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Henriette Papillon naît le 5 mars 1920 à Romainville [1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), fille de Fernand, Henri Papillon, 28 ans, cordonnier puis ouvrier en fer, et d’Henriette, Albertine, Ganter, son épouse (mariés le 3 mai 1919 à Bagnolet).

Le 12 mai 1935, Fernand Papillon est élu conseiller municipal communiste de Romainville sur la liste conduite par Pierre Kérautret.

En 1937, Henriette adhère au Jeunes filles de France sans y avoir de responsabilité particulière.

Elle a pour tante Gabrielle – sœur de son père – née le 16 janvier 1896 et mariée à Marcel Éthis, né le 23 novembre 1894 à Montreuil-sous-Bois (93), artisan fondeur [2] qu’elle aide dans sa petite entreprise. Ils sont domiciliés au 33, rue de la Fraternité à Romainville, l’atelier de Marcel étant attenant à leur pavillon. ils n’ont pas d’enfant. Avant la guerre, ils sont sympathisants du parti communiste ; Marcel est adhérent aux Amis de l’Union soviétique.

À une date restant à préciser, Henriette se marie avec un Monsieur Pizzoli. Le 29 mai 1939, elle met au monde leur fille, Huguette.

Le 15 février 1940, le conseil de préfecture de la Seine déchoit Fernand Papillon, père d’Henriette, de son mandat électif pour appartenance au Parti communiste.

Après la déclaration de guerre, le mari d’Henriette est mobilisé. En juin 1940, il est fait prisonnier et envoyé en Allemagne., Henriette est alors cartonnière (manutentionnaire chez Uclaf).

Sous l’occupation, ses oncle et tante, les Éthis, sont surveillés, une note de police datée du 20 octobre 1941 constate que « l’enquête effectuée sur [le compte de Gabriel Éthis] et les renseignements recueillis ne permettent pas de confirmer qu’il se livre actuellement à de la propagande clandestine. La visite domiciliaire [perquisition] n’a donné aucun résultat. » (… du matériel clandestin a pu être déménagé avant cette date).

Henriette Pizzoli s’est engagée dans une liaison avec un garagiste du voisinage (domicilié au 65 avenue Galliéni), Alphonse Baconier, homme marié âgé d’une quarantaine d’années. Propriétaire d’un camion, il utilise celui-ci pour le compte de la société allemande SSK Staffel [?] à Mouy (Oise). Selon Charlotte Delbo, quand Henriette veut rompre, celui-ci, furieux, menace de la tuer. Apeurée, elle va porter plainte. Le commissaire de Romainville écoute la plaignante et, comme on lui a signalé que ce garagiste fait du marché noir, il ouvre une enquête ; peut-être pour le faire tenir tranquille. Cependant, les rapports de police relatent autrement le déroulement des faits. Lors de son interrogatoire ultérieur, Henriette Pizzoli indiquera que Baconnier l’ayant menacée – non pas de mort, mais plus probablement de la dénoncer pour un motif ou pour un autre – elle lui confie, « pour juger de la portée de la menace », que son mari se serait évadé d’Allemagne et se trouverait chez sa mère, Madame Papillon. Et, effectivement, le 19 mai, au 33 place de la Madeleine, Baconier se présente à un Feldpolizeï « pour lui signaler [les] nommés Papillon et Pizzoli, […] réputés comme communistes dangereux. Conduit à la direction générale des Renseignements généraux, l’informateur […] a déclaré que le nommé Papillon et Pizzoli, gendre du précédent et évadé d’Allemagne, devaient se trouver à 13 heures, le même jour, 11 rue Galliéni à Romainville, domicile des époux Papillon. Vers 13 h 30, un inspecteur placé à 60 mètres du dit lieu a été accosté par un cycliste qui lui a fait la réflexion suivante : “Vous êtes brûlé” ». L’affaire en reste probablement là, mais la trahison de Baconier est dévoilée.

