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Auschwitz, le 8 juillet 1942
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Charles, Pierre, BERNARD naît le 30 août 1904 à la clinique d’accouchement – devenue hôpital Garnier rattaché à Cochin – du 89, rue d’Assas à Paris 6e, fils de Constant, Eugène, Bernard, 43 ans, comptable, et d’Anne-Marie Tircot, son épouse, 29 ans, couturière, domiciliés au 29, rue de Paris à Meudon (Seine-et-Oise / Hauts-de-Seine).

Le 18 Juin 1923, à la mairie de Gouy (Aisne), Charles Bernard se marie avec Eugénie Durieux, née le 4 avril 1900 dans cette commune, sans profession. Ils ont un fils, Gaston, né le 1er mars 1925 à Meudon.

Maçon, Charles Bernard se déclare au chômage en 1936.

En 1935 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié avenue de Chevreuse [1] à Clamart [2] (92) ; au n° 91, puis au 155 (changement de numérotation ?).

Le 15 mai 1937, la 14e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne à 48 heures d’emprisonnement pour outrages à agents (?).

Sous l’occupation, la police française le considère comme un « agent actif de la propagande communiste », bien qu’il se défende d’y avoir jamais appartenu», bien que Charles Bernard se défende d’avoir jamais appartenu au PC.

Le soir du vendredi 25 octobre 1940, Charles Bernard reçoit chez lui cinq militants clandestins dont René Fayolle et Gouédard (à vérifier…), lequel amène des tracts qu’il vient d’imprimer relatifs à l’anniversaire de la révolution en URSS et des affiches.

Pour la diffusion par collage de cette propagande, ils sortent dans la nuit en deux groupes : Charles Bernard, Gouédard et un autre militant d’un côté, et, de l’autre, René Fayolle avec Pommier (à vérifier…) et un militant qui ne sera pas interpellé (et dont le nom n’est pas révélé). Avant les opérations de collage, chacun des deux groupes croise deux agents en tenue du secteur. Au retour, sur la route de Chevreuse à Clamart, ces policiers interpellent le groupe de Charles Bernard en leur montrant les tracts qu’ils viennent de décoller. Palpant chacun à la recherche d’armes, ils trouvent dans une poche de la veste de Charles Bernard une boîte de conserve avec encore un peu de colle, dont le militant ne s’est pas débarrassé. Gouédart et Charles Bernard étant déjà connus de ces agents, les trois militants ne cherchent pas à fuir et se laissent conduire au poste de police de Clamart. Vers deux heures du matin, le samedi 26, deux inspecteurs en civil (police judiciaire ?) s’y présentent pour les interroger.
Puis Charles Bernard est conduit chez lui pour assister à la perquisition de son domicile. Les policiers y trouvent alors René Fayolle qu’ils interpellent aussitôt, sans poursuivre leur visite ; ils pensent alors que le jeune militant est venu prévenir son camarade.
Au commissariat de la circonscription de Vanves, les cinq militants interpellés sont placés dans la même cellule, pouvant ainsi se concerter relativement à leurs déclarations respectives.

