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Archives de la préfecture de police
de Paris. Droits réservés.

Raymonde (“Mounette), Marcelle, Salez naît le 6 mai 1919, aux Lilas [1] (Seine-Saint-Denis – 93), tout près de Paris. Fille d’un serrurier et d’une couturière, elle a une sœur aînée.

Mounette va à l’école primaire des Lilas jusqu’au brevet élémentaire, puis elle apprend le métier de secrétaire. Pendant un temps, elle habite au 68, rue de Paris.

Il y a peu de temps qu’elle travaille quand la guerre éclate, mais il y a déjà plusieurs années qu’elle appartient à la Jeunesse communiste. Aussi dès l’occupation est-elle dans l’organisation clandestine qui entraîne la jeunesse dans la lutte contre l’occupant.

Le 14 juillet 1941 : manifestation d’étudiants au quartier latin. Une petite jeune fille déplie soudain un drapeau tricolore, qui s’élève au-dessus des têtes, boulevard Saint-Michel. Celle qui tient le drapeau, c’est Mounette. Les agents l’arrêtent. Elle passe vingt-quatre heures au commissariat et elle est relâchée.

La police vérifie son domicile. Elle en change : sous un nom emprunté, elle loue une chambre au 203 bis, avenue Daumesnil, près de la place du même nom (Félix Éboué, aujourd’hui) à Paris 12e et continue de plus belle. Au début de 1942, avec son groupe de jeunes Francs-tireurs et partisans (FTP), elle prend part à l’attaque de la librairie allemande, au coin du boulevard Saint-Michel et de la place de la Sorbonne.

Le 18 juin 1942, alors qu’elle rentre chez elle au retour d’une mission en zone occupée, elle est arrêtée par les brigades spéciales. Tous les dirigeants de ce groupe de jeunes FTP sont pris ce jour-là.

Le 11 août, les garçons sont fusillés au Mont-Valérien. Parmi eux : Camille Baynac, Jean Compagnon, Yves Despouy. Son fiancé, Albert Gueusquin a échappé au “coup de filet”. Raymonde s’en sent plus légère [2].

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Photographie anthropométrique, 15 juillet 1942.
Archives de la préfecture de police de Paris.
Droits réservés.

Avec les autres femmes de son “affaire”, Mounette est écrouée au dépôt de la préfecture de police, dans la Conciergerie du Palais de Justice, sur l’île de la Cité.

Le 10 août 1942, elles sont transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Raymonde Salez y est enregistrée sous le matricule n° 631.

Le 22 janvier 1943, elle fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Au matin du 27 janvier 1943, quand les 230 femmes sont conduites vers le camp de femmes de Birkenau après leur descente du train, Mounette marche en tête de la colonne des déportées avec Jackie Quatremaire et Paulette Gourmelon. C’est elle qui entonne La Marseillaise que toutes les autres reprennent : la première fois, la seule fois que des femmes sont entrées à Birkenau en chantant.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Raymonde Salez y est enregistrée sous le matricule 31645. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Raymonde Salez n’a pas été retrouvée).

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant
l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943,
le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive).

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Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol,
est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible
de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Raymonde Salez meurt à Auschwitz – sous-camp de femmes de Birkenau – le 4 mars 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp.

En juillet 1943, celles qui ont tenu jusque-là ont eu le droit d’écrire. Annoncer la mort des camarades est leur principal souci : « Il faut qu’on sache… » Les parents qui reçoivent alors la lettre ne savent comment annoncer la nouvelle à la famille atteinte : la leur est morte, la mienne vit… Ils craignent aussi de ne pas comprendre : la lettre est en allemand et celle qui écrit, pour tourner la censure, use de circonlocutions, d’allusions : « J’ai beaucoup de chagrin pour la maman de notre chère Mounette… » Madeleine Dechavassine fait aviser la sœur de Mounette et celle-ci attend des mois avant de parler à sa mère, qui ne veut pas la croire. N’ayant pas reçu d’avis de décès, elle espérera jusqu’au retour des rescapées.

Après la guerre, à une date restant à préciser, le Conseil municipal des Lilas donne son nom à une rue de la commune.

Au-dessus de la petite porte du 68, rue de Paris, coincée entre deux auvents de commerces, une plaque indique :

« Ici habitait la patriote Raymonde SALEZ âgée de 24 ans tombée face à l’ennemi en Mars 1943 »

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 260 et 299 (message jeté du train par Madeleine Doiret).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrit, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué) ; 120 actes retrouvés pour les « 31000 » ; tome 3, page 1060 (12799/1943).
- Monique Houssin, Résistantes et résistants en Seine-Saint-Denis : un nom, une rue, une histoire, AMRN 93, Les éditions de l’Atelier/Les éditions ouvrières, Paris 2004, page 120.
- Jean-Marc Berlière, Franck Liaigre, Le sang des communistes, Les Bataillons de la jeunesse dans la lutte armée, Automne 1941, Nouvelles études contemporaines, éditions Fayard, février 2004, p. 110, 369.
- Site de l’association Mémoire et création numérique, animée par François Tanniou, Alexis Sevaille et Sophie Raoult, Les plaques commémoratives, sources de mémoire (aujourd’hui désactivé – nov. 2013).
- Auschwitz 1940-1945, Les problèmes fondamentaux de l’histoire du camp, ouvrage collectif sous la direction de Wacław Długoborski et Franciszek Piper, éd. du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau à Oświęcim, Pologne, version française 2011, volume IV, La Résistance, Henryk Swiebocki, pages 134 à 136.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 21-01-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Albert (ou Robert, « Bob ») Gueusquin : D’août à mars 1942, Albert Gueusquin, vingt-et-un ans (né à Paris en 1921), assure la liaison entre les Jeunesses communistes clandestines (JC) et leurs groupes armés. Sous les ordres de Pierre Georges (le colonel Fabien), il joue un rôle essentiel. Avec les “politiques”, telle Odile Arrighi, il choisi les futurs combattants, non sans avoir soupesé défauts et qualités puis contrôlé la fiabilité des candidats. C’est lui qui prévient Pierre Georges que celui-ci est probablement “grillé” sur la région parisienne après qu’un résistant ait été arrêté par la police française au cours d’une action armée. Pris le 9 mars 1943, Bob Gueusquin sera fusillé le 9 juillet suivant au stand de tir d’Issy-les-Moulineaux (dit aussi « de Balard », à la Porte de sèvres (Paris 15e).