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- Germaine Louise Émilienne Morigot naît le 10 octobre 1901 dans la “section” du Nouveau Monde à Malaunay, banlieue rouennaise (Seine-Inférieure / Seine-Maritime – 76) [1], fille d’Octave Morigot, 30 ans, ouvrier spécialisé dans la gravure des rouleaux servant à imprimer les “indiennes”, et de Marguerite Dubois, 26 ans, laquelle s’occupe de la maison, au sein d’un foyer heureux. Germaine a deux sœurs aînées : Bernadette, née en 1897 (plus tard employée des PTT), et Alice, née en 1899 (plus tard sténo-dactylo).
- Germaine est élève à l’école primaire de Malaunay, puis à l’école primaire supérieure de Rouen, et enfin à l’École normale d’institutrices. En 1921, elle est nommée à Elbeuf (76).
- Pendant un temps, elle est domiciliée chez ses parents au 10 route de Monville à Malaunay.
- Le 24 septembre 1923, à Malaunay, elle épouse André Félix Auguste Pican, instituteur public âgé de 21 ans, domicilié au 22 rue Gambetta à Caudebec-les-Elbeuf ; rencontré lors d’une excursion organisée entre Normaliens, garçons et filles, dans la région rouennaise. Tous deux adhèrent au Syndicat des membres de l’enseignement laïc (CGTU) puis, après 1936, au Syndicat national des instituteurs.
- Dès ses premières nominations, André Pican accepte d’être secrétaire de mairie, acquérant « des connaissances indiscutables en matière d’administration » qu’il met au service des plus humbles.
- En décembre 1927, il déclare être domicilié à Veauville-lès-Quelles, petit village du pays de Caux (171 habitants), à 17 km au nord d’Yvetot.
Germaine et André ont deux filles : Germaine et André ont deux filles, nées à Elbeuf : Claudine, le 5 mai 1926, et Simone, le 7 juillet 1928. - En décembre 1934, André Pican adhère au Parti communiste « par affinité », sans avoir été recommandé et ne connaissant pas de militants.
- De la rentrée 1931 à la rentrée 1936, il est affecté à la petite mairie-école rurale d’Hautot-le-Vatois (76). À partir de septembre 1936, il est nommé instituteur adjoint dans des écoles élémentaires de Rouen (Géricault, André Pottier…).
- Début octobre 1936, la famille s’installe à Maromme, dans la banlieue textile au nord-ouest de Rouen, rue de Verdun, dans une petite maison dont ils sont propriétaires. Germaine est institutrice adjointe à l’école des filles de Maromme, rue de l’Église.
- André organise des réunions dans la Maison du Peuple de Maromme, installé dans ancien cinéma rue de l’Abbaye, le maire refusant de prêter sa salle communale.
- À la fin des années 1930, le couple accueille une pupille de l’Assistance publique, puis une réfugiée espagnole et son enfant de dix ans lors de la guerre civile.
- Ils sont en relations amicales et militantes avec les d’instituteurs Raoul et Lucie Guérin, de Maromme.
- André est nommé secrétaire de la section PCF des vallées du Cailly et de l’Austreberthe. À ce titre, il publie L’Informateur Populaire.
Une réunion de militants du PCF de la vallée du Cailly dans la salle des fêtes de Maromme, probablement afin de préparer une fête de L’Avenir Normand
et de L’Informateur Populaire devant se tenir à La Maine-Maromme, lieu-dit sur les hauteurs de la vallée.
Marcel Lecour est le 3e assis à droite, un crayon clair à la main.
André Pican est debout derrière lui.
Entre celui-ci et l’affiche, Ursin Scheid, du Petit-Quevilly, fusillé comme otage de représailles le 10 mai 1942.
Germaine Pican est appuyée sur un strapontin à gauche de l’affiche.
© M. et Mme André Groult.Germaine devient militante du Secours populaire et, en 1936, des Amis de l’Union soviétique. En 1937, elle adhère au Parti communiste. Elle devient également présidente de la section de Maromme du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme.
Le 26 mai 1937, le commissaire spécial de police de Rouen répond à une demande de renseignements confidentiels du préfet de Seine-Inférieure concernant Germaine. Dans la réponse du policier, on apprend que celle-ci s’est dernièrement occupée à Maromme « de grouper des vivres et effets d’habillement pour les adresser par la suite aux familles des gouvernementaux espagnols ».
Lors des scrutins des 10 et 17 octobre 1937, André Pican est candidat du PCF aux élections cantonales à Maromme ; non élu au deuxième tour. À l’occasion de cette candidature, les premières lignes qu’il rédige pour L’Informateur Populaire sont : « Les citoyennes resteront à l’écart. Regrettons-le. Elles auraient leur mot à dire, en ce qui concerne la vie chère, les œuvres sociales, la guerre qui menace leurs enfants. Rappelons à ce sujet que le Parti communiste réclame pour elles le droit de vote. Il le réclame d’ailleurs pour tous les travailleurs des deux sexes. Ouvriers, paysans, employés et soldats, à partir de 18 ans devrons un jour être électeurs et éligibles. »
Du 25 au 29 décembre 1937, André Pican est délégué au 9e congrès du PCF à Arles (Bouches-du-Rhône), avec son ami Marcel Lecour (45754), secrétaire de la Section du parti communiste de Maromme.
