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D.R.

Yvonne Picard naît le 1er août 1920 à Athènes (Grèce), fille de Charles Picard, 37 ans, archéologue adepte de la fouille méthodique, spécialiste de la statuaire grecque, directeur de l’École française depuis 1919. En 1925, à la fin du mandat de celui-ci à la tête de l’institution, la famille revient en France et Charles Picard devient professeur à la Faculté de Lettres de Lyon, puis à la Sorbonne, à Paris. En 1937, il est nommé directeur de l’Institut d’art et d’archéologie de Paris.

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Paris. La Sorbonne. Le grand amphithéâtre.
Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Licenciée en philosophie, Yvonne Picard donne des cours à l’École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres. L’étude de la pensée marxiste la conduit au communisme.

Sous l’occupation, elle intègre un temps le petit mouvement de résistance intellectuelle Socialisme et Liberté, fondé par le philosophe Jean-Paul Sartre en mars 1941, après son retour de captivité, mais dissous vers la fin de l’année après l’arrestation de deux de ses membres.

Quittant ses parents pour s’engager dans l’action au sein de la résistance communiste, Yvonne Picard leur donne son adresse pour ne pas les intriguer. Elle a alors pour fiancé Gaston Étiévent, né le 9 janvier 1910 à Paris 2e, cordonnier orthopédiste. Yvonne fréquente encore quelques amis universitaires qui se retrouvent dans la maison-atelier que le peintre non figuratif Alfred Manessier a confié à son beau-frère Claude Simonnet. Au fond d’une cour, rue de Vaugirard, elle retrouve Bernard et Bianca Lamblin, Raoul Lévy, Jean Kanapa, Claudine Retail.

Sur le carnet d’un jeune FTP, arrêté le 16 mai 1942 dans le cadre des filatures de l’« Affaire Tintelin » (les “imprimeurs”), les policiers lisent : « 1-8-20 Athènes ». Interprétant ces données, ils finissent par identifier Yvonne Picard.

Quand ils se présentent chez Charles Picard et lui demandent où est sa fille, celui-ci le leur dit sans hésiter : professeur à la Sorbonne, membre de l’Académie des Inscriptions (depuis 1932), qu’a-t-il à craindre de la police de son pays ? Il ira ensuite chez le préfet de police pour en savoir davantage, tenter de faire libérer sa fille. En vain.

Arrêtée le 18 juin 1942, Yvonne Picard est écrouée au dépôt de la préfecture de police.

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Photographiée au service de l’identité judiciaire
de la préfecture de police le 15 juillet 1942.
© APP. Paris

Le 10 août, elle est transférée au camp allemand du Fort de Romainville, sur la commune des Lilas [1] (Seine-Saint-Denis – 93), avec toutes celles qui avaient été arrêtées le même jour qu’elle.

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L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Elle y est enregistrée sous le matricule n° 613.

Arrêté en même temps qu’elle, Gaston Étiévent est fusillé au Mont-Valérien le lendemain, 11 août 1942, parmi 88 otages (non jugés) dont treize autres compagnons (époux…) de futures “31000”.

Le 22 janvier 1943, Yvonne Picard est parmi les cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

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Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Yvonne Picard y est enregistrée sous le matricule 31634.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil.

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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où se trouvent quelques compagnes prises à la “course” du 10 février. Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Charlotte Delbo témoigne :

« Je la revois, dans ce morne cortège que nous formions pour porter des briques, d’un tas sur l’autre, deux briques à la fois. Elle tenait ses deux briques contre sa poitrine, sur son bras gauche plié.

 

“Comme si je portais des livres. C’est ainsi qu’on porte ses livres, n’est-ce pas ? Si je pouvais imaginer, seulement imaginer que ce sont des livres.”

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Dessin de Francis Reisz, extrait de Témoignages sur Auschwitz,
publié en 1946 par l’Amicale d’Auschwitz.

À Auschwitz, on ne pouvait pas s’imaginer, on ne pouvait pas s’évader en imagination, on ne pouvait pas essayer de jouer un instant que ce n’était pas vrai. Aucun dédoublement n’était permis. »

Prise de dysenterie dès le début, elle dit : « On dira : licenciée en philosophie à dix-neuf ans et morte de la dysenterie à vingt-deux ans ».

Épuisée, elle est admise au Revier.

Marie-Elisa Nordmann témoigne : « Au Revier, le visage couvert de poux, elle agonisait ».

Yvonne Picard meurt le 9 mars 1943.

(son père, Charles Picard, décède le 15 décembre 1965)

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 230.
- Simone Alizon, L’Exercice de Vivre, éditions Stock, avril 1996, 384 pages, ISBN 2-234-04614-9, code-barre 9-782234-046146 ; page 100 et 220.
- Yvonne Picard, Le temps chez Husserl et chez Heidegger, publié initialement en 1946 dans la revue Deucalion, dirigée par Jean Walh, revue Philosophie, numéro 100, hiver 2008, Les Éditions de Minuit, pages 7 à 37, présentation de Daniel Giovannangeli.
- Bianca Lamblin, L’Histoire d’Yvonne Picard, Esprit, mai 1992.
- Bianca Lamblin, Mémoires d’une jeune fille dérangée, Paris, Balland, 1993.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 1-06-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).