Dans la nuit du 21 au 22 juin 1942, dix-neuf détenus communistes s’évadent par un tunnel du camp d’internement allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122), puis se dispersent par groupes de deux. Louis Thorez et Henri Le Gall longent l’Oise dans l’obscurité jusqu’à la gare de Verrière, où il prennent un train en direction de Paris vers 7 h 30. Toujours accompagné de Le Gall, Thorez se présente chez Alphonse Baconier, son presque beau-frère (son épouse est la sœur de lait de celui-ci), en lui demandant de les accueillir pour quelques jours. Se disant dans l’impossibilité de les héberger, Baconier sollicite l’aide d’Henriette Pizzoli. Laquelle accepte de les héberger et leur laisse son domicile pour s’installer elle-même chez ses oncle et tante, les Éthis. Sachant que ceux-ci disposent d’un jardin potager leur permettant de se fournir en légumes sans ticket de rationnement, elle leur demande également de pourvoir chez eux au déjeuner des deux hommes. Marcel et Gabrielle acceptent pour lui rendre service, sachant qu’Alphonse Baconier continue à l’importuner et à la menacer physiquement.

Le 6 juillet, une lettre anonyme (?) de dénonciation parvient à la police.

Le vendredi 10 juillet vers 13 h 30, quatre inspecteurs de la BS1 se présentent au domicile des Éthis, 33, rue de la Fraternité. Dès qu’ils sonnent à la porte, les occupants comprennent à qui ils ont affaire. Louis Thorez et Henri Le Gall sautent du premier étage dans le jardin situé derrière la maison. Mais, par une vitre de la porte d’entrée, les policiers les voient fuir. Ils forcent aussitôt l’ouverture et, après une brève poursuite, les deux hommes sont maîtrisés sans opposer de résistance.

Marcel et Gabrielle Éthis, Henriette Pizzoli sont également arrêtés ; seul un neveu du couple, présent lors des arrestations, est laissé libre.

Lors des interrogatoires, Henriette Pizzoli reconnait l’écriture du dénonciateur sur l’enveloppe qui lui est présentée : c’est celle de son ancien ami éconduit, Alphonse Baconier, et elle fait le lien avec la dénonciation précédente. La jalousie n’était pas le seul mobile d’Alphonse Baconier, car il déclare aux policiers, lors de son interrogatoire (procès-verbal) : « J’ai toujours été foncièrement anticommuniste. […] J’étais bien décidé par pure conviction personnelle à ne pas laisser échapper Thorez et son camarade. J’avais même l’intention de ne pas les perdre de vue et de connaître éventuellement leurs liaisons. » Il a décidé de dénoncer les deux hommes après avoir apprit qu’ils s’apprêtaient à changer de “planque”.

Au cours des interrogatoires, Henri Le Gall et Louis Thorez affirment que leurs identités réelles étaient inconnues de leurs hôtes. Gabriel Éthis et Henriette Pizolli affirment également ne les connaître que comme amis de Baconier « venant de province », « dépourvus de ressources », s’apprêtant « à aller travailler en Allemagne ou en zone libre ». Le 11 juillet, confrontée à Baconier, Henriette maintien cette version. Mais le garagiste l’implique au maximum en persistant à affirmer qu’elle connaissait leurs noms et savait qu’ils s’étaient  évadés du camp de Compiègne.

Une fois achevée sa propre enquête, la police française livre toutes les personnes arrêtées aux autorités militaires d’occupation, Le Gall et Thorez s’étant échappés d’un camp sous leur contrôle.

Le 22 juillet, Henriette Pizzoli est conduite – seule – au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht ; elle y est enregistrée sous le matricule n° 533. Sa tante, Gabrielle Éthis, y est transférée le 7 août (matricule n° 555). Elles sont les deux premières futures “31000” à y être enregistrées.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

Le 11 août 1942, Marcel Ethis, Louis Thorez, Henri Le Gall et Alphonse Baconnier sont fusillés au fort du Mont-Valérien, à Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine) parmi quatre-vingt-huit otages. Le corps de Marcel Ethis est incinéré au Père Lachaise, et ses cendres inhumées au cimetière de Bagneux le 29 août (ré-inhumées dans le carré militaire du cimetière de Romainville après la guerre).

