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Collection Jean Daniel. Droits réservés.

Joseph, Marie, DANIEL, naît le 14 septembre 1902 à Saint-Nazaire (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique [1] – 44), dans le quartier des « Prévôts » à Saint-Nazaire, îlot vétuste où résidaient autrefois les officiers et l’administration de la Marine Royale. Fils de Jean Daniel et de Louise Lepostellec, il est est l’aîné de trois enfants.

Joseph Daniel obtient son diplôme d’ajusteur-outilleur aux Chantiers de l’Atlantique à Penhouët, où il travaille jusqu’à la crise économique des années 1920.

 

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Les chantiers de l’Atlantique à Penhouet, après 1945.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

En 1924, la famille vient à Paris pour chercher du travail et s’installe au 26, rue Julie dans le 14e arrondissement (aujourd’hui rue de l’abbé-Carton).

Les activités syndicales de Joseph Daniel l’exposent à la répression patronale : il travaille successivement chez Bréguet, rue Didot dans le 14e, puis chez Renault à Boulogne-Billancourt (Seine / Hauts-de-Seine – 92).

Boulogne-Billancourt. Place Jules-Guesde. Carte postale écrite le 16 novembre 1942. Coll. Mémoire Vive.

Boulogne-Billancourt. Place Jules-Guesde.
Carte postale écrite le 16 novembre 1942. Coll. Mémoire Vive.

À la suite de son mariage avec Adrienne Larrouy, il emménage au 89, rue du Château, toujours dans le 14e.

En mai 1936, il est embauché comme ajusteur aux établissements Sanders de Gentilly (Seine / Val-de-Marne – 94), usine qui fabrique des caisses enregistreuses sous licence américaine. Il est affecté à l’atelier de montage.

Gentilly. La station de la « ligne de Sceaux » (R.E.R. ligne B).. L’usine Sanders occupait le bâtiment visible à droite et qui existe encore aujourd’hui (2023). La fille de Marceau Baudu se souvient que son père lui faisait parfois signe par une lucarne quand elle prenait le train pour Paris sur le quai situé à gauche en contrebas. Carte postale oblitérée en 1935. Collection Mémoire Vive

Gentilly. La station de la « ligne de Sceaux » (R.E.R. ligne B)..
L’usine Sanders occupait le bâtiment visible à droite et qui existe encore aujourd’hui (2023).
La fille de Marceau Baudu se souvient que son père lui faisait parfois signe par une lucarne
quand elle prenait le train pour Paris sur le quai situé à gauche en contrebas.
Carte postale oblitérée en 1935. Collection Mémoire Vive

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La section syndicale CGT Sanders réunie à Paris, fin des
années 1930. Parmi eux, plusieurs futurs déportés :
G. Abramovici, J. Daniel, M. Baudu, R. Salé, F. Joly.
Collection Jacqueline Lefebvre. Droits réservés.
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André Girard et Joseph Daniel. Sans date.
Collection Jean Daniel. Droits réservés.

Pendant l’occupation, cette entreprise – filiale d’un groupe franco-allemand (La Nationale Groupe) – travaille en partie pour la production de guerre de l’occupant (fabrication de compteurs).

Malgré les premières exécutions massives d’otages d’octobre 1941 – parmi lesquels nombre de militants ouvriers – le noyau clandestin de l’usine poursuit la résistance sous sa forme syndicale.

Le 9 février 1942, plusieurs militants déclenchent un arrêt de travail pour protester contre le rejet du cahier de revendications qu’ils ont fait déposer par le délégué officiel du personnel quelques jours plus tôt. Ce mouvement ne dure qu’un quart d’heure. Mais le directeur et son adjoint décident de prévenir le commissariat de police de secteur, implanté à Gentilly, et dressent une liste de treize meneurs supposés.

Alertée, c’est la première section des Renseignements généraux (RG) qui prend en charge la répression et procède aux arrestations à l’aube du 11 février. Deux militants, chez qui ont été trouvés divers documents liés à leur activité militante avant l’occupation, seront interrogés le lendemain par l’inspecteur David, puis jugés, condamnés et passeront le reste de la guerre en prison et en camp (échappant ainsi paradoxalement à la mort).

Deux autres sont libérés parce qu’inconnus jusque-là des RG.

Suspects d’infraction au décret du 18 novembre 1939, les neuf restants – Georges Abramovici [2], Marceau Baudu, Fernand Boussuge, Joseph Daniel, Louis Gaillanne, André Girard, Francis Joly, Frédéric Rancez et René Salé – sont écroués à 19h45 au dépôt de la préfecture de police comme “consignés administratifs”.

Le 16 avril à 7 h 30 – après être restés deux mois à la Conciergerie -, ils sont transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir – 28).

Joseph Daniel est donc arrêté à son domicile le 11 février à 6 h du matin et conduit pour interrogatoire à la préfecture de police de Paris, où il est déjà fiché aux R.G. comme « militant actif et propagandiste ». À Voves, il est enregistré sous le matricule n° 98.

Entrée du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943. © Musée de la Résistance Nationale, Champigny, fonds de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé.

Entrée du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943.
© Musée de la Résistance Nationale, Champigny, fonds de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé.

Le 10 mai 1942, huit ouvriers de la Sanders font partie d’un groupe de 81 internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre la fin avril et la fin juin 1942, Joseph Daniel est sélectionné – avec les sept autres ouvriers de la Sanders – parmi plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Comme les déportés d’autres convois, la plupart d’entre eux jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches : celui de Joseph Daniel est parvenu ses destinataires.

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Collection Jean Daniel. Droits réservés.

