JPEG - 80.4 ko
Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Alphonse Benoit naît le 30 novembre 1888 à Tourcoing (Nord – 59), fils de Henri Benoît, 27 ans, fileur (?), et de Célina Aelgvet, 26 ans, son épouse.

Le 8 octobre 1909, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 43e régiment d’infanterie – stationné à Lille (59) – pour accomplir son service militaire. Le 24 septembre 1911, il est « envoyé dans la disponibilité », titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Pendant un temps, il demeure au 106, rue Achille-Testelin à Tourcoing et travaille comme rattacheur.

Répondant au décret de mobilisation générale du 1er août 1914, il rejoint deux jours plus tard le 9e bataillon de chasseurs à pied, sa nouvelle unité.

Le 30 janvier 1915, il est nommé soldat de 1ère classe.

Le 15 juin suivant, il est cité à l’ordre du bataillon, « belle conduite au feu », puis de nouveau le 1er juillet, « agent de liaison depuis le début de la campagne, d’une conscience et d’un courage éprouvés, s’est dépensé sans compter dans l’exécution de ses missions malgré le bombardement et le feu des mitrailleuses ». Le 30 novembre 1915, il est cité à l’ordre de sa brigade : « A donné maintes fois à ses camarades l’exemple de la bravoure et du courage en assurant des liaisons particulièrement dangereuses et pénibles. S’est offert notamment le 20 novembre 1916 pour aller à la recherche d’un sous-officier blessé, étranger au corps, dans un terrain extrêmement difficile et sous un bombardement des plus violents ». Le 3 juin 1917, il est cité à l’ordre de la division : « Chasseur merveilleux de courage et d’énergie. A fait du 8 au 17 mai les liaisons les plus dangereuses ; le 16 mai, en particulier, s’est porté en avant des premières lignes et en a rapporté des renseignements très précieux ». Le 6 avril 1918, il est cité à l’ordre du 10e groupe : « Agent de liaison des plus braves ; modèle de courage et de dévouement. A toujours brillamment rempli les missions les plus périlleuses. A assuré les 27 et 30 mars une liaison particulièrement dangereuse ». Le 25 août, il est de nouveau cité à l’ordre de la division : « D’un courage à toute épreuve ; a assuré, à différentes reprises, au cours d’une attaque, la liaison avec un corps voisin en franchissant une passerelle constamment battue par l’artillerie et un feu nourri de mitrailleuses ». Il est décoré de la Croix de guerre et de la Médaille militaire, avec six citations. Un jour, il accompagne « seul, Monsieur Clémenceau de Verdun au Fort de Douaumont ».

Le 26 janvier 1919, Alphonse Benoit entre comme employé à la Compagnie des chemins de fer du Nord ; il est affecté à La Chapelle (?).

Le 11 septembre 1919 à Gagny [2] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), il épouse Marie Acker, née le 29 janvier 1899 à Reichstett (Basse-Alsace / Bas-Rhin) ; aucun parent n’est présent au mariage. Ils habitent alors tous deux au 1, avenue de la République. Ils auront deux enfants : Henriette, née le 13 septembre 1927, et Colette, née le 6 mars 1934.

Militant du Parti communiste, Alphonse Benoit est secrétaire du sous-rayon communiste de Gagny en 1923.

Candidat aux élections municipales de 1925 et 1929 à Gagny, il obtient à chaque fois 25 % des suffrages exprimés.

En 1935, Alphonse Benoit est élu sur la liste du Parti communiste dirigée par Émile Cossonneau, qui l’emporte au deuxième tour après fusion avec celle des socialistes et radicaux. Alphonse Benoit est élu premier adjoint au maire. Selon la police, il « [administre] pratiquement la ville ».

Gagny. La Mairie. Carte postale non datée. Coll. Mémoire Vive.

Gagny. La Mairie. Carte postale non datée. Coll. Mémoire Vive.

Au printemps 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Alphonse Benoit est domicilié au 20, avenue Fournier à Gagny. En 1936, le couple héberge Alice Acker, nièce de Marie, née en 1925 à Reichstett.

Alphonse Benoit alors alors sous-agent technique à la SNCF [1], région Nord, avec pour “résidence de service” Aulnay-sous-Bois.

Aulnay-sous-Bois. La gare et les voies dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Aulnay-sous-Bois. La gare et les voies dans les années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.  Collection Mémoire Vive.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.
Collection Mémoire Vive.

Après l’interdiction du Parti communiste, puis au début de l’occupation, le “Père Benoit” se montre le militant le plus actif et populaire de Gagny.

Il est déchu de son mandat en 1940.

