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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Charles, Aristide, Arthur, Bonfils naît le 4 novembre 1887 à Maisoncelles-Tuileries (Oise – 60), fils de Nathalis Bonfils, 20 ans, journalier (coquetier ?), et d’Alphonsine Beaugrand, 18 ans, encarteuse de boutons, alors non mariés et domiciliés Neuve-Rue.  Il aura un frère, Pierre Alphonse Nathalis, né le 18 avril 1888, et une sœur, Angèle, née le 29 novembre 1890, tous deux à Maisoncelle. En 1896, la famille est installée au 62 Grande Rue dans le hameau de Voisinlieu, sur la commune d’Allonne, hébergeant une adule, Adélina, 71 ans. Le père est « chauffeur » (?). À une date restant à préciser, il entre comme mécanicien à la Compagnie des chemins de fer du Nord.

Le 12 août 1908, au dépôt du matériel de La Père, Arthur Bonfils obtient « le certificat d’aptitude prévu par la circulaire du 25 juin 1908 (assez bon ouvrier) ». Le 7 octobre suivant, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 72e régiment d’infanterie, basé à Amiens, afin d’y effectuer son service militaire. Le 25 septembre 1909, il est nommé sapeur. Le 25 septembre 1910, il est envoyé en congé de démobilisation en attendant son passage dans la réserve de l’armée active (prenant effet au 1er octobre) et se retire au 32, rue de l’École maternelle à Voisinlieu [1], près de Beauvais (60), titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 7 octobre 1910, Arthur Bonfils est embauché à la Compagnie des chemins de fer du Nord.

Début janvier 1912, l’armée classe Arthur Bonfils “affecté spécial complémentaire” (5e section de chemins de fer de campagne) comme garde frein de la Compagnie des chemins de fer du Nord. Il habite alors au 7, rue de Montataire, à Creil (60).

Au cours de la première guerre mondiale, du 2 août 1914 au 11 novembre 1918, il semble avoir été mobilisé à son poste de travail comme affecté spécial, l’Oise étant immédiatement à l’arrière du front.

Le 22 décembre 1910, à la mairie d’Allonne (60), Arthur Bonfils épouse Alphonsine Hélène Clément, née le 25 mars 1891 à Saint-Martin-le-Nœud (60), laquelle a un frère jumeau : Alphonse. Ils auront deux enfants : Éliane, née le 31 juillet 1911 à Creil, et Jacques, né le 18 mai 1915 à Marissel, près de Beauvais (commune annexée en 1943).

Lors du recensement de 1921, et probablement jusqu’au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 9, Grande Rue – devenue rue Léon Deude – à Voisinlieu [1] ; une fiche SNCF datée 1947 mentionnera une autre adresse dans la même commune : le 139, route de Paris.

En 1926, Arthur Bonfils est chef de train à Beauvais (sa fille aînée est ouvrière en soie chez Dupont et Cie).

La gare de Beauvais. Carte postale oblitérée en 1935,  mais plutôt éditée dans les années 1920. Coll. Mémoire Vive.

La gare de Beauvais. Carte postale oblitérée en 1935, mais plutôt éditée dans les années 1920. Coll. Mémoire Vive.

En 1931, il est trésorier adjoint du syndicat unitaire (CGTU) des cheminots de Beauvais.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.  Collection Mémoire Vive.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.
Collection Mémoire Vive.

En 1934, il est candidat communiste aux élections cantonales dans le canton de Beauvais-Sud (60) ; en 1938, il est élu Conseiller municipal de Voisinlieu sur une liste de Front populaire.

En février 1940, il est déchu de son mandat pour ne pas avoir publiquement renié son engagement communiste.

Le 20 octobre 1941, le commissaire de police spécial de Beauvais remet une liste des communistes de l’arrondissement à la Kreikommandantur. Charles Bonfils y est inscrit comme militant parmi cinq habitants de Voisinlieu. Il est alors domicilié au 139, route de Paris.

Le 21 octobre, Charles Bonfils est arrêté et rapidement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Il y est enregistré sous le matricule n° 1829.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 20 février 1942, le chef de la Feldkommandantur 580 à Amiens (Somme – 80) – ayant autorité sur les départements de la Somme et de l’Oise – insiste auprès du préfet de l’Oise, Paul Vacquier [2], afin que la fiche de chaque interné du Frontstalag 122 pour activité communiste demandée à l’administration préfectorale indique « son activité politique antérieure (très détaillée si possible), ainsi que les raisons qui militent pour ou contre sa prompte libération du camp d’internement ».

