JPEG - 77.1 ko
Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz. 
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Roger Debarre naît le 30 juin 1921 à Roye (Somme – 80).

Au moment de son arrestation, il est domicilié à Tergnier-Quessy (Aisne – 02) ; son adresse reste à préciser.

Roger Debarre est coiffeur.

Pendant ses loisirs, il est radio-amateur.

Sous l’occupation, à 19 ans, il fait partie d’un groupe de jeunes résistants de le région de Tergnier apparenté au Front national [1], sans appartenir lui-même au Parti communiste. Entre autres actions, son groupe effectue des sabotages sur les lignes électriques du secteur.

Peu avant le 1er mai 1942, le groupe ternois, alors dirigé par Anselme Arsa, décide d’organiser une journée d’action en pavoisant les rues avec des oriflammes accrochés dans les lignes téléphoniques.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, la brigade de gendarmerie est « alertée sur une distribution de tracts ». Une patrouille surprend Charles Lépine et Jean Toussaint, « porteurs de banderoles rouges ornées de la faucille et du marteau [ainsi que] de pots de peinture rouge. Les gendarmes récupèrent des tracts sur la voie publique et sept banderoles à Quessy et Fargniers. Une perquisition à lieu chez Toussaint… »

Cette nuit-là ou le lendemain, Roger Debarre et Fernand Bouyssou sont également arrêtés.

Ainsi qu’en rend compte le commissaire de la ville, l’effort de propagande n’est pas resté sans effet : « Soirée animations inaccoutumées à Tergnier : vers 18 heures, de nombreuses personnes sont passées devant la mairie […] répondant ainsi à l’initiative de la radio anglaise et de tracts : 800 personnes en une heure de temps. Une délégation d’employés SNCF est reçue en mairie. À 18h30, un rassemblement d’une trentaine d’hommes est dispersé place de la mairie »

Le 2 mai, Roger Debarre est écroué avec ses camarades à la Maison d’arrêt de Laon (02). Le 6 mai, la Cour spéciale d’Amiens prononce un jugement condamnant Fernand Bouyssou à trois ans d’emprisonnement et à 1200 francs d’amende, et Roger Debarre, Charles Lépine et Jean Toussaint à un an d’emprisonnement et à 1200 francs d’amende chacun.

Le 21 mai, remis aux autorités d’occupation à leur demande, Roger Debarre – comme probablement ses trois camarades – est transféré au quartier allemand de la prison.

Il est rapidement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). C’est dans ce camp qu’il adhère au Parti communiste clandestin.

JPEG - 92.3 ko
Le camp vu depuis le mirador central. 
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué 
par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”) 
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Entre le 6 mai et la fin juin, Roger Debarre est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

JPEG - 145.8 ko
Les deux wagons à bestiaux 
du Mémorial de Margny-les-Compiègne, 
installés sur une voie de la gare de marchandise 
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

Soixante kilomètres au nord-est de Compiègne, la voie ferrée passe à côté des Laminoirs et Aciéries de Beautor, où travaille le père de Roger Debarre. Le jeune homme guette, par la lucarne, le moment propice pour lancer la lettre qu’il a rédigé. Un cheminot la ramasse et l’apporte à son destinataire dans la demi-heure qui suit, ce qui en fait le premier message du convoi arrivé à destination.

JPEG - 107.8 ko
Beautor. La voie ferrée passant près des aciéries et laminoirs.
Carte postale non datée (années 1900). Coll. Mémoire Vive.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée. Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

doc743

Le 8 juillet 1942, Roger Debarre est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46231 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard). Le coiffeur hollandais qui le rase la tête lui conseille de ne pas dire sa véritable profession, mais de se déclarer plutôt comme radio-électricien.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

JPEG - 174.4 ko
Portail du sous-camp de Birkenau, secteur B-Ia, semblable 
à celui du secteur B-Ib par lequel sont passés tous les “45000”.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, notamment sur leur métier, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Roger Debarre est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Grâce à sa fausse déclaration de profession, il est affecté au Kommando des électriciens.

Au début d’octobre 1942, malade, il est admis à l’infirmerie du camp, au Block 21. Ayant appris que d’autres français s’y trouvent, il parcours les chambrées jusqu’à retrouver son compagnon d’arrestation, Jean Toussaint. Atteint de gangrène après avoir eu la jambe cassée sur un chantier, celui-ci est bientôt sélectionné pour la chambre à gaz, vers laquelle il part en chemise dans un camion [2].

JPEG - 130 ko
Chargement des morts et mourants pour les Krematoriums 
de Birkenau. Dessin de François Reisz, extrait deTémoignages 
sur Auschwitz
 édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz 
au 4e trimestre 1946.

