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Musée de la Résistance
de Blois, cliché ARMREL.

Moïse, Albert, Joseph, Bodin naît le 28 décembre 1899 à la Garde, lieur-dit de Gy-en-Sologne (Loir-et-Cher – 41), fils de Pierre Bodin, 36 ans, cultivateur, et de Joséphine Germain, son épouse, 32 ans, cultivatrice.

Le 7 avril 1923 à Pruniers (41), il épouse Georgette Gaudry ou Gautry, ouvrière en chaussures ; ils ont trois enfants. En 1922, il vient habiter à Romorantin (41). Au moment de son arrestation, il est domicilié rue de la Péronnière.

Moïse Bodin est chauffeur d’auto chez Benoist-Bourgeois, entreprise de vidange à la Haute-Roche.

En avril 1941, il est arrêté avec son patron et tout le personnel de l’entreprise, dont Daniel Pesson ; les conditions de sa libération restent à préciser. C’est peut-être à partir de ce moment-là qu‘il exerce le métier d’agriculteur, déclaré au moment de son arrestation.

Le 30 avril 1942, à Romorantin, cinq résistants communistes sont découverts par des soldats allemandsalors qu’ils distribuent des tracts. Armés, ils ne se laissent pas arrêter et blessent les soldats dont un sous-officier qui succombe à ses blessures. Les mesures de représailles prévoient l’exécution immédiate de dix communistes, Juifs et de proches des auteurs présumés. Vingt autres personnes doivent être exécutées si au bout de huit jours les « malfaiteurs » ne sont pas arrêtés. Des rafles ont lieu afin de pouvoir « transférer d’autres personnes vers l’Est, dans les camps de travaux forcés. » Un barrage est érigé autour de la ville.

Le lendemain 1er mai, Moïse Bodin est arrêté par la Feldgendarmerie et la gendarmerie française ; il est pris comme otage avec quatre autres Romorantinais et un habitant de Pruniers qui seront déportés avec lui. Il est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 11 juin, le préfet de Loir-et-Cher informe le maire Romorantin que, « à la suite de ses pressantes interventions, les Autorités Allemandes viennent (de) lui donner l’assurance qu’elles envisageaient la libération de la presque totalité des personnes arrêtées dans le Loir-et-Cher au lendemain de l’agression de Romorantin. »

Entre fin avril et fin juin 1942, Moïse Bodin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Moïse Bodin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45262 (sa photo a été identifiée par comparaison avec un portrait civil).

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Moïse Bodin.

Le 16 juillet, sa famille reçoit l’avis imprimé envoyé par l’administration militaire de Royallieu pour l’informer qu’il a été transféré dans un autre camp et qu’elle sera prévenue ultérieurement de sa nouvelle adresse.

Le 23 juillet, le “Kommandeur” (sic) Westphal, chef de la Sicheirheitspolizei d’Orléans, fait connaître au préfet du Loir-et-Cher, J.F. Bussières, que Moïse Bodin, D. Pesson, G. Crochet. I. Petat et A. Roguet ont été transférés le 6 juillet « en vue de leur emploi comme travailleurs dans un camp en Allemagne », transfert « ordonné par le bureau central de Paris sans qu’un accord ait pu ou ait dû avoir lieu avec lesbureaux de Province. De ce fait, les promesses (…) ont été faites dans l’ignorance de ces événements » en même temps qu’était « énoncée l’ordonnance relative à la libération de tous les détenus emprisonnés à la suite de l’attentat de Romorantin. »

Le 31 juillet, le préfet s’adresse au « chef du gouvernement, ministre secrétaire d’État à l’Intérieur » à Vichy, exprimant qu’il est « d’autant plus regrettable qu’une pareille confusion se soit produite que, pour un certain nombre de personnes envoyée en Allemagne, j’avais reçu l’avis de libération et que je l’avais communiqué à leur famille. Il me semble difficile d’admettre que des otages dont l’arrestation n’a été due qu’au hasard, soient victimes à nouveau par suite du manque de coordination existant entre deux services allemands. Une promesse a été faite. Une ordonnance de libération a été prise. La promesse doit être tenue et l’ordonnance exécutée. C’est pourquoi je vous demande d’intervenir (…) pour que les personnes (…) envoyées dans des camps de travail en Allemagne soient effectivement et définitivement libérées. »

Le 24 septembre 1942, quatorze personnalités de Romorantin signent une attestation selon laquelle « M. Bodin n’a jamais commis d’action le faisant remarquer comme un militant politique, et son arrestation causa la surprise générale » ; document complété par une attestation du maire de la commune rédigée dans des termes identiques.

Moïse Bodin meurt à Auschwitz le 25 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [1].

Le 6 février 1943, le maire de Romorantin s’adresse au délégué du ministre de l’Intérieur dans les territoires occupés, Jean-Pierre Ingrand, pour demander que soit recherché le camp d’Allemagne où « résident » les six Romorantinais déportés en juillet.

Le 20 décembre 1943, le préfet de Loir-et-Cher informe le maire de Romorantin de ses démarches « afin que les familles des otages déportés en Allemagne (…) puissent avoir des nouvelles de leurs parents » et de la réponse du SD d’Orléans : « les otages de Romorantin ont été conduits dans un camp Allemand où la correspondance entre détenus et leurs parents est interdite. » Le préfet assure « que cette affaire n’est pas perdue de vue et que, tant sur le plan local que national, toute occasion est mise à profit pour tenter de nouvelles démarches et essayer de mettre fin à cette pénible situation. »

Le 4 octobre 1945, le nom de Moïse Bodin figure sur une « liste des personnes qui ont été déportées en Allemagne et dont on est sans nouvelles actuellement », établie en mairie.

Le nom de Moïse Bodin est inscrit sur le Monument aux morts de Romorantin-Lantenay, situé quai de l’île Marin. Il est déclaré “Mort pour la France”.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 2-10-1987).

Notes :

[1] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Moïse Bodin, c’est le 6 juillet 1942 « à Auschwitz » qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 364 et 395.
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet : archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) : XLIII-89 (télégramme non daté du Militärbefehlshaber in Frankreich (MbF), signé par Carl Heinrich von Stülpnagel.
- Archives départementales du Loir-et-Cher : fichier alphabétique des déportés du CRSGM (cote 56 J 5) ; registre d’état civil de Gy-en-Sologne, cote 1 MIEC 99 R1, année 1899, acte n° 25 (vue 346/374).
- ARMREL-Sentinelles de la mémoire, portrait civil de Moïse Bodin au musée de la Résistance de Blois (message 15-11-08).
- Archives communales de Romorantin (acte de décès, correspondance du maire et du préfet, listes…).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 109 (37359/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 41-Romorantin, relevé de Sandrine-Fleur Curtil (2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 22-12-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.