- Lors de la mobilisation générale du début septembre 1939, André Pican est maintenu à son poste d’enseignant au titre d’”affecté spécial”. Il est alors disponible pour reprendre en main la direction régionale du PCF, malmenée par les répercussions du Pacte germano-soviétique et la mobilisation générale. Peu après, le 27 septembre, le parti est dissous.
- Le 4 novembre, une notice individuelle établie au nom d’André par le commissaire spécial de Rouen, mentionne que son domicile a fait l’objet d’une perquisition “en vertu” du décret du 26 septembre 1939.
- Promu en l’absence de Georges Déziré, membre du triumvirat régional et responsable à la propagande, André Pican compose, à l’aide d’une ronéo, une édition régionale de L’Humanité clandestine et aussi un journal local, La Vérité. Il s’impose comme l’élément moteur et incontournable de la direction régionale.
- Le 28 décembre, le commissaire spécial de Rouen termine la rédaction d’une nouvelle notice individuelle en préconisant : « Son éloignement de la région pourrait être utilement envisagé. Son départ apporterait un certain apaisement dans la région de Maromme. »Appelé sous les drapeaux en janvier 1940, classé « propagandiste révolutionnaire », André Pican est caserné à Rouen d’où il peut rentrer chaque soir chez lui, rédigeant des tracts et organisant la réunion des dirigeants locaux. Avec la plongée dans la clandestinité du secrétaire régional, Lucien Vallée, André Pican voit sa position renforcée. Mais la répression le rattrape : le 20 mars suivant, l’armée le “mute” au camp surveillé de Meuvaines (Calvados), où il se charge de faire connaître l’évolution du procès des députés communistes.
- De son côté, son collègue Raoul Guérin, mobilisé le 10 septembre 1939, a été fait prisonnier de guerre le 10 juin 1940 et envoyé dans un camp en Poméranie.
- Le 13 avril 1940, André Pican est suspendu de ses fonctions par l’inspecteur d’Académie pour n’avoir pas voulu désavouer le Pacte germano-soviétique.
- Le même jour (?), il est arrêté au camp de Meuvaines pour infraction au décret du 26 septembre 1939. Il est conduit à la prison Bonne-Nouvelle de Rouen, puis à la Maison centrale de Beaulieu (la Maladrerie) à Caen (Calvados), d’où il est libéré à l’arrivée de l’armée allemande le 18 juin 1940.Il rentre en Seine-Inférieure, vivant dès lors dans la clandestinité (selon la police, à partir de février 1941), crée les groupes du Front national [X] et les groupes de l’Organisation spéciale (qui deviendront peu après les F.T.P.). Il rédige et imprime le journal régional, L’Avenir normand, pour la Seine-Inférieure et l’Eure, et La Vérité, pour Rouen et sa région.
- Pendant ce temps, Germaine, restée en poste à son école à Maromme, assure les contacts entre l’organisation départementale que dirige son mari et les groupes locaux qui se sont constitués dans chacune des localités de la banlieue rouennaise.
- Lors de l’avancée fulgurante de l’armée allemande en juin 1940, Marie-Louise Jourdan, habitant Paris 18e, et dont le mari est mobilisé, se réfugie (seule ?) dans le village de naissance de celui-ci à Châteauneuf-Val-de-Bargis (Nièvre). C’est alors qu’elle fait la connaissance de Germaine Pican, épouse d’André, et de Lucie Guérin (peut-être aussi des enfants de celle-ci…). À son propre retour de l’Exode, Lucie Guérin est responsable départementale du Secours populaire clandestin pour le secteur de Rouen. Sa fille Claudine participe à ses activités, effectuant des liaisons, transportant La Vérité et L’Avenir normand.
- Le 20 juin 1941, figurant certainement sur une liste établie et transmise par la police française, Germaine Pican est arrêtée à Rouen (par l’armée d’occupation dans le cadre de l’opération Theoderich ?) et détenue au Palais de Justice de Rouen. Le 20 juillet, elle est transférée au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise) pour y être internée ; elle est une des rares femmes arrêtées lors de cette vague d’arrestations [2].
- Le 12 novembre l’armée d’occupation libère Germaine Pican, « dans des circonstances qui n’ont pu être déterminées » note la police française (peut-être en prétextant une maladie…). Elle passe une nuit à son domicile – son retour constaté jetant « un certain trouble » dans le voisinage -, puis plonge à son tour dans la clandestinité, se réfugiant chez une amie institutrice en Eure-et-Loir, avec ses deux fillettes, jusqu’alors cachées chez des amis en Seine-Inférieure.
- C’est peut-être alors qu’elle pose un congé auprès de l’Éducation nationale « pour raison de santé ».
- Le 1er décembre suivant, un juge d’instruction de Rouen délivre un mandat d’arrêt contre André Pican pour propagande communiste.
- Le même jour, 1er décembre, leur collègue Lucie Guérin est arrêtée. Condamnée le 8 janvier 1942 à huit ans de travaux forcés pour activité communiste, elle sera écrouée à la prison Bonne-Nouvelle de Rouen-rive gauche, puis à la Maison d’arrêt pour femmes de Rennes (Ille-et-Vilaine). Le jeune Michel Guérin est pris en charge par sa grand-mère paternelle, à Fécamp. Sa sœur Claudine est placée sous l’autorité d’un tuteur légal, notaire à Blangy-sur-Bresles (76).
