Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943, selon les trois vues anthropométriques de la police allemande. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943,
selon les trois vues anthropométriques de la police allemande.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Henriette Merlin naît le 30 mars 1903 à Saint-Quentin (Aisne), fille de Marie Casseleux, 28 ans, couturière. La nouveau-née est reconnue par Paul Merlin, 25 ans, charretier natif de la ville. Le couple a ensuite deux autres enfants : Marcelle, née le 23 décembre 1906, et Paul, né le 17 mars 1909, tous deux à Villeneuve-le-Roi (Oise).
Henriette a également deux sœurs aînées : Germaine, née Casseleux le 18 juin 1894 à Paris 11e, et Charlotte Amélie, née Casseleux le 27 janvier 1898, à Paris 20e, toutes deux de père alors non dénommé.
Le 28 juin 1913, les cinq enfants de Marie Casseleux sont légitimés par le mariage, à la mairie de Paris 20e, de leur mère avec Paul Merlin. La famille est alors domiciliée au 29, rue Vilin.
Le 14 août, Paul Merlin, 36 ans, rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale, rejoint comme soldat de 2e classe les “Pépères” du 10e régiment d’infanterie territoriale de Saint-Quentin, sa ville de naissance. Dès le 28 août, lors d’une offensive allemande sur la ville, il est fait prisonnier de guerre au nord de celle-ci, à Bellenglise (Aisne) [1]. Puis il est successivement interné dans les Kriegsgefangenenlager de Wetzlar, dans le Land de Hesse, et de Meschede, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie (octobre 1916), n’étant rapatrié que le 13 décembre 1918 par le centre de rapatriement de Liège. Ainsi, il est absent du domicile familial pendant plus de quatre ans : Charlotte et Henriette doivent gagner leur vie, leur mère étant seule avec ses cinq enfants.
Le 18 avril 1918 à Paris 20e, sa sœur Charlotte met au monde Rolande, reconnue l’année suivante par Jean Baptiste Milan, puis légitimée par le mariage de ses parents quelques jours après, le 15 février 1919, à la mairie du 20e.
En 1923, Henriette Merlin travaille comme découpeuse et habite au 2 rue Vilin avec sa mère, alors baleinière. À cette date, son père vit au 11 rue Bisson à Saint-Quentin, sa ville de naissance.
Le 13 octobre 1923 à la mairie du 20e arrondissement, Henriette Merlin, 20 ans, épouse Alphonse Auguste Émilien L’Huillier, 22 ans, né le 10 novembre 1901 à Nancy (Meurthe-et-Moselle), alors plombier. Un an plus tard, ils ont un fils, Roger, né le 29 octobre 1924 à Paris 10e.
Lors des recensements de 1926 et 1931, les L’Huillier habitent au 14, rue Ramponneau (Paris 20e), dans un petit immeuble dont Marie Merlin, la mère d’Henriette, est devenue concierge.
En 1930, Alphonse L’Huillier devient employé des Pompes funèbres municipales, au 141 avenue du Maine (Paris 14e), peut-être comme cantonnier ; ultérieurement, Henriette cessera de travailler.
Le 19 janvier 1931, le premier mariage de sa sœur Charlotte est dissous par jugement de divorce, et, le 5 septembre suivant à Bondy (Seine / Hauts-de-Seine), celle-ci épouse Henri Douillot, 29 ans, mécanicien-outilleur, qui possède un atelier de petite mécanique à Bondy, où elle travaille avec lui comme découpeuse. Le 12 mai 1935, Henri Douillot est élu conseiller municipal communiste de Bondy, sur une liste de coalition socialiste et communiste.
Au recensement de 1936, les L’Huillier habitent dans un immeuble au 48, rue des Panoyaux, dans le quartier du Père Lachaise (Paris 20e).
Le 8 septembre 1939, Henri Douillot est mobilisé au 11e régiment du Génie à Versailles. Fin décembre, il sera renvoyé en affectation spéciale, travaillant dans son atelier comme sous-traitant pour la Maison Bournier Frères, à Paris.
Alphonse L’Huillier est très probablement rappelé à l’activité militaire à la suite du décret de mobilisation générale, mais son affectation reste à trouver…Le 25 novembre suivant, à la mairie de Bondy, Rolande – fille de Charlotte et nièce d’Henriette – se marie avec Jean Émile Vandaele. Son récent mari sera prisonnier de guerre en Allemagne après juin 1940.Au début 1940, le jeune Roger L’Huillier, quinze ans, est embauché comme mécanicien à la Maison Fournier frères, au 39 rue Bréguet à Paris 11e.En février, convoqué à la police, Henri Douillot refuse de signer une renonciation au Parti communiste. À la fin du mois, le conseil de préfecture de la Seine le déchoit de son mandat électif. Le 15 mars suivant, il est “mobilisé” à la 1re compagnie spéciale de travailleurs militaires indésirables de la ferme Saint-Benoît, près de Rambouillet. Puis il doit suivre cette unité dans ses divers cantonnements, comme à Roybon (Isère).En août, n’ayant pas été fait prisonnier, Alphonse L’Huillier est démobilisé à Blagnac (Haute-Garonne). Recrutement de Toul, Meurthe-et-Moselle. De retour à Paris, il retrouve son emploi aux Pompes funèbres municipales.Le 14 mars 1941, Henri Douillot – qui a finalement été interné à la citadelle de Sisteron (Basses-Alpes / Alpes-de-Haute-Provence) – s’en évade. Il entre alors en clandestinité et ne retourne pas au 21 allée Racine à Bondy, où Charlotte est restée vivre avec son beau-père, Gustave Douillot, et sa fille Rolande.Le 15 avril, la famille L’Huillier (Henriette, Alphonse, Roger) emménage au 43, rue des Maronites (Paris 20e).En septembre, Henri Douillot entre à l’O.S. [2]. Affecté à la commission des cadres, il instruit les nouvelles recrues sur leurs futures missions. En janvier 1942, il est nommé responsable de plusieurs secteurs d’activité de l’O.S. de la région parisienne. En avril, il est affecté à la gestion des stocks d’armes et de munitions, sous la direction de Marie-Émile Besseyre, obtenant une fausse carte d’identité au nom d’Henri Dumas. Son activité spécifique le met en contact régulier avec France Bloch-Sérazin, chimiste-artificier du groupe, épouse de son compagnon d’évasion à Sisteron. Henri Douillot utilise alors comme “planque” un petit logement (ou une simple chambre) au 38 rue de la Fontaine-au-Roi (Paris 11e) loué par sa belle-fille Rolande.