Sélectionné lui-même à trois reprises comme “inapte au travail”, Roger Debarre est sauvé à deux reprises par le kapo de son Kommando de travail.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis. La première lettre envoyée par Roger Debarre à ses parents leur arrive le 20 juillet. Lui-même reçoit le 10 août leur réponse postée le 23 juillet et un premier colis le 12 août. Un deuxième colis mettra cinq semaines à lui parvenir.

JPEG - 148.8 ko
Lettre envoyée par Roger Debarre à sa famille à l’automne 
1943, alors qu’il se trouve au Block 11 (chambrée n° 1) 
d’Auschwitz-I. La date du 7 novembre 1943 y est inscrite. 
Droits réservés.

À la mi-août 1943, Roger Debarre est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

JPEG - 116 ko
Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres 
partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blockset Kommandos d’origine.

Dans cette période (du 27 janvier au 9 avril 1944), Roger Debarre ne reçoit plus les lettres que sa mère lui envoie pourtant régulièrement.

Un jour qu’il se trouve – seul Français – dans une équipe de travail emmenée sous escorte hors du camp, il croise une colonne de soldats portant l’uniforme allemand et qu’il remarque parce qu’ils chantent La Madelon : déprimé sur le moment, il apprendra plus tard qu’il pouvait s’agir soit d’une unité de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF), soit d’une compagnie de la division Charlemagne des Waffen SS.

Le 3 août 1944, Debarre est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 28 août 1944, il est dans le petit groupe de trente-et-un détenus dont vingt-neuf “45000” [3] transférés au KL [4] Flossenbürg (Haut-Palatinat bavarois, proche de la frontière tchèque) et enregistrés dans ce camp le 31 août (matr. n° 19907).

Là, il assiste à la disparition de Louis Paul, de l’Oise, qu’il a connu à Compiègne. Alors qu’il se rend auBlock où est affecté celui-ci, il apprend qu’épuisé il a été admis au Revier [5]. Là, il le cherche avec d’autres camarades sans le retrouver. Plus tard, il apprend sa mort par un détenu italien du secrétariat du camp.

Pendant l’hiver, lui-même contracte le typhus et, très affaibli, doit se rendre à son tour au Revier. Un médecin tchèque détenu modifie sa feuille de température afin de masquer sa forte fièvre, ce qui lui permet d’y rester trois semaines.

Renvoyé dans le camp par le médecin SS pour y travailler, son chef de Block ignore volontairement sa présence dans le bâtiment afin de lui éviter de partir en Kommando. Ainsi planqué pendant près d’un mois, il récupère quelques forces.

Le 23 avril 1945, la colonne de détenus évacués de Flossenbürg dans laquelle il se trouve est libérée par les troupes américaines dans les environs de Hinsdorf.

Le 15 juin, il est de retour en France, passant par le centre de rapatriement de l’Hôtel Lutetia à Paris.

À son retour, comme d’autres rescapés, Roger Debarre assume la difficile tâche de renseigner les familles des disparus. Ainsi, le 14 juin 1945, il écrit à l’épouse de Louis Paul pour lui annoncer la mort de son mari.

Il s’implique dans la mise en place d’une stèle commémorative à Quessy où sont inscrits les noms de ses camarades Paul Caille et Fernand Bouyssou.

Roger Debarre décède le 15 août 1997.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 13 (document) et 14, 90, 99, 120, 150 et 153, 183, 239, 241, 248, 250, 278, 346 et 347, 358, 360 et 401 ; citant notamment le témoignage de R. Debarre écrit à Quessy le 4 février 1946. 
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein-FMD, Paris nov. 2000, pages 409 et 410, 427, 446 et 447, 462. 
- Roger Arnould, Les témoins de la nuit, collection L’enfer nazi en quatre volumes publiée par la FNDIRP, 2e édition avril 1979, page 46. 
- Vincent Debarre, son petit-fils, message du 6-02-2008. 
- Alain Nice, La guerre des partisans, Histoire des Francs-tireurs partisans français, Histoire de la Résistance ouvrière et populaire du département de l’Aisne, édition à compte d’auteur, janvier 2012, pages 18-19, 25, 48. (commande à adresser à Alain NICE – 9 rue de la Tour du Pin – 02250 BOSMONT-SERRE). 
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen, recherches de Ginette Petiot (message 01-2014), dossier de Roger Debarre « non trouvé ».

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 28-01-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942

[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).

[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

[3] Les deux autres détenus du transport du 28 août 1944 sont un Polonais, Roman Sendal (62537), et un Français, Raymond Odouard, né le 3 février 1897 à Tours (37), déporté de Compiègne le 16 avril 1943 vers le KL Mauthausen, puis transféré au KL Buchenwald, puis à Lublin avant d’arriver à Auschwitz(190 552). Il mourra au KL Flossenbürg (19 893) le 30 octobre 1944.

[4] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[5] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemandHäftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.