Le 10 mars, le préfet de l’Oise écrit au Ministre secrétaire d’État à l’Intérieur pour lui transmettre ses inquiétudes quant à cette demande : « Étant donné que parmi les internés du camp de Compiègne une vingtaine déjà ont été fusillés en représailles d’attentats commis contre les membres de l’armée d’occupation, il est à craindre que ces autorités aient l’intention de se servir de mon avis pour désigner de nouveaux otages parmi ceux pour lesquels j’aurais émis un avis défavorable à la libération. Me référant au procès-verbal de la conférence des préfets régionaux du 4 février 1942, qui précise “qu’en aucun cas les autorités françaises ne doivent, à la demande des autorités allemandes, procéder à des désignations d’otages”, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me donner vos directives sur la suite qu’il convient de réserver à la demande dont je suis saisi… »

Le 13 avril, le commissaire principal aux renseignements généraux de Beauvais transmet au préfet de l’Oise soixante-six notices individuelles concernant des individus internés au Frontstalag 122 à Compiègne, dont dix-neuf futurs “45000”. Sur la notice qui le concerne – à la rubrique « Renseignements divers » -, Arthur Bonfils (« conducteur de train ») est désigné comme « Ex-membre très actif du Parti communiste. Suspect d’être à l’origine des distributions de tracts dans les trains. N’a rien renié de ses opinions. Doit toujours être considéré comme dangereux ».

Le 24 avril, Paul Vacquier transmet à la Feldkommandantur 580 les notices individuelles des « personnes internées au camp de Compiègne, figurant sur la liste [qui lui a été] communiquée et domiciliées dans le département de l’Oise », et portant uniquement « des renseignements concernant l’état civil, la parenté et la situation matérielle ».

Enfin, le 29 juin, le préfet de l’Oise écrit à la Feldkommandantur 580 pour essayer d’obtenir la sortie duFrontstalag 122 de soixante-quatre ressortissants de son département – dont Arthur Bonfils – au motif « qu’aucun fait matériel d’activité communiste n’a été relevé à leur encontre depuis l’arrivée des forces allemandes dans la région », envisageant la possibilité d’interner certains d’entre eux « dans un camp de concentration français ». Sa démarche ne reçoit pas de réponse.

Le mal est probablement déjà fait : quand elles ont procédé à des arrestations dans l’Oise entre juillet et septembre 1941, les forces d’occupation ne disposaient-elles pas déjà d’informations et d’appréciations transmises par certains services de la police française ? N’en ont-elles pas obtenu d’autres par la suite ? Le préfet craignait la fusillade. Ce sera la déportation.

Entre fin avril et fin juin 1942, Arthur Bonfils est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Arthur Bonfils est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45268 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Arthur Bonfils.

Il meurt à Auschwitz le 27 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; il a presque 55 ans.

Son nom est inscrit sur le monument aux morts d’Allonne, au milieu du nouveau cimetière, et sur la stèle commémorative de la SNCF (avec son premier prénom, Charles), au bout du quai principal de la gare de Beauvais.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 30-09-1987).

Notes :

[1] Voisinlieu, hameau dépendant de la commune d’Allonne, est érigé en commune le 19 janvier 1930, puis annexé à Beauvais en 1943.

[2] Paul Vacquier, nommé préfet de l’Oise le 22 mai 1940, au début de l’offensive allemande, cherche ensuite à maintenir un semblant de souveraineté française à l’échelon local, ce qui lui vaut son départ le 30 octobre 1942.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 370 et 396.
- Élie Fruit, notice in Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, citant : L’Écho républicain, 20 octobre 1934 – Notes personnelles de G. Mader – Lettre de Madame Nikiel, petite-fille d’Arthur Bonfils, à Jean-Pierre Besse ; complétée par J.-P. Besse, site Le Maitron en Ligne, Université Paris 1.
- Jean-Pierre Besse, Ils ont fait le sacrifice de leur vie, le prix de la liberté dans l’Oise, 1940-1945, ANACR de l’Oise, 2002.
- Archives départementales de l’Oise (AD 60), site internet du conseil général, archives en ligne : tables décennales de Maisoncelles-Tuileries, de Saint-Martin-le-Nœud 1883-1892 (vue 108) ; registre d’état civil de Maisoncelles-Tuileries (3 E 377-10), année 1887, acte n° 23 (vue 80/214) ; registre de recensement de Maisoncelles-Tuileries (6 Mp 446), année 1891, page 14 (vue 6) ; recensement de Saint-Martin-le-Nœud (6 Mp 446), année 1891 (6 Mp 446), page 14 (vue 11) ; recensement d’Allonne (6 Mp 8) année 1921 (vue ?), année 1926 (vue 34) ; recensement de Voisinlieu (6 Mp 757) année 1931 (vue 6) ; , registre des matricules militaires, classe 1907 (RP 958), matricule n° 863.
- Archives départementales de l’Oise, Beauvais : Exécutions d’internés, camp de Royallieu, mesures contre les communistes (33W 8253/1) ; Internement administratif (141w 1162).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 116 (37787/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 60-Alonne, relevé de Cédric Hoock (2004).
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne, de A à Q (0110LM0108).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 212-213).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 13-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.