France Bloch-Sérazin, repérée par les inspecteurs de la brigade spéciale anti-terroriste des Renseignements généraux (BS2) auxquels elle avait échappé une première fois en février, est filée à partir du 27 mars, conduisant involontairement les policiers vers sa famille, ses amis et le réseau des combattants et dirigeants clandestins qu’elle rencontre, comme Henri Douillot, le 14 avril, place de la Contrescarpe (Paris 6e). Suivi jusqu’au soir, au fil de différents rendez-vous, celui-ci conduit finalement les inspecteurs jusqu’à sa “planque”. Il est encore surveillé dans les jours suivants. Le 28 avril, les inspecteurs constatent qu’il se rend au domicile de son beau-frère, Alphonse L’Huillier, rue des Maronites.

Charlotte Delbo relate que, le jeudi de l’Ascension, le couple Douillot va déjeuner chez les L’Huillier. Lors de son interrogatoire ultérieur, Henriette L’Huillier déclarera : « Tous les deux sont venus ensemble, chez moi, le jeudi 14 mai dans la matinée, pendant que mon mari était absent » ; Alphonse L’Huillier étant à son travail. À cette occasion, Henri Douillot remet à sa belle-sœur des tickets de viande afin qu’elle aille lui en chercher chez son boucher, comme elle a pu le faire quelquefois auparavant. Même si les inspecteurs de la BS2 constatent cette visite, d’« une heure environ », l’adresse des L’Huillier avait déjà été repérée…

Ce même 14 mai, Marie-Émile Besseyre est arrêté indépendamment par des agents du commissariat de police de la circonscription de Puteaux dans le cadre d’une affaire de propagande amenant de multiples arrestations et perquisitions ; une initiative non coordonnée qui oblige Jean Hénoque, directeur de la BS2 à précipiter son propre coup de filet final, lancé deux jours plus tard. Soixante-huit personnes repérées et identifiées sont arrêtées ; parmi elles, une grande partie des membres de l’O.S.

