire général pour la police du département de Seine-et-Oise transmet l’arrêté d’internement d’Adrien Delcros au cabinet du préfet pour signature, ce qui surprend un cadre prefectoral comme en atteste cette note manuscrite anonyme et nom datée : « Note dossier Delcros. Référence : dernier paragraphe de la lettre de M. le secrétaire général pour la police. Renseignement pris par téléphone auprès de la police d’État et au commissariat de Gonesse : il en résulte que quelqu’un du Bureau politique aurait, après consultation par le commissariat, donné l’ordre d’interner Delcros le 2 mai, date à laquelle il a été effectivement conduit à Aincourt. Or, personne au Bureau de la bibliothèque n’a eu connaissance de cette affaire au sujet de laquelle il n’existe aucun dossier à ce jour. Il est rappelé à ce sujet que les internements intervenant dans ces conditions font toujours l’objet d’une note manuscrite ou dactylographiée, établie au moment même de la proposition téléphonique – que cette note est soumise à Monsieur le Directeur du cabinet – et, une fois la décision connue, que celle-ci est notifiée au commissaire compétent ainsi qu’à la police d’État – et que mention est fait par écrit de cette notification sur la note. Au surplus, une liste des internements décidés dans ces conditions permet un contrôle précis et rigoureux à ce sujet. L’absence de dossier individuel au bureau de la bibliothèque, de note et d’indication sur la liste en question permet d’affirmer que ce bureau n’a pas eu à connaître de cette affaire. »

Ainsi, c’est par un formulaire d’arrêté antidaté que le préfet de Seine-et-Oise ordonne l’internement administratif d’Adrien Delcros.

Selon une note ultérieure établie par la direction du camp d’Aincourt, Adrien Delcros s’y « fait remarquer par l’ardeur qu’il [met] à soutenir ses convictions politiques ».

Le 27 juin 1941, Adrien Delcros fait partie d’un groupe de 88 internés communistes de Seine-et-Oise – dont 32 futurs “45000” – remis aux “autorités d’occupation” et conduits à l’Hôtel Matignon, à Paris, – alors siège de la Geheime Feldpolizei – où ils sont rejoints par d’autres détenus, arrêtés le même jour et les jours suivants dans le département de la Seine [3]. Tous sont ensuite menés au Fort de Romainville (sur la commune des Lilas, Seine / Hauts-de-Seine), élément du Frontstalag 122. Considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp [4].

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L’enceinte du camp allemand était complétée d’un mirador
surplombant la porte depuis l’intérieur de l’enceinte.
Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive

Trois jours plus tard, les hommes rassemblés sont conduits à la gare du Bourget (Seine-Saint-Denis – 93) et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Polizeihaftlager). Pendant la traversée de la ville, effectuée à pied entre la gare et le camp, la population les regarde passer « sans dire un mot, sans un geste. Tout à coup nous entonnons La Marseillaise et crions «  Des Français vendus par Pétain » [5]. Ils sont parmi les premiers détenus qui inaugurent ce camp créé pour les « ennemis actifs du Reich »

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La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers
bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan, sur l’autre rive de l’Oise,
l’usine qui fut la cible de plusieurs bombardements
avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 25 mars 1942, neuf mois plus tard, le préfet de Seine-et-Oise transmet au Conseiller supérieur d’administration de guerre [sic] de la Feldkommandantur de Saint-Cloud une liste d’anciens internés d’Aincourt à la libération desquels il oppose un avis défavorable – « renseignements et avis formulés tant par [ses] services de police que par le directeur du centre de séjour surveillé » ; liste accompagnée de notes individuelles avec copie traduite en allemand, dont celle d’Adrien Delcros.

Entre fin avril et fin juin 1942, celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Adrien Delcros est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le matricule 45443, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de dire dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Adrien Delcros.

Il meurt à Auschwitz le 12 septembre 1942, d’après l’acte de décès rédigé par l’administration SS du camp, qui indique pour cause mensongère de sa mort un œdème cardiaque (« Herzwassersucht »).

Adrien Delcros est le seul “45000” de Villepinte. Son nom n’est pas inscrit sur le monument aux morts situé dans le cimetière communal.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 387 et 401.
- Monique Rigal, née Delcros, sa fille, messages (02 et 11-2012).
- Archives départementales de Paris, site internet, archives en ligne ; extrait du registre des naissances du 10e arrondissement à la date du 14-12-1892 (registre V4E 6344), acte n° 6179 (vue 12/31).
- Archives de Paris ; registre des matricules militaires du recrutement de la Seine, classe 1912, 1er bureau, volume 1-500 (D4R1 1659), Delcros Adrien Émile, matricule 266.
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1W69 (bureau politique du cabinet du préfet de Seine-et-Oise), 1W76, 1W80 (relations avec les autorités allemandes), 1w107 (dossier individuel).
- Liste des 88 internés d’Aincourt (domiciliés dans l’ancien département de Seine-et-Oise) remis les 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation, et liste Internés de Seine-et-Oise à la suite d’une mesure prise par le préfet de ce département, ayant quitté le centre d’Aincourt, copies de documents des AD 78 communiquées par Fernand Devaux (03 et 11-2007).
- Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 218 (30408/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 27-12-2012)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Villepinte : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] L’arrêté préfectoral du 19 octobre 1940 :