- La police, qui a alors perdu la trace de Germaine, cherche toujours son mari et publie la photographie de celui-ci dans Le Journal de Rouen vers la fin décembre 1941. La tête de Pican est mise à prix : 30 000 Francs.
Le Journal de Rouen du 22 décembre 1941 (on constate que la photo est ancienne). Collection Maurice Marie.
Mais il n’est plus dans la région. Nommé instructeur interrégional pour la Manche et l’Indre-et-Loire, il est monté à Paris, avec des faux papiers au nom de « Léon Rochard ».
- Dans cette période, Germaine rencontre son mari à deux reprises dans un café parisien, et ils mettent au point les détails de leur prochaine réunion : ils habiteront à Paris, dans un logement que leur laissera Renée Michaud, laquelle doit être mutée dans le Sud-Ouest. Ils fixent leur troisième rendez-vous au domicile de Marie-Louise et Raoul Jourdan, au 34 rue Letort, qui leur sert de “boîte à lettres”.
- Le 5 janvier 1942, la jeune Claudine Guérin entre en internat au lycée Victor-Duruy pour jeunes fille, 33 boulevard des Invalides à Paris 7e. Elle reconnaîtra plus tard avoir tenté de rallier certains professeurs.
- Dans la capitale, elle a pour correspondante (“boîte aux lettres”) Marie-Louise et Raoul Jourdan, qui – par ailleurs – hébergent André Pican dans un premier temps quand celui-ci quitte la région rouennaise pour éviter une arrestation.
- Le même jour, 5 janvier, la direction des Renseignements généraux (RG) de la préfecture de police apprend la présence à Paris d’André Pican. Des inspecteurs de la 1re brigade spéciale “anticommuniste” (BS1) sont lancés sur la piste du Haut-Normand, mettant à profit leur expérience des surveillances et filatures.Le 21 janvier à 11 h 40, quatre inspecteurs de la BS 1 commencent la filature du militant clandestin à partir de la rue des Orteaux (Paris 20e) – ou d’une rue adjacente ? Ce lieu de passage a probablement fait l’objet d’une dénonciation que les documents de police masquent volontairement dans le premier rapport de filature afin de ne pas faire suspecter un délateur précis (André Pican y est immédiatement désigné comme « X » ou « P. »). Divers comptes-rendus ultérieurs mentionneront une “identification” effectuée seulement lors de son rendez-vous au café du Rond-Point, place de la Porte d’Orléans à 12 h 20 !
- En début d’après-midi, André Pican continue à être “filé” quand il se rend au 3 rue du Buisson-Saint-Louis (Paris 10e), vers la rue Saint-Maur, avec son “contact” (surnommé « Porte d’Orléans » par les policiers) ; lequel y discute avec la concierge. Après qu’ils se soient séparés, Pican est “filé” jusqu’à la teinturerie des Jourdan, rue Mélingue : il y entre à 14 h 30 et en sort vingt minutes plus tard, porteur d’un petit paquet enveloppé de papier. Puis il rejoint Renée Michaud au café “Brunet”, devant la bouche du métro Botzaris. Plus tard, il accompagne celle-ci jusqu’à l’entrée de la gare Saint-Lazare, où elle court prendre un train partant à 17 h 45 (pour Louviers, dans l’Eure ?) ; les inspecteurs qui l’ont repérée la surnomment alors « femme Brunet St-Lazare ». André Pican revient rue Mélingue à 18 h 05, s’installant dans la pièce du fond après avoir enlevé son pardessus.Les inspecteurs en surveillance décident de surnommer « Louviers » celui qu’ils ont d’abord désigné comme « X ». Ils constatent que Raoul Jourdan sort de la teinturerie en portant une bonbonne qu’il va faire remplir à deux reprises « dans une maison d’alimentation sise rue de Belleville ».
- À la nuit tombée (22 heures), Pican quitte la boutique – où il est probable que les Jourdan se soient provisoirement installés – et rejoint sa “planque” du moment, rue Letort.Un des inspecteurs rendra compte que « Pican » – clairement nommé pour la première fois (une maladresse ?) – a passé la nuit du 21 au 22 janvier dans l’appartement dont il a les clés ; le policier précisant également que Raoul Jourdan en est le locataire en titre, et ajoutant que les volets en sont « constamment fermés ». Le lendemain, à 4 heures du matin, les autres inspecteurs reprennent leur surveillance devant l’immeuble. « Louviers » en sort rapidement à 8 heures… et est de nouveau pris en filature.
- Le 26 janvier – de manière anachronique -, la BS1 rédige une notice au sujet « des époux Pican, signalés comme se livrant à l’action communiste clandestine ». « Les recherches effectuées en vue de découvrir les traces de passage ou de séjour des époux Pican dans le département de la Seine sont demeurées jusqu’alors infructueuses. Il en est de même des surveillances qui ont eu lieu à la gare Saint-Lazare. Celles-ci se poursuivent… »
- Il est possible que ce soit le 27 janvier que Pican s’installe dans sa nouvelle “planque” de la rue du Buisson-Saint-Louis. En effet, à 12 h 15, il y arrive seul portant « sur le dos un sac genre “campeur” (…) rempli probablement de linge ».