Lors de la Débâcle, il reste volontairement sur son lieu de travail à la demande de son chef de service, un ingénieur, afin d’assurer la surveillance des ateliers et magasins des services électriques du dépôt de Saint-Ouen les docks, ceci jusqu’à l’arrivée des Allemands, le 14 juin.

Le 13 juin au soir, alors que la Délégation spéciale – nommée par le préfet pour remplacer la municipalité déchue – a été « évacuée », Alphonse Benoit, revenant de son service, envoie « le reste de la population à l’abri dans les carrières de Monsieur Mussat », afin d’éviter les conséquence d’un éventuel bombardement. Dès le lendemain et pendant deux mois, en liaison avec « Monsieur Dôle, nommé administrateur de la commune », il anime un “comité de salut public” informel qui se charge notamment de trouver du ravitaillement pour la population restée sur place, ceci parallèlement à son travail à la SNCF. Des tracts intitulés la Voix de Gagny rendront compte de cette activité après le retour de la Délégation spéciale.

Le 14 octobre, le commissaire de police la circonscription de Gagny transmet à sa hiérarchie « plusieurs notices de renseignements relatives à des militants de l’ex-parti communiste », dont celle d’Alphonse Benoit dans laquelle le fonctionnaire précise : « Benoit ne laisse rien paraître de la sourde activité qu’il continue de manifester dans l’ombre. À notre avis, Benoit dirige actuellement les éléments communistes de Gagny et même les stimule ». Une note de la police (RG ?) le désigne comme un « individu dangereux ».

Gagny. La place du Baron Roger. Le commissariat de police est installé au pied du premier immeuble à droite. Carte postale des années 1940. Collection Mémoire Vive.

Gagny. La place du Baron Roger. Le commissariat de police est installé au pied du premier immeuble à droite.
Carte postale des années 1940. Collection Mémoire Vive.

La façade du commissariat (gros plan de l’image précédente).

La façade du commissariat
(gros plan de l’image précédente).

Le 21 octobre 1940, le préfet de Seine-et-Oise signe un arrêté « prescrivant » l’internement administratif d’Alphonse Benoit pour distribution de tracts. Dans un courrier adressé au directeur général de la SNCF, le préfet rappelle que cette mesure entraîne la révocation professionnelle de l’intéressé et demande d’être informé quand celle-ci sera effective.

Le 26 octobre, probablement arrêté la veille, le cheminot est conduit au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé au début du mois dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre. Il est affecté à un travail d’aide cuisinier. Il est successivement assigné aux chambres n° 4 puis n° 33.

Centre de séjour surveillé d’Aincourt. Plan de l’enceinte montrant les points d’impact après le bombardement par un avion anglais dans la nuit du 8 au 9 décembre 1940. Arch. dép. des Yvelines, (1W71).

Centre de séjour surveillé d’Aincourt. Plan de l’enceinte montrant les points d’impact après le bombardement
par un avion anglais dans la nuit du 8 au 9 décembre 1940.
Arch. dép. des Yvelines, (1W71).

Le 5 décembre, Alphonse Benoit écrit au préfet de Seine-et-Oise pour lui signaler que, le 29 octobre, il a écrit sans succès à la Commission de vérification prévue à l’article 3 de l’arrêté d’internement qui le concerne, puisque cette instance de recours a été dissoute. Il présente ensuite des « observations » pour convaincre le haut-fonctionnaire départemental que la mesure d’internement prise à son égard est injustifiée, rappelant notamment son activité au service de la population de Gagny après la fuite de la Délégation spéciale. « Je suis donc très étonné, Monsieur le Préfet, d’être considéré comme un individu dangereux ». « Je me permets […] non de solliciter une faveur, mais de vous demander de vouloir revenir sur une décision que je crois injuste ». Il termine en rappelant qu’il a à sa charge son épouse et deux jeunes enfants (alors 13 et 7 ans) « qui ne pourront subvenir à leurs besoins dans la période difficile que nous traversons. »

Le 4 janvier 1941, interrogé sur ce point, le commissaire spécial, directeur du camp d’Aincourt, répond au préfet de Seine-et-Oise qu’il émet « un avis défavorable à l’égard » de la libération d’Alphonse Benoit car, si celui-ci « a toujours eu une attitude très correcte », il « a conservé intactes ses opinions communistes et son internement n’a modifié en rien ses convictions ».

