Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Roger, Ernest, Alphonse, Cerveaux naît le 3 novembre 1901 à Reims (Marne), chez ses parents, Alphonse Cerveaux, 32 ans, cocher, et Irma Picard, 29 ans, son épouse, couturière, domiciliés au 44, rue de Neufchâtel.

Plus tard, domicilié avec sa mère au 31 rue Bonaparte à Paris 6e (son père étant resté à Reims), Roger Cerveaux commence à travailler comme typographe.

Appartenant à la classe 1921 pour effectuer son service militaire, il est ajourné deux ans de suite pour « faiblesse ». Le 13 mai 1923, il est incorporé au 97e régiment d’infanterie, qu’il rejoint deux jours plus tard ; cette unité participant à l’occupation des Pays Rhénans. Le 14 novembre 1923, Roger Cerveaux est nommé caporal. Le 2 mai 1924, il est renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite et se retire au 31 rue Bonaparte à Paris.

Le 14 octobre 1924 à Paris 14e, Roger Cerveaux se marie avec Raymonde Denelle, 20 ans, brocheuse.

Au printemps 1926, le couple habite au sentier de Bourg-la-Reine à Fontenay-aux-Roses (Seine / Hauts-de-Seine).

Le 22 juillet 1926. Raymonde accouche à leur domicile d’un enfant né sans vie ; elle décède chez elle le 20 septembre suivant.

Le 9 juillet 1927 à Breteuil (Oise – 60), Roger Cerveaux épouse Madeleine Denant, née le 11 juillet 1899 à Breteuil, pour laquelle il s’agit aussi d’un second mariage. Ils n’ont pas d’enfant.

En février 1928, Roger Cerveaux déclare habiter au 164 rue de Belleville à Paris.

En juin 1929, le couple habite au 54, rue Voltaire à Breteuil [1]. Au printemps 1931, le couple est recensé au n° 60 dans la même rue. Roger Cerveaux est alors typographe chez Dubois et Bauer (probablement au 34, rue Laffitte à Paris 9e).

Fin mai 1933, Roger Cerveaux déclare une adresse au 4 rue de Bourbon-le-Château à Paris 6e. En mai 1934, il habite au 30 rue Ordener à Paris 18e.

Plus tard, il travaille à l’imprimerie de L’Humanité à Paris, raison pour laquelle il a une seconde adresse dans le 8e arrondissement, au 31, rue Bonaparte (déclarée en février 1938).

Lors des élections cantonales d’octobre 1937, le Parti communiste le présente comme candidat au Conseil d’arrondissement dans la circonscription de Breteuil-sur-Noye.

Au moment de son arrestation, il est toujours domicilié à Breteuil (au 60, rue Voltaire ?).

« Président de cellule » selon la police, il se présente à diverses élections cantonales dans l’Oise, notamment à celle de 1937 à Breteuil.

« Propagandiste ardent, militant convaincu, il [est] l’agent de liaison du Parti entre la capitale et l’Oise », selon un rapport ultérieur des Renseignements généraux (RG).

Le 26 septembre 1938, il est rappelé à l’activité et affecté au 149e R.I.F., puis renvoyé dans ses foyers le 5 octobre suivant.

Le 24 août 1939, il est rappelé à l’activité militaire, affecté au dépôt d’infanterie n° 63, rejoignant le corps deux jours plus tard.

Au retour, en juin 1940, n’ayant pas été fait prisonnier, il trouve un emploi de vendeur (?).

Le 20 octobre 1941, le commissaire de police spécial de Beauvais remet une liste des communistes de l’arrondissement à la Kreiskommandantur. Roger Cerveaux y est inscrit avec un autre habitant de Breteuil.

Le 21 octobre, Roger Cerveaux est arrêté puis rapidement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central. Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”) Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le 20 février 1942, le chef de la Feldkommandantur 580 à Amiens (Somme) – ayant autorité sur les départements de la Somme et de l’Oise – insiste auprès du préfet de l’Oise, Paul Vacquier [2], afin que la fiche de chaque interné du Frontstalag 122 pour activité communiste demandée à l’administration préfectorale indique « son activité politique antérieure (très détaillée si possible), ainsi que les raisons qui militent pour ou contre sa prompte libération du camp d’internement ».

Le 10 mars, le préfet de l’Oise écrit au Ministre secrétaire d’État à l’Intérieur pour lui transmettre ses inquiétudes quant à cette demande : « Étant donné que parmi les internés du camp de Compiègne une vingtaine déjà ont été fusillés en représailles d’attentats commis contre les membres de l’armée d’occupation, il est à craindre que ces autorités aient l’intention de se servir de mon avis pour désigner de nouveaux otages parmi ceux pour lesquels j’aurais émis un avis défavorable à la libération. Me référant au procès-verbal de la conférence des préfets régionaux du 4 février 1942, qui précise “qu’en aucun cas les autorités françaises ne doivent, à la demande des autorités allemandes, procéder à des désignations d’otages”, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me donner vos directives sur la suite qu’il convient de réserver à la demande dont je suis saisi… »

Le 3 avril 1942, répondant à une démarche de Madeleine Cerveaux qui récuse toute activité politique de son mari depuis 1936, le commissaire principal aux Renseignements généraux de l’Oise estime quant à lui que « Cerveaux a un passé politique trop marqué pour que son retour soit désirable », et « que toute démarche en faveur de sa libération serait inopportune à l’époque actuelle. » Quatre jours plus tard, le préfet de l’Oise répond dans le même sens à Fernand de Brinon [3] qui l’interrogeait sur la suite pouvant être donnée à cette requête.