CABINET du PRÉFET de SEINE-et-OISE

Versailles, le 19 octobre 1940

Le PRÉFET de SEINE-et-OISE, OFFICIER de la LÉGION d’HONNEUR,

Vu le décret-loi du 26 septembre 1939 ;

Vu la loi du 3 septembre 1940 ;

Considérant que la diffusion de tracts est interdite par les ordonnances des autorités d’occupation et par les lois françaises et qu’elle est, à ce double titre, illégale ;

Considérant que ces tracts sont d’inspiration communiste et que leur diffusion ne peut avoir lieu qu’avec la complicité de militants du parti, ainsi que l’ont prouvé de nombreuses perquisitions domiciliaires ;

ARRÊTE :

Article 1er. – Toute découverte de tracts à caractère communiste sur le territoire d’une commune du département de Seine-et-Oise entraînera l’internement administratif immédiat d’un ou de plusieurs militants communistes notoirement connus résidant sur le territoire de cette commune, sans préjudice des poursuites judiciaires dûment engagées.

Article 1er. – MM. le Secrétaire Général de la Préfecture pour la Police, les Sous-Préfets, le Directeur de la Police d’État, le Chef d’Escadron, Commandant la Compagnie de Gendarmerie de Seine-et-Oise, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté.

Fait à Versailles, le 19 octobre 1940.

Le PRÉFET de SEINE-et-OISE, signé : Marc CHEVALIER

Pour ampliation, Le Sous-Préfet, Directeur du Cabinet.


[3] Les 88 internés de Seine-et-Oise. Le 26 juin 1941, la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud transmet au préfet du département de Seine-et-Oise – « police d’État » -, cinq listes pour que celui-ci fasse procéder le lendemain à l’arrestation de ressortissants soviétiques ou de nationalité russe ancienne ou actuelle, dont 90 juifs, et de républicains espagnols en exil, soit 154 personnes. La sixième catégorie de personnes à arrêter doit être constituée de «  Différents communistes actifs que vous désignerez  » (aucune liste n’étant fournie). Tous doivent être remis à la Geheime Feldpolizei, à l’Hôtel Matignon, à Paris.

Si aucun autre document n’atteste du contraire, c’est donc bien la préfecture de Seine-et-Oise qui établit, de sa propre autorité, une liste de 88 militants communistes du département à extraire du camp d’Aincourt.

Le 27 juin, le commandant du camp écrit au préfet de Seine-Et-Oise pour lui « rendre compte que 70 internés[du département] ont été dirigés aujourd’hui dans la matinée sur le commissariat central de Versailles et que 18 autres internés ont été dirigés dans le courant de l’après-midi à l’Hôtel Matignon à la disposition des Autorités allemandes d’occupation. Le départ de ces internés s’est déroulé sans incident. » Les listes connues à ce jour ne distinguent pas les deux groupes et réunissent les 88 internés.

Le 29 juin, l’inspecteur de police nationale commandant l’escorte conduisant le contingent de 70 détenus à Versailles, rend compte que le commissaire divisionnaire lui a ordonné de poursuivre son convoyage « jusqu’à l’Hôtel Matignon, à Paris, siège de la Geheime Feldpolizei. En passant à Billancourt, quelques internés du premier car ont montré le poing et des ouvriers qui allaient prendre leur travail ont répondu par le même geste. J’ai immédiatement donné des ordres aux gardiens pour que les internés rentrent leurs bras.

À mon arrivée à Paris, je me suis trouvé en présence d’une quinzaine de cars remplis de prisonniers ayant la même destination que les internés d’Aincourt et j’ai dû prendre la suite.

Le formalités d’immatriculation étant assez longues, j’ai dû attendre mon tour ; l’opération a commencé à 18 heures et s’est terminée à 19h15 ; je n’ai pu faire la remise que de 38 internés sur 88 venus d’Aincourt. En raison de l’heure, le chef de bureau de la Feldpolizei m’a fait savoir qu’il recommencerait l’immatriculation le lendemain matin à 8h15, d’avoir à revenir à cette heure-là. J’ai rassemblé les 50 internés restant dans les deux cars et ai libéré les camionnettes et les gardiens disponibles.

Je me suis aussitôt mis en rapport avec la préfecture de Seine-et-Oise afin de savoir où je devais conduire, pour passer la nuit, les 50 internés. Une heure après, je recevais l’ordre de les conduire au Dépôt, 4 quai de l’Horloge, et de continuer ma mission le lendemain matin. Cette formalité étant remplie, j’ai renvoyé les cars et le personnel à Versailles.

Le 28 juin, à 7 heures, j’ai continué ma mission qui a pris fin à 11 heures. Cette escorte s’est déroulée sans autre incident. »

[4] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, témoignage d’Henri Rollin : «  Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[5] De l’Hôtel Matignon au Frontstalag 122 : témoignage de Marcel Stiquel (déporté au KLSachsenhausen le 24 janvier 1943). Son récit fait état de 87 internés (la liste en comporte 88) et d’un départ d’Aincourt étalé sur deux jours : les 27 et 28 juin 1941 (voir note ci-dessus).