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Julien Aligny lors de son service militaire, vers 1934.
Collection Anne-Laure Sorin, sa nièce. Droits réservés.

Julien, Gustave, Charles, Aligny naît le 4 mai 1914 à Prétot-Vicquemare (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), fils d’un bûcheron et d’une lingère. Il a deux sœurs, Alice et Denise, et deux frères, Auguste et Jean. Son père rentre très malade de sa participation à la guerre de 1914-1918.

Julien Aligny est ouvrier du textile (magasinier). En 1935, il est embauché par la société de Monsieur Carlier (en qualité de livreur ?), 52, rue de Crosne à Rouen.

Il est secrétaire du Syndicat des Ouvriers du Textile CGT de Rouen.

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Julien Aligny chez ses parents au cours de l’été 1941.
Collection Monique Aligny-Massif, sa fille. Droits réservés.

Le 22 décembre 1937, à Rouen, il épouse Georgette, Yvonne, Cougy, lingère, née le 29 octobre 1914 au Havre, orpheline d’un père tué « sur le champ de bataille » en 1917. Ils ont une fille, Monique, née le 29 juin 1938.

Au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 193, rue Saint-Julien à Rouen (76).

Après avoir été adhérent des Jeunesses communistes, il anime la section communiste de Rouen sous le nom de Legrand en 1938-1939.

Dès le début de l’Occupation, il poursuit ses activités militantes.

En décembre 1940, en employé municipal de la voirie, ancien communiste, interrogé par les inspecteurs du commissariat central de Rouen, désigne un certain Legrand comme un agent actif du secteur pour la diffusion de propagande, associé à Roger Chicot. Au moment où il est appréhendé, Julien (prénommé “Jules” par la police) Aligny, trompant la surveillance de l’inspecteur réussi à se débarrasser d’un paquet de documents. Bien que les perquisitions effectuées aux domiciles de Julien Aligny et de Roger Chicot ne donnent aucun résultat, tous deux sont déférés au Parquet pour reconstitution de cellule communiste. Julien Aligny est relâché 48 heures plus tard.

Le 21 juin 1941, Julien Aligny est arrêté « par la police allemande pour diffusion de presse communiste » (selon les Renseignements Généraux de Rouen), en plein jour, place de la Cathédrale (selon la mémoire familiale).

Le 14 juillet suivant, après signature d’une pétition par ses collègues de travail et un courrier favorable de son employeur, il est remis en liberté.

Il reprend les distributions de tracts, mais assume également des tâches d’agent de liaison, puis participe à l’organisation d’un sabotage de voie ferrée.

Le 21 octobre 1941, à une heure du matin, il est arrêté à son domicile par la police allemande, la “Gestapo”, lors de la grande rafle de Rouen et de sa banlieue [2]. Il est détenu à la caserne Hatry de Rouen.

Rouen. La caserne Hatry dans les années 1920. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Rouen. La caserne Hatry dans les années 1920. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Fin octobre, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule 2047.

Le 8 décembre 1941, il figure sur une liste de 28 communistes à « transférer vers l’Est », établie par la Feldkommandantur de Rouen. Pendant un temps (en avril), il est assigné au bâtiment A3.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Comp iègne,futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Après son arrestation, il est possible que sa famille soit domiciliée à Darnétal (au 84 rue Sadi-Carnot ; à vérifier…).

Entre la fin avril et la fin juin 1942, Julien Aligny est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le 8 juillet 1942, Julien Aligny est enregistré à Auschwitz sous le numéro 46214 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Julien Aligny est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».  « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est assigné au Block 4. Puis il passe au Block 23.

Le 17 juillet, il est admis au Block 20 (contagieux) de l’ “hôpital” (RevierHKB) d’Auschwitz-I, en même temps que Louis Brenner, qui en sort dix jours plus tard.

Le Block 20 en 1962. © archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau.

Le Block 20 en 1962. © archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau.

Julien Aligny meurt au Block 20 le 30 juillet 1942, d’après les registres du camp ; trois semaines après l’arrivée de son convoi (il a 28 ans).

Robert Gaillard, de Petit-Quevilly – qui dit l’avoir bien connu -, et Henri Gorgue, de Creil (Oise) attesteront de son décès au camp, en estimant que celui-ci a dû se produire en septembre 1942. Louis Jouvin, de Petit-Quevilly, attestera de son appartenance au Front national [4] avant son arrestation. Aucun n’apporte d’autre précision.

En 1952, Georgette, sa veuve, est gérante du Normandy-Bar, place de l’Hôtel de Ville, à Darnétal.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 15-05-1987).

Son nom apparaît parmi les 218 militant.e.s inscrit.e.s sur plusieurs plaques apposées dans la cour du siège de la fédération du PCF à Rouen, 33 place du Général de Gaulle, avec un extrait d’un poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) : « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’espoir et le désespoir. » et sous une statue en haut-relief dont l’auteur reste à préciser.

Monument dédié aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre dans la cour du siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive (2014).

Monument dédié aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre dans la cour du siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive (2014).

Au siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen, la première des six plaques dédiées aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre. Significativement, les noms de Georges Déziré et d’André Pican sont placés en exergue. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive.

Au siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen, la première des six plaques dédiées aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre.
Significativement, les noms de Georges Déziré et d’André Pican sont placés en exergue. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941. L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – dans un large périmètre autour de Rouen a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste). Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire A, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. Tous les hommes appréhendés furent, en effet, remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941. 44 des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.

(*) 150 selon “30 ans de luttes“, brochure éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.

[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine-Saint-Denis – 93).

[4] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 377 et 393.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie (réalisée en 2000 à Rouen), citant : Liste établie par la CGT – Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste d’otages, liste des jeunes communistes (JC) de Compiègne, doc. XLIII-56, XLIII-66.
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 17, page 80.
- Louis Eudier (45523), listes à la fin de son livre Notre combat de classe et de patriotes (1939-1945), imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (1977 ?), listes en fin d’ouvrage.
- Anne-Laure Sorin, sa nièce (fille d’Alice), courriel (25-10-2010).
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen : cabinet du préfet 1940-1946, individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de Aa à Bl (51 W 410), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis Jouvin (“45697”).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1423 (Stb. 2, 237-239).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; message (11-2010).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 24-08-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.