- Il semble que Renée Michaud rentre de province le 29 janvier. Ce jour-là, à 11 h 30, elle retrouve André Pican au métro Belleville. Ensemble, ils se rendent au 3 rue du Buisson-Saint-Louis. Ils y cohabitent pendant les jours suivants, allant parfois ensemble en journée dans des cinémas voisins, peut-être pour y trouver un peu de chauffage…
- Début février, une opération de police distincte – amenant l’arrestation d’une cinquantaine de militants et la découverte de nombreux dépôts de matériel de propagande – semble inquiéter les cadres clandestins vivants à Paris, selon certains indices relevés par les inspecteurs des brigades spéciales.Le 14 février, vers 20 heures, quatre des inspecteurs chargés de surveiller André Pican constatent que celui-ci se rend en métro à la gare Montparnasse avec Renée Michaud en portant trois valises lourdement chargées (… de linge). Au guichet “grandes lignes”, « Louise Beaucey » change un billet de 5000 francs afin de prendre un billet d’aller simple pour Le Mans (Sarthe) dans le train du lendemain matin (8 h 40). Puis, toujours en utilisant la fausse identité de Renée Michaud, Pican et elle enregistrent les trois valises afin que celles-ci soient expédiées à la gare du Mans. Après quoi, ils regagnent leur domicile.
- Considérant que ces préparatifs de départ pour la province pourraient s’étendre à l’ensemble des militants surveillés, les policiers déclenchent dès le lendemain à l’aube leur coup de filet sur toutes les personnes “logées”. « Le […] 15 février, à 3 heures du matin, 60 inspecteurs, convoqués dans la nuit, [reçoivent] la mission précise pour opérer à partir de 4 heures. ». Tôt le matin, Renée Michaud est appréhendée à 300 mètres de leur “planque” en se rendant seule à la gare. Elle est trouvée porteuse de tracts, dont certains en allemand destinés aux soldats de la Wehrmacht.
Renée Michaud à la Préfecture de Police
Photo anthropométrique prise le 16 février 1942.
Archives de la préfecture de police de Paris. Droits réservés.André Pican est arrêté au moment où il sort de l’immeuble. En le fouillant à corps, les inspecteurs trouvent sur lui une « feuille de rendez-vous », ainsi qu’une enveloppe portant l’adresse d’Yvonne Émorine, agent de liaison.
Photo anthropométrique prise le 15 février 1942.
Archives de la préfecture de police de Paris. Droits réservés.Le jour-même, au lendemain de son arrivée chez les Jourdan, croyant ouvrir la porte à André qu’elle attend, Germaine se trouve face à six inspecteurs de la B.S.1 qui font irruption dans l’appartement où ils ne s’attendaient pas à la trouver.
Lors de leur perquisition à la teinturerie, les policiers trouvent une lettre de Claudine Guérin (16 ans) qu’elle dira destinée au fils des Jourdan,, Robert (21 ans) : « J’ai appris 3 décès à Rouen, deux connus et un inconnu. Pauvres diables. L’épidémie fait des ravages. » « Dites à mon frère [sic] que j’ai fait des découvertes parmi les professeurs, 2 ou 3 au moins, mais je ne les connais pas encore. Bientôt, je saurai à quoi m’en tenir. » Le 17 février, trois inspecteurs partiront arrêter celle-ci au lycée Victor Duruy.
Claudine Guérin à la Préfecture de Police
Photo anthropométrique prise le 17 février 1942.
Archives de la préfecture de police de Paris. Droits réservés.Germaine Pican, Marie-Louise et Raoul Jourdan sont emmenés à la préfecture de police pour interrogatoire. Dans les bureaux des Renseignements généraux, Germaine croise son mari. Entre les interrogatoires, ils sont consignés provisoirement au dépôt.
- Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
- « Avec mes deux enfants, j’ai regagné la petite maison de Maromme qui ne devait jamais retrouver sa chaleur ; ma Claudine, marquée par la guerre et la perte de son père, est morte deux ans après mon retour [le 11 décembre 1946]. J’ai donné le meilleur de moi-même à ce que je considérais désormais le plus attachant : ma cadette, l’école, mon parti. J’étais communiste et je le suis restée. C’est ce qui m’a aidée, car mon adhésion au parti communiste, qui date des années du Front populaire et de la lutte antifasciste, n’a jamais eu pour moi d’autre signification que celle d’un combat nécessaire pour le bonheur. »En janvier 1947, elle reçoit la médaille de l’Ordre de la Libération (André recevra cette décoration à titre posthume en décembre 1959). Elle est homologué au grade fictif d’adjudante dans la Résistance Intérieure Française (RIF) pour son appartenance au Front National [6].À partir de 1947, elle assure le secrétariat départemental de l’Association des familles de fusillés.
Paris. La préfecture de police vue depuis Notre-Dame.