Rendant compte de son enquête complémentaire à la même date, le commissaire de police de Gagny indique que « Depuis son internement et les arrestations que nous avons opérées, en flagrant délit, la propagande de l’ex-parti communiste s’est pratiquement arrêtée à Gagny », établissant un lien de cause à effet. Il ajoute : Au point de vue conduite, moralité, honorabilité et vie privée, Benoit est irréprochable », mais conclue : « Néanmoins, en raison de son passé politique et l’influence de sa personnalité, au point de vue local, nous estimons qu’il serait inopportun d’accueillir favorablement sa demande de libération ». En marge de ce document dactylographié, un commentaire est écrit au crayon rouge : « Type du communiste intelligent, convaincu et influent. Dangereux. Refuser libération. En aviser le demandeur. 6-1-41 ».

Le 11 février, dans l’ignorance de ces avis négatifs sur sa libération, Alphonse Benoit renouvelle sa demande auprès du directeur du camp.

Enfin, le 10 mai, il sollicite encore cette libération auprès du préfet de Seine-et-Oise, expliquant qu’il lui reste 750 francs à rembourser au 1er juin suivant d’un emprunt contracté avant son internement auprès de l’Office national des Anciens combattants.

Le 19 mai, le préfet écrit au commissaire de police de Gagny pour lui demander de notifier à l’épouse d’Alphonse Benoit, qu’après « révision » de son dossier, il a « décidé le maintien au centre de cet individu ».

Le 27 juin 1941, Alphonse Benoit fait partie d’un groupe de 88 internés communistes de Seine-et-Oise – dont 32 futurs “45000” – remis aux “autorités d’occupation” et conduits à l’Hôtel Matignon, à Paris, – alors siège de la Geheime Feldpolizei – où ils sont rejoints par d’autres détenus, arrêtés le même jour et les jours suivants dans le département de la Seine [3]. Tous sont ensuite menés au Fort de Romainville (sur la commune des Lilas – 93), élément du Frontstalag 122. Considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp [4].

Trois jours plus tard, les hommes rassemblés sont conduits à la gare du Bourget (93) et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Polizeihaftlager). Pendant la traversée de la ville, effectuée à pied entre la gare et le camp, la population les regarde passer « sans dire un mot, sans un geste. Tout à coup nous entonnons La Marseillaise et crions “Des Français vendus par Pétain” » [6].

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le 11 novembre, Alphonse Benoit est révoqué de son emploi à la SNCF par arrêté ministériel pour « menées antinationales depuis le début de la guerre » [sic].

Le 8 avril, la Felkommandantur 758 de Saint-Cloud transmet à la préfecture de Seine-et-Oise un courrier-formulaire demandant son avis sur une éventuelle libération d’Alphonse Benoit. Le 5 mai, le cabinet du préfet répond par l’envoi d’une notice mentionnant l’avis défavorable rendu au printemps 1941.

Entre fin avril et fin juin 1942, Alphonse Benoit est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.Le 8 juillet 1942, Alphonse Benoit est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45225 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Alphonse Benoit est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Le 2 novembre 1942 – dans la chambre (Stube) n°2 du Revier de Birkenau (Block n° 8, en brique, du secteur BIb) où se trouve également Gilbert Longuet – Alphonse Benoit reçoit deux comprimés d’aspirine. Dans ce dispensaire, le SS-Rottenführer Franz Schulz exécute certains détenus avec une injection mortelle dans le cœur…

Alphonse Benoit meurt à Birkenau le 5 novembre 1942, selon les registres du camp.

Après la Libération de la commune, le 9 septembre 1944, il est nommé maire de Gagny (ou adjoint, retrouvant son mandat ?) car on espère encore son retour. Son épouse est membre du comité local de Libération de Gagny. En 1945, elle est élue conseillère municipale sur la liste communiste.

À une date restant à préciser, le Conseil municipal donne le nom d’Alphonse Benoit à une allée de la commune (essentiellement, un parking !).

Son nom est inscrit sur le Monument aux morts de Gagny, situé dans le cimetière communal, rue Saint-Germain.

Notes :

[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

[2] Gagny : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] Les 88 internés de Seine-et-Oise. Le 26 juin 1941, la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud transmet au préfet du département de Seine-et-Oise – « police d’État » -, cinq listes pour que celui-ci fasse procéder dès le lendemain à l’arrestation de ressortissants soviétiques ou de nationalité russe ancienne ou actuelle, dont 90 juifs, et de républicains espagnols en exil, soit 154 personnes. La sixième catégorie de personnes à arrêter doit être constituée de «  Différents communistes actifs que vous désignerez  » (aucune liste n’étant fournie). Tous doivent être remis à la Geheime Feldpolizei, à l’Hôtel Matignon, à Paris.

Si aucun autre document n’atteste du contraire, c’est donc bien la préfecture de Seine-et-Oise qui établit, de sa propre autorité, une liste de 88 militants communistes du département à extraire du camp d’Aincourt.

