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Auschwitz-I, le 3 février 1943
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Jeanne Renon naît le 4 novembre 1894 à Pessac (Gironde – 33).

À une date restant à préciser, elle épouse Henri Souques, né le 9 août 1895 à Preignac (33).

Ensemble, ils exploitent une blanchisserie installée dans le vieux moulin de Monjous [1], à Gradignan, village au sud-ouest de Bordeaux, proche de la ville.

Deux ou trois fois par semaine, Jeanne se rend à Bordeaux en voiture pour livrer le linge aux grands hôtels dont elle a la clientèle. Elle revient avec des ballots de linge sale.

Avant la dissolution du Parti communiste, la direction régionale légale, dirigée par Henri Chassaing, met en place un triangle de direction clandestin composé de Jean Bonnafon, Lapeyrade (prénom ?) et Henri Souques.

Pendant la “drôle de guerre”, le couple Souques héberge Charles Tillon, ancien député communiste d’Aubervilliers entré dans la clandestinité dès le 25 août 1939 et envoyé en octobre à Bordeaux pour prendre en charge les dix départements du Sud-Ouest.

Le 17 juin 1940, Tillon demande à Henri Souques de porter le texte de son « Appel aux travailleurs » à Paulette Lacabe qui dactylographie les textes du PCF à Bordeaux.

Plus tard au cours de cet été 1940, Henri Souques est arrêté à son moulin de Gradignan. Charles Tillon, qui y retourne « après une alerte dans Bordeaux », parvient de justesse à fuir dans un bois proche [2].

Henri Souques « s’évadera des mains des gendarmes ». Ensuite (?), il est chargé de former les premiers Francs-tireurs et partisans (FTP) dans la région (Ch. Delbo).

Sous l’occupation, dans les corbeilles de linge qu’elle transporte dans son auto à gazogène entre la blanchisserie et Bordeaux, Jeanne Souques dissimule les tracts tirés sur une ronéo cachée dans son moulin, la machine à écrire qui passe d’une maison à l’autre en fonction des besoins. Des responsables du Front national [3] descendent chez elle quand ils ont affaire dans la région.

Chaque lundi, Jeanne dépose des sacs de linge dans le magasin de meubles de Jean Bonnafon au fond duquel une autre ronéo est installée. Renée Michaud, qui passe pour la secrétaire du magasin, vient y taper à la machine les tracts ou les journaux diffusés dans la région. Circulant sur un vélo dont les sacoches sont bourrées de ces tracts, Germaine Bonnafon en dépose chez Charlotte Lescure à Floirac.

Les militants de la SNCASO de Bègles, usine d’aviation réquisitionnée par l’armée d’occupation, diffusent aussi la propagande imprimée venue du moulin des Souques.

Le 25 août 1942, Jeanne Souques est arrêtée dans sa blanchisserie par des policiers bordelais qui lui disent : « Nous vous relâcherons quand nous aurons votre mari ». Parti en mission (et clandestin ?), Henri n’est pas à la maison ce jour-là ; Jeanne ne met pas les policiers sur sa piste.

Henri Souques sera arrêté plus tard, à un moment où les policiers n’auraient pu tenir leur promesse, même s’ils l’avaient voulu (quand ?).

Jeanne Souques est enfermée à la caserne Boudet, rue de Pessac à Bordeaux, qui dispose d’une prison militaire utilisée comme annexe du Fort du Hâ.

Le 16 octobre 1942, elle est parmi les soixante-dix hommes et femmes – dont trente-trois futures “31000” (les “Bordelaises” et les Charentaises) – transférés depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet de Bordeaux au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [4] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Jeanne Souques y est enregistrée sous le matricule n° 963. Elle se fait beaucoup de souci pour son grand fils, infirme qui ne peut se passer d’aide.

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »).

Le lendemain, Jeanne Souques fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

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En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.

Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Jeanne Souques y est enregistrée sous le matricule 31739. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Jeanne Souques a été retrouvée).

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Atteinte par le typhus, Jeanne Souques meurt à Birkenau le 1er avril 1943, selon le témoignage des rescapées (l’acte de décès du camp n’a pas été retrouvé).

Le 30 août 1943 au soir, Henri Souques est déporté depuis Paris dans un petit transport de quarante hommes : vingt-neuf Français, huit Belges, deux Espagnols et un Italien, parmi lesquels des FTP arrêtés en Gironde. Trente-et-un viennent du Fort de Romainville, cinq du Cherche-Midi, et quatre de la prison de Fresnes. Tous sont regroupés à la gare de l’Est dans des wagons de voyageurs aménagés pour le transport des prisonniers, et accrochés à la ligne régulière à destination de l’Allemagne. Arrivés à Sarrebruck, le lendemain matin, les déportés descendent et sont conduits au camp de Neue Bremm, où ils restent quelque temps avant d’être transférés vers des KL en Allemagne. Le 16 septembre, Henri Souques, fait partie du groupe transféré au KL Mauthausen et immatriculé dans la série des « 35000 ». Lui-même reçoit le n° 35222 et se voit attribuer le statut « NN » par la Gestapo. Il survit jusqu’à la libération du camp le 5 mai 1945.

À son retour, Henri Souques apprend la mort de Jeanne par les rescapées du convoi.

À signaler qu’il existe un autre Henri Souques, né à Bordeaux en novembre 1900, mais celui-ci meurt en déportation.

Selon Ch. Delbo, le beau-frère de Jeanne, André Souques, déporté, rentre lui aussi. La femme de celui-ci, déportée également, meurt peu après son retour. Dans le Livre-Mémorial de la FMD, édition 2004, on trouve un nommé André Souque (sans « s »), né le 6 février 1897 à Bordeaux, peut-être arrêté en mai 1942, déporté dans le transport parti de Compiègne le 22 mars 1944, et arrivé au KL Mauthausen le 25 mars. Immatriculé sous le n° 60557, il a fait partie des 120 détenus de ce convoi transféré au Kommando de Wiener-Neudorf, duquel il revient.

De son côté, Charles Tillon évoque un fils Souques mort en déportation.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 272-273.
- Charles Tillon, Les F.T.P., soldats sans uniforme, éditions Ouest-France, oct. 1991, pages 23, 26.
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
- Thomas Fontaine, Guillaume Quesnée, Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, I.127. pages 1041 et 1043.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 28-04-2010)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Le moulin de Monjous, aujourd’hui situé dans le Parc du Moulineau, est implanté sur le cours de l’Eau Bourde, rivière qui se jette dans la Garonne à Bègles, après s’être divisée en trois bras (les esteys).

[2] Charles Tillon quitte définitivement Bordeaux pour Paris en décembre 1940, après avoir créé les conditions de la lutte clandestine du Parti communiste dans le Sud-Ouest : groupes de trois, cloisonnement strict, réseau de “planques”.

[3] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).

[4] Les Lilas. Jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine (transfert administratif effectif en janvier 1968).