Carte postale des années 1900 (le bâtiment est alors la caserne de la Garde républicaine). Coll. Mémoire Vive.Le 20 mars 1942, un inspecteur, un brigadier et des gardiens de la paix viennent au dépôt prendre livraison de cinq hommes (dont André Pican) et sept femmes (dont Germaine) fortement impliqué•es dans cette affaire pour les transférer à la Maison d’arrêt de la Santé. Par précaution, chaque détenu•e est lié•e à un gardien par un “cabriolet” (entrave de poignet). Au moment de monter à son tour dans le car de police entré sous le porche du dépôt, André Pican réussit à bousculer son gardien et à s’enfuir. Ayant franchi la porte d’entrée, il fuit d’abord sur le haut quai de l’Horloge surplombant la Seine, puis enjambe le parapet et se jette dans le fleuve. Espère-t-il se sauver à la nage ? Compte-t-il qu’à la faveur du désordre créé par sa tentative d’autres pourront s’enfuir ? Après avoir nagé dans le sens du courant pendant 150 mètres environ, épuisé et gêné dans son mouvement par son pardessus, il s’accroche à un anneau de fer fiché dans le mur au niveau de l’eau. Un inspecteur des prisons descend presque à sa hauteur au moyen des échelons de fer fichés dans la paroi et l’incite à remonter.
Le Palais de Justice du côté du quai de l’Horloge.
La tentative de fuite d’André Pican, proposition de trajet.
© Photographie Mémoire Vive, mai 2025.Enchassée dans le mur entre la Seine et le quai, l’échelle de fer
qu’a probablement utilisé André Pican pour remonter.
En mars 1942, le niveau du fleuve était plus haut…
© Mémoire Vive, mais 2025.Maîtrisé, André Pican est reconduit dans le car. Mais, au démarrage du véhicule et à l’instigation d’Arthur Dallidet, tous les détenus se mettent à chanter La Marseillaise et à crier « Vive la France ». Le chef du transport fait alors réintégrer tous les détenus au dépôt, et rend compte des incidents au chef de la brigade spéciale par téléphone. Celui-ci fait alors envoyer un fourgon cellulaire, dans lequel les détenu•es sont séparé•es.
Le 23 mars, Germaine Pican est à la division allemande de la Santé, au secret, où elle partage la cellule de Danielle Casanova.
À l’aube du 23 mai, Germaine Pican est conduite à travers les couloirs de la prison afin dire adieu à son mari dans la cellule de celui-ci, peu avant son exécution. Elle constate que les traces des coups reçus sont encore visibles sur son visage.
André Pican a été désigné par Werner Best, chef de la section Administration dans l’état-major d’administration du Commandement militaire en France (Militärbefehlshaber), parmi les dix (7 + 3) otages Juifs (sic) et communistes fusillés au fort du Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), en représailles « d’un attentat commis le 19 mai sur l’administrateur militaire Kuligk », blessé d’une balle à la hauteur du 5 quai Malaquais (Paris 6e). Pican est exécuté aux côtés de Jean-Claude Bauer, Édouard Bidaud (réseau Cambronne), Roger Bru (groupe inconnu), Georges Dudach, Marcel Engros, Claude Gaulué, Albert Hervé (réseau Cambronne), Georges Politzer et Jacques Solomon.
Le 24 août définitivement remises à l’armée d’occupation, Germaine Pican fait partie du groupe de trente-cinq résistantes communistes de la Seine et de province mises à la disposition des Autorités allemandes sur demande de celles-ci et transférées au Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht. Germaine Pican y est enregistrée sous le matricule n° 680.
L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).Le 22 janvier 1943, elle fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne ; leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » (transférée à Compiègne le 22.1 ). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camions à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [4], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.Germaine Pican y est enregistrée sous le matricule 31679. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie policière allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil.
Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.À Birkenau, Germaine Pican est l’une des rares qui ne se font pas admettre au Revier [3] : elle supporte « debout » le typhus qui ravage le camp.
Sa jeune protégée, Claudine Guérin, succombe vers le 25 avril, lors de sa deuxième admission, solitaire, au Revier, après avoir contracté le typhus puis la dysenterie.
Germaine Pican est ensuite affectée au Kommando agricole de Raïsko, où les conditions de travail sont moins mortifères, mais n’y reste que deux semaines ; prise à voler des oignons, elle est renvoyée à Birkenau en punition.
Quinze jours plus tard, le 3 août, Germaine Pican est parmi les “31000” placées en “quarantaine” dans une baraque en bois située en face de l’entrée du camp des femmes (celles qui ont été envoyées travailler au Kommando de Raïsko étant considérées comme bénéficiant déjà d’une situation protégée). Charlotte Delbo précise : « La quarantaine, c’était le salut. Plus d’appel, plus de travail, plus de marche, un quart de litre de lait par jour, la possibilité de se laver, d’écrire une fois par mois, de recevoir des colis et des lettres. » Néanmoins, cinq Françaises, trop épuisées, y succombent encore. Pour les “31000”, cette période dure dix mois.
Afin de faire connaître en France qu’ils et elles sont toujours vivant·es, les ”45000” et “31000” rescapé.es jusque à cette date reçoivent le droit d’écrire à leurs proches (en allemand, sous visa de la censure du camp…).
En juin 1944, les “31000” de la quarantaine sont renvoyées au travail, mais affectées dans un atelier de couture moins épuisant où elles ravaudent les vêtements laissés par les Juifs « à l’entrée de la douche ». Des fenêtres de cet atelier, elles assistent à l’arrivée des convois de Juifs de Hongrie, débarqués sur une dérivation de la voie de chemin de fer qui se prolonge désormais à l’intérieur du camp.