6/7/ [6 juillet 1942]

Chères Suzanne et Lucienne.

Je quitte Compiègne ce matin avec 1200 camarades, c’est la déportation. Les cheminots nous ont dit que le train va en direction des Ardennes mais après ? Les uns pensent vers l’Allemagne, d’autres la Belgique ; peu nous importe, on s’en fout royalement. Ne croyez pas qu’il règne dans les wagons une atmosphère de tristesse, pas du tout, tous ceux qui sont là en grande majorité n’ont rien à se reprocher, sauf de vouloir un monde meilleur.

Notre séjour à Compiègne a été très pénible, tout au moins au point de vue de la nourriture. Heureusement ces deux dernières semaines les colis commençaient à arriver et, aussi en prévision du voyage sans doute, la ration avait augmenté, mais pendant un mois, le soir, ce qu’exclusivement nous avons mange : midi soupe sans rien d’autre, 4 heures ration de pain 1/6 de boule et une cuillère à soupede margarine ou de confiture c’est tout. et ainsi tous les jours. Mais ces deux dernières semaines avec les colis et l’amélioration, je me suis bien retapé et c’est en bonne condition tant physique que morale que je quitte Compiègne, ce sont toutefois de dures épreuves.

Le train roule c’est très difficile d’écrire.

J’espère que cette lettre vous parviendra. J’ai essayé pour Adrienne aussi, en tout cas Suzanne si oui renseignes-toi. Si elle a reçu la sienne et qu’elle ne se casse pas la tête pour les nouvelles… Je n’ai reçu qu’une carte d’elle à Compiègne pendant 1 mois 1/2. Les lettres sont sucrées ça ne fait rien. L’important c’est de ramener ses os.

Et vous j’espère que ça va. C’est bien la seule consolation que j’ai de penser que mon cher petit Jean est à l’abri de toutes ces horreurs grâce à toi Lucienne. Ce qu’il a dû changer. Tendres bises sur son petit minois et affectueux baisers à celles qui le soignent si bien.

Nous avons touché trois jours de vivres. Sans doute nous allons assez loin, car le train roule à bonne allure.

Bonjour à toute la famille.

Jo


Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Joseph Daniel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45421, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Joseph Daniel.

Il meurt à Auschwitz le 16 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [3] : la cause mentionnée est « Hydropisie du coeur » (œdème cardiaque) ; « Herzwassersucht ».

En France, peu de temps après la Libération – et sans connaître le sort des disparus – le Comité d’épuration de l’usine Sanders de Gentilly est à l’initiative d’un procès qui aboutira devant la Cour de Justice de la Seine.

Dans une lettre datée du 8 mai 1945 et envoyée du camp de Dachau où il vient d’être libéré, Francis Joly – unique rescapé du groupe – informe son épouse du sort de ses collègues. Rapatrié en France au cours du procès, il témoigne devant le tribunal le 19 mai 1945.

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La Vie Nouvelle, hebdomadaire communiste du canton,
datée du 2 juin 1945. Le sort de Georges Abramovici,
séparé de ses camarades au camp de Voves,
n’est pas connu. Le journal s’inquiète également
pour trois conseillers municipaux de Gentilly
déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
Archives communales de Gentilly.

Le 10 mai 1946, la procédure judiciaire engagée contre les deux membres de la direction responsables de la délation se termine par leur acquittement.

Après la guerre, le personnel de l’usine dédie une plaque commémorative à ses camarades morts en déportation.

En 1961, devenus “La Nationale”, les établissements Sanders déménagent pour le siège de Massy (91) sous l’intitulé N.C.R. (National Cash Register). La plaque suit le transfert de l’entreprise pour être apposée dans le hall d’entrée du restaurant du personnel. Elle y est honorée chaque année. Pour la remplacer à Gentilly, la municipalité a apposé une nouvelle plaque à l’entrée de la rue Benoît-Malon où était située l’usine.

 

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Plaque apposée au carrefour de la rue Benoît-Malon
et de la rue Paul-Vaillant-Couturier. Le quatrième inscrit,
Roger Chaize, sans doute ouvrier de la Sanders et mort
en France, est inscrit par erreur. Photo Mémoire Vive.

Les déportés de la Sanders ont également leurs noms gravés sur le monument de la Déportation situé dans le carré militaire du cimetière de Gentilly.

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Carré militaire (1939-1945 et après) du cimetière de Gentilly.
Monument aux Résistant déportés « tous combattants
de la liberté
 ». Photo Mémoire Vive.

Joseph Daniel est homologué comme “Déporté politique”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du x-03-1988).

Notes :

[1] Loire-Atlantique : département dénommé “Loire-Inférieure” jusqu’en mars 1957.

[2] Georges Abramovici, né le 15 août 1914 à Paris, demeurant au 11, rue du Chaperon Vert à Gentilly, entré à la Sanders le 19 avril 1938, est un militant syndical très actif. Mais d’abord considéré comme Juif, il sera envoyé au camp de Drancy le 20 octobre, puis déporté dans un convoi du génocide le 4 novembre 1942 (transport n° 40, dont seulement un tiers des détenus entre dans le camp).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 64, 372 et 400.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Questionnaire rempli par son fils Jean – Archives de la Mairie de Gentilly – Témoignage de René Aondetto – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Frédéric Couderc, Les RG sous l’occupation : quand la police française traquait les résistants, Olivier Orban, Paris 1992, pages 39 à 43.
- Archives de la préfecture de police de Paris, registre d’écrou du dépôt (n° 518).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès du camp.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 210 (30919/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 1-11-2011)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.