Le 16 mai, la note de mise à la disposition des L’Huillier – Henriette, son mari Alphonse, leur fils Roger – au directeur de la BS 2, à la préfecture de police, indique : « Les sus-nommés ont été interpellés parce que le nommé Douillot, leur beau-frère (sic), avait été vu, au cours des surveillances exercées sur son compte, se rendant à leur domicile, qui peut être considéré comme un de ses lieux de refuge. Fouillées, aucune de ces trois personnes n’a été trouvée en possession de documents ou objets suspects. Une visite domiciliaire effectuée 43 rue des Maronites n’a pas amené la découverte d’armes ni documents suspects. Des vérifications opérées par nos soins, ils résultent que les trois susnommés sont inconnus aux archives de notre direction ainsi qu’aux sommiers et aux archives de la PJ. » Gaston, Henriette et Roger L’Huillier sont interrogés aussitôt et séparément ; le procès-verbal d’audition de chacun tient sur une seule page dactylographiée. Tous trois déclarent ne rien savoir des activités clandestines d’Henri Douillot.  Le jeune Roger affirme notamment aux inspecteurs : « Mon oncle ne m’a jamais demandé de lui faire des courses, de lui procurer de l’outillage, ou de lui donner des renseignements sur la maison où je travaille et dont l’activité est en partie réservée à l’armée d’occupation, puisque l’on y fait des obus. » Les trois L’Huillier récusent le fait que le militant clandestin ait pu dormir à leur domicile récemment (après janvier 1942).

Après leurs interrogatoires respectifs, Henriette L’Huillier et son fils Roger sont conduits au dépôt de la préfecture de police. Le 21 mai, les trois l’Huillier – Alphonse, Henriette et Roger -, Antoinette Besseyre, Yvonne Carré et Marie Louise Losserand sont consignés au dépôt à la disposition de la BS2 ; à la même date, Henri Douillot, Paul Thierret, Raymond Losserand, Gaston Carré, Marie-Émile Besseyre font partie des détenus « consignés au dépôt à la disposition des Autorités allemandes ».

Le 11 août 1942, Alphonse L’Huillier est fusillé au fort du Mont-Valérien à Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), en représailles d’actions armées de la résistance contre l’Occupant, sans jugement, parmi 88 otages déclarés communistes, parmi lesquels des membres du réseau des imprimeurs (affaire “Ambroise” ou Tintelin). Sur sa fiche d’otage, établie quatre jours auparavant, le 7 août, sous l’autorité de Carl Oberg, chef de la police de sûreté et du SD dans la zone d’activité du gouverneur militaire de France, et dans le cadre de l’Action Stadion, il est indiqué, comme « motifs de sa désignation pour l’exécution : L’Huillier Alphonse est le beau-frère du terroriste Douillot, qui, comme ancien communiste était membre de l’O.S. et, en tant que tel, entretenait des relations avec la direction supérieure du Parti. Il gérait le matériel, surveillait les stocks de produits chimiques servant à la fabrication d’explosifs et de compositions d’allumage. En plus, il s’occupait de la fourniture de matériel et de vivres pour les terroristes. On trouva en sa possession un pistolet 6,35 mm et 25 capsules fulminantes avec des fils d’amorce électrique, qui furent mis en lien sûr. Il a, en outre, pris part à un essai de bombes toutes prêtes dans le bois de Meudon. (Tgb. Mr IV B. 41/42.) Le sus-mentionné L’Huillier Alphonse a été arrêté en vertu de l’ordonnance de Commandant supérieur des SS et de la police du 10.7.1942. »

Effectivement, le 10 juillet précédent, le même Carl Oberg, chef supérieur de la SS et de la police (HSSPf) en France a édicté un avis affiché sur les murs : « … j’ai constaté que ce sont surtout les proches parents des auteurs d’attentats, des saboteurs et des fauteurs de troubles qui les ont aidés avant ou après le forfait. Je me suis donc décidé à frapper des peines les plus sévères non seulement les auteurs d’attentats, les saboteurs et les fauteurs de troubles eux-mêmes une fois arrêtés, mais aussi, en cas de fuite, aussitôt les noms des fuyards connus, les familles de ces criminels, s’ils ne se présentent pas dans les dix jours après le forfait à un service de police allemand ou français.
Par conséquent, j’annonce les peines suivantes : 1.) Tous les proches parents masculins en ligne ascendante et descendante ainsi que les beaux-frères et cousins à partir de 15 ans seront fusillés. 2.) Toutes les femmes du même degré de parenté seront condamnées aux travaux forcés. 3.) Tous les enfants, jusqu’à 17 ans révolus, des hommes et des femmes frappés par ces mesures seront remis à une maison d’éducation surveillée »

Le corps d’Alphonse L’Huillier est incinéré au Père-Lachaise.