Après le débarquement allié en France, un nouveau front s’est créé que le courrier ne franchit plus.
Le 2 août 1944, Germaine Pican fait partie des trente-cinq “31000” transférées au KL Ravensbrück (matricule n° 7.3545 – ?) où elles arrivent deux jours après ; la plupart étant enregistrée comme détenues “NN” (pas de travail hors du camp, pas de transfert dans un Kommando) et assignées à un Block réservé.
Après avoir subit sa peine d’emprisonnement à Rennes (Ille-et-Vilaine) puis à Châlons-sur-Marne (Marne), sa camarade de Maromme, Lucie Guérin, a été livrée aux autorités d’occupation. Après un passage au fort de Romainville, elle a été déportée le 13 mai 1944 à Ravensbrück. Quand elles se retrouvent, Germaine Pican l’informe du décès à Birkenau de sa fille Claudine.
Le 2 mars 1945, Germaine Pican est parmi les trente-trois “31000” transférées au KL Mauthausen (matricule n° 2363 – ?), en Haute-Autriche annexée au IIIe Reich, à environ 22 km de Linz, où elles arrivent le 5 mars après un voyage très pénible.
Ensuite, en les transportant de nuit, on conduit la plupart d’entre elles à la gare de triage d’Amstetten pour boucher les trous d’obus et déblayer les voies quotidiennement bombardées par l’aviation américaine (trois “31000” seront tuées sous les bombes).
Le 22 avril 1945, Germaine Pican fait partie des trente “31000” prises en charge par la Croix-Rouge internationale et acheminées en camion à Saint-Gall (Sankt Gallen), au sud du lac de Constance, en Suisse alémanique.
Saint-Gall, avec, incrusté au fond par photomontage, la barrière calcaire du Säntis (2502 m). On distingue la voie ferrée qui traverse la ville.
Carte postale des années 1940, collection Mémoire Vive.De là, elles gagnent Paris par le train où elles arrivent le 30 avril. C’est le groupe le plus important de “31000” libérées ensemble, c’est le “parcours” le plus partagé.
L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945.
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.En arrivant à l’hôtel Lutetia, Germaine Pican se tient dans le hall, cherchant des membres de sa famille, mais n’y trouve personne. Apercevant un journaliste qu’elle avait connu avant-guerre, elle lui demande s’il sait où est son père. Il lui répond qu’il est décédé.
Afin de surmonter la perte d’André, son mari, Germaine cherche à savoir où celui-ci a été enterré après son exécution, et passe ses premières semaines en France à éplucher les registres de différentes municipalités. Après l’exhumation du corps, elle ne confirme l’identité de celui-ci que grâce à sa veste, une mèche de cheveux et une dent en or.
Le 30 juillet 1945, un service administratif de Fécamp dresse une liste de dix-neuf administrés disparus au cours de la guerre. Concernant Claudine Guérin, Germaine Pican l’a déclarée décédée du typhus en mars 1943. Le 24 mai 1946, Germaine Pican (« déportée en Allemagne ») remplit et signe une déclaration par laquelle elle déclare que Claudine Guérin « est morte au camp d’Auschwitz des suites du typhus », sans préciser alors à quelle date. Le 25 mai, Madeleine Dissoubray, « déportée politique », remplit et signe une déclaration par laquelle elle témoigne avoir assisté au décès de Claudine Guérin, en indiquant la date qui sera retenue par l’état civil français.
À une date restant à préciser, le conseil municipal de Maromme donne le nom d’André Pican à la rue de la commune jouxtant le pavillon familial.
Germaine Pican reprend son métier à l’école Jules Ferry au Mont-Gargan, quartier à l’ouest de Rouen jusqu’à sa retraite en 1955.
En 1946 au Parc des Chartreux à Petit-Quevilly :
À droite, Claudine Pican, fille de Germaine et André.
A gauche, Christiane Letourneur, fille de William Letourneur, arrêté le 3 mars 1943 à Maromme et déporté au KL Buchenwald le 25 juin suivant, rescapé.
© Alain Alexandre, photo communiquée par Max Valentin, frère de Jean Valentin, de Grand-Quevilly.Membre du bureau de la section du Parti communiste français, membre du comité de la fédération du PCF de 1947 à 1964, Germaine Pican est responsable de la commission d’éducation.
Elle participe à l’organisation et au soutien de la grève des usines textiles de la vallée du Cailly.
Le 8 décembre 1946, Germaine Pican est élue au Conseil de la République en deuxième position sur la liste d’“Union républicaine et résistante”. Membre de la commission des pensions, puis en 1947 de la commission de la famille, elle intervient à plusieurs reprises et est rapporteur d’un projet de résolution concernant les femmes seules ayant des enfants. Puis elle est battue lors des renouvellements des 7 novembre 1948, 18 mai 1952, et 8 juin 1958.