Le 13 avril, le commissaire principal aux renseignements généraux transmet au préfet de l’Oise soixante-six notices individuelles concernant des individus internés au Frontstalag 122 à Compiègne, dont dix-neuf futurs “45000”. Sur celle qui le concerne, à la rubrique « Renseignements divers », Roger Cerveaux est qualifié de « très dangereux », n’ayant « rien renié des théories moscoutaires ».

Le 24 avril, Paul Vacquier transmet à la Feldkommandantur 580 des notices individuelles concernant les « personnes internées au camp de Compiègne, figurant sur la liste [qui lui a été] communiquée et domiciliées dans le département de l’Oise » qui mentionnent uniquement « des renseignements concernant l’état civil, la parenté et la situation matérielle ».

Enfin, le 29 juin, le préfet de l’Oise écrit à la Feldkommandantur 580 pour essayer d’obtenir la sortie du Frontstalag 122 de soixante-quatre ressortissants de son département – dont Roger Cerveaux – au motif « qu’aucun fait matériel d’activité communiste n’a été relevé à leur encontre depuis l’arrivée des forces allemandes dans la région », envisageant la possibilité d’interner certains d’entre eux « dans un camp de concentration français ». Sa démarche ne reçoit pas de réponse.

Le mal est probablement déjà fait : quand elles ont procédé à des arrestations dans l’Oise entre juillet et septembre 1941, les forces d’occupation ne disposaient-elles pas déjà d’informations et d’appréciations transmises par certains services de la police française ? N’en ont-elles pas obtenu d’autres par la suite ? Le préfet craignait la fusillade. Ce sera la déportation.

Entre fin avril et fin juin 1942, Roger Cerveaux est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Roger Cerveaux est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45348 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Roger Cerveaux.

Il meurt à Auschwitz le 10 août 1942, d’après le registre d’appel (Stärkebuch) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebucher) [4] ; un mois après l’arrivée de son convoi, le même jour que dix-neuf autres “45000”.

Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Breteuil. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 20-11-1987).

Notes :

[1] Breteuil, parfois dénommée Breteuil-sur-Noye. Le 7 mai 1940, juste avant d’investir la ville, l’armée allemande la bombarde. À l’exception de quatre maisons, l’intégralité du centre ville est détruit, la quasi-totalité des rues Voltaire et Raoul-Levasseur étant rasées.

[2] Paul Vacquier, nommé préfet de l’Oise le 22 mai 1940, au début de l’offensive allemande, cherche ensuite à maintenir un semblant de souveraineté française à l’échelon local, ce qui lui vaut son départ le 30 octobre 1942.

[3] (De) Brinon : ancien journaliste et “ultra” de la collaboration, Fernand (de) Brinon était Délégué général du gouvernement de Vichy auprès des autorités militaires allemandes d’occupation. Quand des requêtes étaient formulées par les familles des détenus auprès de l’administration française, la Délégation générale les transmettait à la Commission d’armistice (bipartite), après enquête de la police ou de la gendarmerie pour s’assurer des conditions d’arrestation et de l’honorabilité du détenu. Une lettre était ensuite adressée aux familles sous couvert de l’organisme qui en avait fait la demande : elle leur annonçait que l’intervention avait eu lieu et leur faisait part de la réponse fournie par les autorités allemandes. Ainsi, un très grand nombre de fiches de la Délégation générale portent le nom de “45000” ; surtout après le départ du convoi, le 6 juillet 1942, et l’absence de nouvelles résultant de leur statut “NN” attribué à leur arrivée à Auschwitz. La plupart de ces fiches se trouvent dans les dossiers d’état civil des déportés conservés au BAVCC (anciennement archives du secrétariat d’État aux Anciens Combattants).

[4] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant de Roger Cerveaux, c’est le 15 septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Son nom (orthographié « CERVEANIOZ ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 369 et 398.
- Notice in Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, CD-rom, version 1990-1997, citant : Le Travailleur de Somme et Oise, 8 octobre 1937.
- Ville de Reims, Archives municipales, site internet, archives en ligne : registre des naissances de l’année 1901, acte n° 2188, (vue 622/789).
- Archives départementales de l’Oise, site internet : registre d’état civil de Breteuil, année 1899, acte n°73 (vue 29), registre de recensement de Breteuil (6 Mp 124) année 1931, page 34 (vue 19).
- Site Gallica, Bibliothèque Nationale de France, L’Humanité n° 14077 du mercredi 3 juillet 1937, page 6, “septième liste…”.
- Archives départementales de l’Oise, Beauvais : cote 33W 8253/1, camp de Royallieu, mesures contre les communistes ; cote 141w 1162.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 162 (19384/1942).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre d’appel avec la liste des détenus décédés.
- Site Mémorial GenWeb, 60-Breteuil, relevé de Guy Wexsteen (2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 11-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.