CORTICCHIATOportraitCadre

Collection familiale. Droits réservés.

Collection familiale. Droits réservés.

Jean-Antoine Corticchiato naît le 20 mai 1909 à Ajaccio (Corse), fils de Joseph-Antoine, Corticchiato, 34 ans, cordonnier puis marin, et d’Annonciade ou Nonciade Ricci, 29 ans, domiciliés au 29, rue Fesch. Ses parents se marient le 11 février 1911. Jean-Antoine a, entre autres, un frère, Jean-Jérôme.

Sachant lire et écrite, Jean-Antoine possède une formation d’électricien. Il restera célibataire.

Pendant un temps, il habite chez sa mère et travaille à la Société Corse d’Industries Réunies (SCIR), créée en août 1921 et dont le siège social est  situé sur la route des Sanguinaires.

Le 24 mars 1930, vers minuit, il est interpellé devant son domicile par une patrouille de police alors qu’il rentre bruyamment, raccompagné par quelque amis. Le lendemain, il est condamné à 20 jours de prison avec sursis pour ivresse manifeste, voies de faits, menaces et outrage à agents dans l’exercice de leurs fonctions.

En 1938, il habite au 13, rue Victor-Massé, dans le 9e arrondissement de Paris. Le 12 février, Jean-Antoine Corticchiato, dit alors “Napoléon”, est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (13e division), Paris 14e, inculpé de possession de substances vénéneuses (héroïne et cocaïne) et de port d’arme prohibée (deux mois avec sursis). Il est détenu sept ou huit mois, pour trafic de stupéfiants.

Le 26 janvier 1940, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif au motif qu’il est un individu dangereux pour la sécurité publique. En mars, il est assigné au camp du Fort de Vaujours, considéré comme « incorporé » et passant sous le contrôle de l’autorité militaire, attendant d’être dirigé sur une « formation spéciale ».

Le 12 septembre suivant, il s’évade du centre de séjour surveillé de Mons (Puy-de-Dôme) avec un autre détenu. Dès le lendemain, la police d’Ajaccio reçoit un avis de recherche.

Le 19 novembre, Jean-Antoine Corticchiato comparaît – seul – devant la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine pour infraction à l’article 4 du décret du 18 novembre 1939, réprimant l’évasion depuis un centre de séjour surveillé. Le tribunal le condamne à quatre mois d’emprisonnement. Son dernier domicile connu est le 27, rue de Douai, une voie parallèle au boulevard de Clichy, à Paris 9e.

Selon le journaliste spécialisé Christian Chatillon, Jean-Antoine Corticchiato est arrêté le 12 février 1942 pour port d’arme lors d’une “descente” de la Brigade mondaine dans un bar proche de la place Pigalle, chez “Fanfan”. Le 2 avril, il est écroué au dépôt. Il se déclare alors comme « barman ».

Le 5 mai suivant, il fait partie des 14 internés administratifs de la police judiciaire (dont au moins onze futurs “45000”) qui sont conduits avec 37 communistes à la gare du Nord, « à la disposition des autorités allemandes et dirigés sur Compiègne par le train de 5h50 » pour être internés au camp de Royallieu (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, Jean-Antoine Corticchiato est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler). Jean-Antoine Corticchiato fait partie des quelques hommes du convoi déportés comme “associaux”.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandises
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures. De petite taille, mais excellent gymnaste, sélectionné au trapèze en championnat, Jean-Antoine Corticchiato tente de s’évader avec Julien Becet en gare de Metz (devenue ville-frontière). Mais lui-même est aussitôt repéré et repris, durement frappé et placé sous étroite surveillance des SS – dans le wagon de tête – jusqu’à la fin du trajet (selon plusieurs témoignages dont celui de Marcel Cimier).

La gare de Metz. Carte postale non datée. Coll. Mémoire Vive.

La gare de Metz. Carte postale non datée. Coll. Mémoire Vive.

Le convoi repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi.

Le 8 juillet 1942, Jean-Antoine Corticchiato est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45400 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée). Sa photo d’immatriculation, retrouvée, montre une marque de coup sur l’aile droite du nez, probablement reçu après sa tentative d’évasion du convoi.

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils doivent déclarer une profession, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Jean-Antoine Corticchiato est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Là, il est assigné au Block 15.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août 1943, J.-A. Corticchiato est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées.
Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel – qui découvre leur présence -, et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

À la fin de l’été 1944, J.-A. Corticchiato est parmi les trente-six “45000” qui restent à Auschwitz, alors que les autres survivants sont transférés vers d’autres camps.

Entre le 18 et le 25 janvier 1945, lors de l’évacuation d’Auschwitz, il est parmi les vingt “45000” incorporés dans les colonnes de détenus évacuées vers le KL [1] Mauthausen (matricule nº 116625).

Le 28 ou 29 janvier, Jean Corticchiato est parmi les douze “45000” qui sont affectés au Kommando de Melk. Le 15 ou 17 avril, ce groupe est évacué en marche forcée vers Ebensee, province de Salzbourg, où des usines souterraines sont en cours d’aménagement. Le 6 mai 1945, ce camp est parmi les derniers libérés, par l’armée américaine.