En 1956, elle est candidate aux élections législatives, en troisième position sur la liste communiste dans la première circonscription. En 1958, candidate aux élections législatives dans la quatrième circonscription (Clères, Maromme, Pavilly), elle obtient 7815 voix, puis 8433 voix sur 54 851 inscrits (troisième position). À nouveau candidate en 1962, dans la même circonscription, arrivée en troisième position avec 8116 voix sur 59 576 inscrits, elle se retire pour “un socialiste indépendant de gauche” soutenu par le candidat socialiste SFIO arrivé en quatrième position.
À la veille des législatives 1967, elle demande à ne pas être présentée en raison de son âge et de sa santé, et est remplacée par Colette Privat qui est élue.Proposée comme candidate au Conseil général en 1945, elle représente le PCF aux élections pour le Conseil général dans le canton de Maromme en 1955, en 1961 (2914 sur 13 047 suffrages exprimés, deuxième position, puis battue au deuxième tour par un socialiste indépendant avec 3 923 voix).
De 1953 à 1958, elle est secrétaire départementale de l’Union des femmes françaises, demeurant par la suite membre de la direction départementale de l’UFF, après avoir relancé, en 1956 aux côtés d’Augusta Pieters, la section de Dieppe.
En 1953 (?), Germaine Pican dépose un dossier de demande d’attribution du titre de Déporté Résistant auprès de la Commission départementale des déportés et internés résistants de la Seine-Inférieure du ministère des Anciens combattants et victimes de la guerre. Le préfet du département donne un avis défavorable, suivi, le 24 décembre 1953, par la commission interdépartementale de Rouen, puis par la Commission nationale le 5 mars suivant. Le ministère rejette sa demande le 24 mars et lui envoie une carte de Déportée politique le 14 avril. Par la même occasion, le lendemain 25 mars, le ministère rejette la demande d’attribution du titre d’interné résistant à André Pican et lui attribue celui d’interné politique.
Le 14 juin, Germaine Pican écrit au ministre pour lui présenter un recours gracieux « contre ce rejet inique ». Peu après (?), un responsable du ministère lui répond que la Commission nationale avait « conclu de l’examen de [son] dossier et de celui de [son] mari qu’à l’origine de [sa] détention ne se trouvait aucun des actes qualifiés de résistance à l’ennemi définis à l’article R.287, ainsi que l’exige l’article R.286. » Le fonctionnaire déclare avoir « fait procédé à une enquête complémentaire dont le résultat fait apparaître que [la demandeuse a] été appréhendée pour infraction au décret-loi du 26 septembre 1939. Il n’est pas possible, dans ces conditions, de réserver une suite favorable à [sa] requête. »
Le 3 février 1956, un fonctionnaire rédige une note relative aux recours présentés devant le Tribunal administratif. Comparant les décisions précédemment obtenues par Marie-Claude Vaillant-Couturier et Danièle Casanova en faveur de leur statut de Résistantes, il estime que les époux Pican « doivent bénéficier de la même mesure ».
L’avis défavorable de la commission nationale est “rapporté” le 24 février 1956. Le 11 mai suivant, l’attribution de la carte de Déporté Résistant (n° 2003.29263) est notifiée à Germaine Pican. Le 26 septembre suivant, un autre fonctionnaire rédige une note sur les « Dossiers concernant des personnes impliquées dans la même affaire que » le couple PIcan : Alida Delasalle née Charbonnier, Edmond Dehays, « dont la demande d’attribution du titre de Déporté Résistant a été rejetée ». Dans l’argumentaire sont également citées Suzanne Clément, Madeleine Dissoubray : « Ne conviendrait-il pas de revoir ces affaires, étant donné qu’il s’agit de personnes appréhendées pour les mêmes motifs que Monsieur Pican à qui la carte a été accordée ? »
Le 26 juin 1960, à Rouen et au Petit-Quevilly, Germaine Pican, Robert Gaillard (45565), Lucien Ducastel (45491) et Louis Jouvin (45697), tous les quatre de la région rouennaise, organisent une première rencontre afin d’essayer, pour la première fois depuis leur retour, de rassembler le plus possible de “45000” et de “31000”, parvenant à réunir 70 personnes.
Dans cette période, Germaine Pican reste sous surveillance policière : « À l’issue d’une réunion politique tenue à Rouen, des pétitions réclamant la paix en Algérie ont été signées. Une délégation des épouses et mères des mobilisés, conduite par Mme Pican, rue A. Pican à Maromme (S.-Mme), doit venir déposer ces pétitions à l’Élysée le 28/2/1961 à 15 h. La Sûreté nationale a été chargée de faire surveiller la dame Pican afin de déceler à temps le départ de la délégation. »
Le 16 septembre 1961, sa fille Simone épouse René Langlois à la mairie de Maromme.
En 1980, Germaine Pican participe au Havre à une nouvelle rencontre “45000”-“31000” organisée par Robert Gaillard et Lucien Ducastel avec le soutien actif de Louis Eudier (45523), ancien député de Seine-Maritime, et sous la présidence de Marie-Claude-Vaillant-Couturier. Au cours d’une conférence, Roger Arnould, documentaliste à la FNDIRP, révèle aux déportés du 6 juillet 1942 les informations qu’il a pu rassembler sur leur convoi. Germaine Pican participe ensuite à de nombreuses initiatives réunissant les rescapé•es des deux convois, par exemple lors leur premier voyage commun à Auschwitz-Birkenau.
En 1985, elle reçoit la Légion d’honneur.