Le 27 juin, le commandant du camp écrit au préfet de Seine-Et-Oise pour lui « rendre compte que 70 internés[du département] ont été dirigés aujourd’hui dans la matinée sur le commissariat central de Versailles et que 18 autres internés ont été dirigés dans le courant de l’après-midi à l’Hôtel Matignon à la disposition des Autorités allemandes d’occupation. Le départ de ces internés s’est déroulé sans incident. » Les listes connues à ce jour ne distinguent pas les deux groupes et réunissent les 88 internés.

Le 29 juin, l’inspecteur de police nationale commandant l’escorte conduisant le contingent de 70 détenus à Versailles, rend compte que le commissaire divisionnaire lui a ordonné de poursuivre son convoyage « jusqu’à l’Hôtel Matignon, à Paris, siège de la Geheime Feldpolizei. En passant à Billancourt, quelques internés du premier car ont montré le poing et des ouvriers qui allaient prendre leur travail ont répondu par le même geste. J’ai immédiatement donné des ordres aux gardiens pour que les internés rentrent leurs bras.

À mon arrivée à Paris, je me suis trouvé en présence d’une quinzaine de cars remplis de prisonniers ayant la même destination que les internés d’Aincourt et j’ai dû prendre la suite.

Le formalités d’immatriculation étant assez longues, j’ai dû attendre mon tour ; l’opération a commencé à 18 heures et s’est terminée à 19h15 ; je n’ai pu faire la remise que de 38 internés sur 88 venus d’Aincourt. En raison de l’heure, le chef de bureau de la Feldpolizei m’a fait savoir qu’il recommencerait l’immatriculation le lendemain matin à 8h15, d’avoir à revenir à cette heure-là. J’ai rassemblé les 50 internés restant dans les deux cars et ai libéré les camionnettes et les gardiens disponibles.

Je me suis aussitôt mis en rapport avec la préfecture de Seine-et-Oise afin de savoir où je devais conduire, pour passer la nuit, les 50 internés. Une heure après, je recevais l’ordre de les conduire au Dépôt, 4 quai de l’Horloge, et de continuer ma mission le lendemain matin. Cette formalité étant remplie, j’ai renvoyé les cars et le personnel à Versailles.

Le 28 juin, à 7 heures, j’ai continué ma mission qui a pris fin à 11 heures. Cette escorte s’est déroulée sans autre incident. »

[4] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, témoignage d’Henri Rollin : «  Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[5] De l’Hôtel Matignon au Frontstalag 122 : témoignage de Marcel Stiquel (déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Son récit fait état de 87 internés (la liste en comporte 88) et d’un départ d’Aincourt étalé sur deux jours : les 27 et 28 juin 1941 (voir note ci-dessus).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 355, 385 et 395.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 513.
- Monique Houssin, Résistantes et résistants en Seine-Saint-Denis, Un nom, une rue, une histoire, Les éditions de l’Atelier/ Les éditions Ouvrières, Paris 2004, page 81.
- Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi, Collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur le transfert depuis Aincourt des 88 de Seine-et-Oise, fin juin 1941).
- Site Rail & Mémoire, citant la notice de Nadia Ténine-Michel, dans Cheminots et Militants, un siècle de syndicalisme ferroviaire, sous la direction de Marie-Louise Goergen, Collection Jean Maitron (Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Les Éditions de l’Atelier, 2003.
- Base de données des archives historiques SNCF : service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 145-146.
- Archives départementales du Nord, site internet du conseil général, archives en ligne : registre des naissances de Tourcoing, année 1888 (1 Mi EC 599 R 014), acte n° 1959 (vue 504/589) ; registre des matricules militaires, bureau de recrutement de Lille, classe 1908, volume 12, matricule n° 5522 (vue 32/662).
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, cotes 1w73, 1w76, 1w77, 1w80, 1w85, 1W90 (dossier individuel), 1w144 (dans le dossier individuel de François Olivo, une liste de révoqués de la SNCF datée du 13 février 1942).
- Liste des 88 internés d’Aincourt (domiciliés dans l’ancien département de Seine-et-Oise) remis les 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation, et liste Internés de Seine-et-Oise à la suite d’une mesure prise par le préfet de ce département, ayant quitté le centre d’Aincourt, documents communiqués par Fernand Devaux (03 et 11-2007).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Office for information on former prisonniers) ; registre de délivrance de médicaments de l’infirmerie de Birkenau.
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes (2384).
- Site Mémorial GenWeb, 93-Gagny, relevé d’Alain Claudeville (11-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 15-05-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.