Jean Corticchiato refuse de quitter son ami, Jean Pollo, très malade et intransportable, qui doit le convaincre de partir sans lui.

Le 24 mai, il est rapatrié via Metz, dans des camions militaires de la division Leclerc.

« Napoléon » passe par l’hôtel Lutétia, à Paris, où André Montagne l’entrevoit quelques instants.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

Le 13 décembre 1945, vers 2 h 50 du matin, Jean Corticchiato serait responsable de la mort d’Adrien Caïetti, un petit truand, gérant et barman de L’Équipage, 17 rue Duperré (débouchant sur la place Pigalle), à Paris, tué d’une balle de 6,35 mm dans la nuque après la fermeture de l’établissement ; un meurtre probablement commandité par François Lucchinacci, dit Le Notaire.

Le 21 août 1946, sur le cours Napoléon à Ajaccio, “Napoléon” Corticchiato est visé par plusieurs coups de feu qui ne font que le blesser.

Ajaccio. Le cours napoléon après-guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Ajaccio. Le cours napoléon après-guerre.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Interrogé par la police, il déclare ne pas pouvoir désigner son agresseur. Mais une rumeur circule selon laquelle le commanditaire de l’opération serait Ange Salicetti, dit le Séminariste, truand de la “Corse montmartroise”, véritable propriétaire de L’Équipage et “beau-frère” d’Adrien Caïetti.

Le porche de la Chapelle Impériale, dans la rue Fesch. Le n° 48 est situé un peu plus loin sur le même trottoir.

Le porche de la Chapelle Impériale, dans la rue Fesch. Aujourd’hui, le n° 48 est situé
un peu plus loin sur le même trottoir. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 28 janvier 1947, vers 22 heures, après venu boire un pastis au comptoir et discuter avec les gérants d’un petit bar d’Ajaccio, Le Paganelli, situé au 48, rue (du Cardinal) Fesch, proche de la Chapelle Impériale et du domicile de sa mère, Jean-Antoine Corticchiato est atteint en sortant par trois balles de 9 m/m tirées depuis l’extérieur. Apercevant sans doute son meurtrier, “Napoléon” a le temps de sortir un pistolet automatique 12 m/m de la gaine qu’il porte à la ceinture, mais sans pouvoir en faire usage. Tué sur le coup, il s’effondre au pied du bar. Arrivés rapidement sur les lieux, des gardiens de la paix notent qu’il est vêtu d’un complet marron, d’un pardessus et d’un feutre. Dans son portefeuille, les policiers trouvent un article découpé du journal Nice-Matin, rubrique d’Ajaccio, relatant l’incident ayant eu lieu cours Napoléon dans la soirée du 21 août précédent.

Jean-Antoine Corticchiato est enterré deux jours plus tard, entouré de sa nombreuse famille. Le faire-part publié dans Le Patriote, quotidien du Front National [1] de Corse, le désigne comme « déporté du camp d’Auschwitz ».

Le 17 juin suivant, un inspecteur de Sûreté d’Ajaccio rend compte au commissaire central de police que « toutes les recherches faites en ville en vue de retrouver le ou les auteur du meurtre […] sont restées sans résultat ».

Selon Christian Chatillon, finalement interpellé par la police, le tireur se révèle avoir géré L’Équipage après le meurtre d’Adrien Caïetti et être un cousin d’Ange Salicetti, lequel ne sera pas inquiété [2]. Le 14 mai 1948, le “Notaire” est abattu à son tour dans le bar Le Manouche.
Jean Corticchiato est homologué comme “Déporté politique” en 1963, après un premier rejet en 1956.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 358, 371 et 400.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier statut) – Témoignages d’André Montagne, Émile Bouchacourt, Jean Pollo (15-2-1991), rescapés du convoi – État civil d’Ajaccio.
- Journal de Marcel Cimier, Les incompris, publié en 1995 par les archives départementales et le conseil général du Calvados dans un recueil de témoignages rassemblés par Béatrice Poule dans la collection Cahiers de Mémoire sous le titre Déportés du Calvados, pages 82-115 (page 88 pour l’évasion de Metz).
- Mairie d’Ajaccio, registres d’état civil, recherches de Paul Filippi préalables à la réalisation son film documentaire Ce qu’il en restera, diffusé le 25 mars 2016 dans l’émission Ghjenti sur France 3 Corse ViaStella.
- Archives de Paris, archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 2 décembre 1940 au 25 février 1941 (cote D1u6-5852).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris, site du Pré-Saint-Gervais ; cartons “occupation allemande”, internés aux camps de Vaujours… – Tourelles (BA 1837).
- Christian Chatillon, Le séminariste, l’empereur de Pigalle, biographie d’Ange Salicetti, Les Portes du Soleil éditeur, octobre 2010, pages 233-242, 267-269, 273-274, 361-365.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 21-03-2016)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[2] Après avoir miraculeusement échappé a une première tentative de meurtre le 27 août 1949 lors des obsèques d’un ami truand, Ange Salicetti est tué par une rafale de mitraillette le 3 décembre 1950 à l’aube, Porte de Pantin, dans la voiture conduite par sa femme, meurtre probablement commandité par Jo Renucci, chef du clan adverse.