Le 20 mai 1987, sa fille Simone décède à Coullons (Loiret).
En septembre 1991, Germaine Pican est de celles qui accompagnent Christiane Borras dite “Cécile” (31650) lorsqu’elle organise un voyage d’hommage à Danièle Casanova dans son village natal, à Piana, en Corse.
Le 30 mars 1996, Germaine Pican préside la réunion qui décide la création de l’association Mémoire Vive des convois des “45000” et ”31000” d’Auschwitz-Birkenau. Lors de la réunion suivante, le 13 avril, il lui est proposé – au titre de doyenne – de devenir présidente d’honneur de l’association, aux côtés de Marie-Claude Vaillant-Couturier.
Début décembre 2000, accompagnée de sa petite-fille Marianne, Germaine Pican participe à l’assemblée générale de Mémoire Vive qui se tient à Rouen.
Elle décède le 29 janvier 2001 à Bois-Guillaume (Seine-Maritime), âgée de 99 ans. Elle est inhumée au cimetière de Maromme avec André, son mari.
À une date restant à préciser, une plaque commémorative réunissant André et Germaine est apposée sur la maison familiale.
Au centre, « la petite maison de Maromme » de la famille Pican en 2022.
Sur la façade côté rue (dans l’ombre), près de la fenêtre du rez-de-chaussée, on devine la plaque commémorative…
© Google Earth.Cette plaque a été déposée dans les archives de l’Hôtel de ville de Maromme.
© Claudine Ducastel, novembre 2015.Le nom d’André Pican est inscrit sur le Monument à la mémoire des otages fusillés au Mont-Valérien entre 1941 et 1944, une cloche en bronze créée par Pascal Convert et déposée en 2003 devant la chapelle du Mont-Valérien.
En 2023 ou 2024, la maison d’André et Germaine Pican est abattue dans le cadre d’un aménagement paysager (parc de l’Hôtel de Ville). Marianne Langlois, leur petite-fille, qui y vivait encore, est relogée dans un appartement neuf du centre ville.
Le 22 avril 2025, sur l’esplanade de verdure ainsi créée, le maire de Maromme, David Lamiray, inaugure une plaque commémorative au nom de Germaine et de son époux devant une foule nombreuse rassemblant autorités, associations mémorielles et familles.
Outre la mémoire du couple Pican, ce monument honore douze déportés marommais, dont cinq “45000” : André Bardel, Honoré Brieu, Marcel Lecour, Léon Poyer et Julien Villette. Alain Alexandre et Catherine Jouvin Voranger, de Mémoire Vive, assistent à la cérémonie.[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.
[2] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018)..
[3] L’ “Aktion Theoderich” : Le 22 juin 1941, l’attaque de l’Union soviétique se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.
En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés en zone occupée par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.
Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Les autorités d’occupation opéreront un tri et certains seront libérés. Mais, fin août, deux cents d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.[4] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
[5] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », in Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus, ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.
[6] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 227-229 ; Claudine Guérin, pages 134-135.
Charlotte Delbo, Une connaissance inutile, Auschwitz et après II, Les Éditions de Minuit, 1998 ; chapitre L’Adieu, pages 155-157.
Charlotte Delbo, Mesure de nos jours, Auschwitz et après III, Les Éditions de Minuit, 1998 ; chapitre Françoise, pages 205-211.
Alain Alexandre et Stéphane Cauchois, Résistance(s), Rouen, sa région, la vallée du Cailly entre histoire et mémoire, 1940-1944, éditions L’écho des vagues, avril 2015, pages 18-30.
Caroline Moorehead (trad. de l’anglais), Un train en hiver, Paris, Cherche Midi, 2014, 592 p. (ISBN 978-2-266-25872-2), pages 85-87, 121-123, 129, 131, 142, 183, 190, 256-257, 261-262, 265, 297, 322, 325, 342, 377.
Serge Klarsfeld et Léon Tsevery, Les 1007 fusillés au Mont-Valérien parmi lesquels 174 Juifs, Association des fils et filles des déportés juifs de France, mars 1995, pages 25, 50 et 85.
Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, pages 62-63.
Le Maitron en ligne, notice de Germaine Pican, par Jacques Girault, https://maitron.fr/pican-germaine-nee-morigot-germaine-louise-emilienne/
Le Maitron en ligne, notice d’André Pican, par Nicolas Aubin, https://maitron.fr/pican-andre-felix-auguste/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Germaine_Pican
AD 76, archives en ligne : état civil de Malaunay, année 1901, acte n° 108, naissance (vue 61/81) ; année 1923, acte n°104, mariage (vues 59-60/99)
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossiers de la brigade spéciale anticommuniste des renseignements généraux, “Affaire Pican, Cadras, Politzer” (GB 129) ; dossier commun d’André et Germaine Pican au cabinet du préfet (1 W 686-23446).
Archives Nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine (93) : archives restituées par la Russie, commissariat spécial de Rouen 1920-1940 (carton 20010223/1) ; chemise 96-73, Germaine Pican ; chemise 96-74, André Pican.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel de Germaine Pican (21 P 626-034), recherches de Catherine Voranger, avril 2012.
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Alain Alexandre et Catherine Jouvin Voranger : corrections et ajouts (05-2025)
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 12-05-2025)Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
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