Le 21 janvier 1943, Gabrielle Éthis et Henriette Pizzoli font partie des cent premières femmes otages internées au Fort de Romainville qui sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne, sur la commune de Margny, et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [2] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été extraites de wagons et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Premières enregistrées au fort de Romainville, Gabrielle Éthis et Henriette Pizzoli sont les deux premières femmes du convoi enregistrées à Auschwitz, l’une sous le matricule 31625, l’autre sous le 31626. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche. Henriette se déclare sans religion (Glaubenslos).

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart portant un couvre-chef (foulard), de face et de profil.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943, le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant
l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943,
le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive).

Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues. Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol,
est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible
de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Gabrielle Ethis meurt tout au début (l’état civil français a enregistré son décès au 1er mars). Les rescapées ne l’ont jamais entendu faire un reproche à sa nièce.

Atteinte du typhus, Henriette Pizzoli est admise au Revier. C’est là qu’elle meurt, le 16 mai 1943 selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp. Elle a 23 ans.

Sa fille Huguette, orpheline de mère, sera élevée par les parents de celle-ci, Fernand et Henriette Papillon.

À la Libération, Fernand Papillon fait partie du conseil municipal provisoire (arrêté du 27 octobre 1944). Il est réélu conseiller lors des scrutins de 1945, 1947 et 1953.

Le 11 novembre 1948, en présence de la population et du Conseil municipal de Romainville, est dévoilée une plaque commémorative apposée dans la mairie en hommage aux cent cinq victimes romainvilloises de la guerre 1939-1944, sur laquelle sont inscrits les noms de Marcel et Gabrielle Ethis, Henriette Pizzoli.

À une date restant à préciser, une plaque commémorative portant les noms de cinq résistants, parmi lesquels Marcel et Gabrielle Éthis, est apposée rue Voltaire à Romainville.

Fernand Papillon, père d’Henriette et grand-père de sa fille Huguette, décède le 3 novembre 1981 à Montreuil-sous-Bois (93).

Les 1er et 2 juillet 2017, poussée et soutenue par sa famille et Annick Odru, Huguette Bardet, fille d’Henriette, alors âgée de 78 ans, visite pour la première fois les camps d’Auschwitz et de Birkenau avec l’association Mémoire Vive, en compagnie de Fernand Devaux (95 ans).

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 110-111.
- Monique Houssin, pour l’Association des Amis du musée de la Résistance nationale de Seine-Saint-Denis, Résistantes et résistants en Seine-Saint-Denis, Un nom, une rue, une histoire, Les Éditions de l’Atelier 2004. Pages 171 et 172.
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
- Claude Pennetier, notice de Fernand Papillon, et Daniel Grason, notices de Marcel Éthis et d’Alphonse Baconnier, site du Maitron en ligne, dictionnaire biographique de mouvement ouvrier.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais ; renseignements généraux, brigade spéciale n° 1 (anticommuniste), affaire contre Thorez Louis, Le Gall Henri et autres (GB 64).
- Pour Fernand Papillon, Archives de Paris, site internet, archives en ligne ; registre des naissance de l’année 1891 (V4E 7901), acte n° 3495 du 15-09-1891.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrit, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué) ; 120 actes retrouvés pour les « 31000 » ; Henriette Pizzoli, tome 3, page 939 (19990/1943).
- François Tanniou, association Mémoire et création numérique, site Les plaques commémoratives, sources de mémoire.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 4-07-2017)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Romainville et Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] On lui doit l’effigie en bronze de Henri Barbusse accolée à la stèle du boulevard qui porte ce nom.

[3] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.