Interrogé, Gouédart reconnait avoir imprimé les tracts et les avoir collés, le matériel trouvé chez lui ne permettant pas de nier. Charles Bernard admet avoir collé les tracts avec Gouédart. De la même manière que les deux autres militants interpellés, René Fayolle nie d’abord toute activité clandestine. Néanmoins, plusieurs tracts sont trouvés lors de la perquisition opérée au domicile familial.
Inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939 condamnant l’activité et la propagande communistes, les cinq hommes sont transférés en voiture pénitentiaire le samedi, à minuit, au dépôt de la préfecture de police (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité). Signalés comme étant dans la même affaire, ils sont alors placés en cellules séparées pour la première fois. Le lendemain dimanche 27, vers 15 heures, ils sont conduits lundi après l’autre dans le bureau d’un juge d’instruction.Le lundi 28 octobre, les cinq inculpés comparaissent devant la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine, qui condamne Charles Bernard et René Fayolle à dix mois d’emprisonnement chacun. Tous deux se pourvoient en appel. Ils sont alors écroués à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Le 17 décembre, la 10e chambre de la cour d’appel de Paris confirme la sentenceÀ une date restant à préciser, Charles Bernard et René Fayolle sont finalement transférés à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines).
Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 juillet, en « exécution de la note préfectorale » du 14 novembre 1940, le directeur de la prison transmet au bureau politique du cabinet du préfet de Seine-et-Oise vingt-et-une notices de détenus de la Seine devant être libérés à l’expiration de leur peine au cours du mois suivant ; le 5 août, pour ce qui concerne Charles Bernard et René Fayolle. Le 26 juillet, le préfet de Seine-et-Oise transmet le dossier au préfet de police, direction des services des Renseignements généraux (RG).Charles Bernard et René Fayolle sont effectivement libérés à la date prévue.Mais les RG considèrent toujours les deux hommes comme des « agents actifs de la propagande communiste clandestine ».Le 19 septembre, le préfet de police signe les arrêtés respectifs ordonnant leur internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939. Appréhendés le jour même, comme d’autres détenus libérés de Poissy au mois d’août précédent, Charles Bernard et René Fayolle sont conduits au Dépôt en attendant leur transfert dans un camp.

Le 9 octobre, Charles Bernard et René Fayolle sont parmi les 60 militants communistes (40 détenus venant du Dépôt, 20 venant de la caserne des Tourelles) transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; départ gare d’Austerlitz à 8 h 25, arrivée à Rouillé à 18 h 56.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

L’épouse de Charles Bernard peut lui rendre au moins une visite dans ce camp, en décembre 1941, à l’occasion de laquelle elle lui remet ses cartes d’alimentation.

Le 22 mai 1942, Charles Bernard et René Fayolle font partie d’un groupe 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, Charles Bernard et René Fayolle sont sélectionnés  avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Charles Bernard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45226 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [3]).

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Charles Bernard se déclare alors sans religion (Glaubenslos, sans foi). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Charles Bernard est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Son jeune camarade (devenu neveu par alliance ?) René Fayolle meurt à Auschwitz le 4 août ; moins d’un mois après l’arrivée de leur convoi.

À une date restant à déterminer, Charles Bernard est inscrit sur un registre du Block 28 (médecine interne) de l’ “hôpital” des détenus d’Auschwitz-I (le Revier).

Charles Bernard meurt à Auschwitz le 5 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [4] ; deux mois après l’arrivée du convoi.

Le 24 avril 1946, la mention portée en marge de son acte de naissance à la mairie du 6e indique décédé à Auschwitz (Haute-Silésie) le 15 janvier 1943. Le correctif ajouté le 28 juillet 1993 indique la date du Sterbebücher, mais avec comme lieu « Auschwitz, commune d’Arolsen (Allemagne) ».

Les noms de Charles Bernard et de René Fayolle sont inscrits (avec seulement l’initiale de leurs prénoms) sur le Monument aux morts de Clamart, situé dans le cimetière communal.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Charles Bernard (J.O. du 6-08-1987).

Notes :

[1] Après la guerre, sa famille est domiciliée au 14, rue du Moulin-de-Pierre, puis au 1, rue de la Casée, à Clamart.

[2] Clamart : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin Après Auschwitz, n°21 de mai-juin 1948).

[4] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France… Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant de Charles Bernard, c’est le 15 janvier 1943 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 381 et 395.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 6e arrondissement, année 1904 (6N 229), acte n° 2605 (vue 14/31).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374), liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; dossier individuel des renseignements généraux (77 W 55-10377) ; registre des consignés provisoires au Dépôt, mai 1941-mars 1942 (C C 2-1, n° 629).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94), carton “Association nationale de des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes (6831).
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt (1W69).
- Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), Paris : liste XLI-42, n° 29.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach), relevé dans les archives (01-2009).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 79 (28004/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 92-Clamart, relevé de Jacques Baudot (2000-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 7-11-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.