Après son exécution, son fils Roger est relâché, « “en raison de son âge” (dix-sept ans) », a écrit Charlotte Delbo ; pourtant, selon l’ordonnance de Carl Oberg, le jeune homme a l’âge prescrivant sa mise en détention…

Par contre, sa mère, Henriette L’Huillier, belle-sœur d’Henri Douillot, est frappée par la peine de représailles (« travaux forcés ») concernant les femmes, comme Charlotte Douillot et sa fille Rolande Vandaele, et d’autres épouses de membres de l’O.S. : Antoinette Beyssère, Yvonne Carré, Louise Losserand…

Le 24 août, Henriette L’Huillier est écrouée en cellule à la Maison d’arrêt de La Santé (Paris 14e). Le 29 septembre, elle fait partie d’un groupe de détenus transférés au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht. Henriette L’Huillier y est enregistré sous le matricule n° 803, en même temps que Marie-Élisa Nordmann, Lucienne Palluy, Madeleine Damous, Yvonne Cavé, Lucienne Lebreton, Marie Dubois, et Sophie Brabander.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Le 16 septembre, vingt-deux hommes et une femme, France Sérazin, sont déférés pour une première audience devant le Tribunal militaire allemand du Gross Paris, siégeant rue Boissy-d’Anglas (Paris 8e). Le jugement est rendu le 30 septembre : cinq sont condamnés à des peines de prison et vingt-trois à la peine de mort pour activité de francs-tireurs, dont Henri Douillot, Raymond Losserand, Gaston Carré, Marie-Émile Besseyre et France Bloch-Sérazin. Le 21 octobre, quinze condamnés, dont Henri Douillot, beau-frère d’Henriette, sont fusillés au champ de tir du ministère de l’Air à Issy-les-Moulineaux, dit aussi stand de tir de Balard.

Le 27 octobre, sa sœur, Charlotte Douillot et la fille de celle-ci, Rolande, font partie des neuf détenues transférées à Romainville, avec Antoinette Beyssère, Yvonne Carré, Louise Losserand et aussi Suzanne Constantin, Simone Eiffes, Renée Juhem. Elles y retrouvent leur sœur et tante, Henriette L’Huillier.

Le 22 janvier 1943, Henriette L’Huillier fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, Charlotte Douillot et Rolande Vandaele font partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

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En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [3], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Henriette L’Huillier y est enregistrée sous le matricule 31688. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois quarts, de face et de profil.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” [4] du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

La sœur d’Henriette, Charlotte Douillot, meurt de dysenterie au Revier [5] du camp de femmes de Birkenau, le 11 mars 1943 d’après l’acte de décès établi par l’administration SS d’Auschwitz (Sterbebücher).

Charlotte Douillot, le 3 février 1943. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés

Charlotte Douillot, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés

À la fin avril, Rolande Vandaële entre à son tour au Revier, atteinte du typhus. Elle y voit mourir sa tante Henriette L’Huillier de la même maladie le 24 mai suivant, d’après le Sterbebücher.

Rolande Vandaele, le 3 février 1943. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés

Rolande Vandaele, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés

Le 3 août 1943, Rolande sort du Revier, tenant à peine debout, pour aller en quarantaine. Après être passée par les KL Ravensbrück et Mauthausen, Rolande Vandaële rentre à Paris le 30 avril 1945.

Elle retrouve sa grand-mère, Marie Merlin, toujours concierge au 14, rue Ramponneau (Paris 20e). La vieille femme avait appris la disparition de sa fille Charlotte par un avis de décès d’Auschwitz daté du 7 août 1943, mais n’avait rien reçu pour son autre fille, Henriette. Rolande n’ose pas lui dire que celle-ci est morte elle aussi. Il faut des années à Marie Merlin pour comprendre ce qui était arrivé, avant son propre décès le 1er août 1949, à l’hôpital Saint-Antoine (Paris 12e), âgée de 79 ans.

Le 15 mars 1945, Roger L’Huillier, 20 ans, témoigne devant la commission d’épuration de la police, déclarant que lui et sa mère n’ont pas subi de sévices de la part des inspecteurs de la BS2. « Il n’en a pas été de même de mon père, il a été frappé brutalement à coups de poing et à coups de nerfs de bœuf : quand je l’ai vu, il portait des traces de coups au visage, il avait l’œil droit complètement tuméfié. » Il porte plainte contre les inspecteurs qui ont procédé aux arrestations.

Notes :

[1] Le 28 août 1914 à Bellenglise : Après la bataille des frontières du 7 au 24 août 1914, devant les pertes subies, l’état-major français décide de battre en retraite depuis la Belgique. Le 28 août 1914, de violents combats opposent les Allemands au 10e régiment d’infanterie territoriale de Saint-Quentin, dans les environs de la ville. Malgré une défense acharnée, les lignes françaises cèdent et près de deux mille hommes sont portés disparus (morts ou capturés).

[2] O.S. : organisation spéciale armée du Parti communiste clandestin créée à partir de septembre 1940, à l’origine pour protéger les militant(e)s prenant la parole en public, les distributeurs de tracts et les colleurs d’affiches, elle est devenue le premier cadre de la résistance armée.

[3] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[4] La « course » par Charlotte Delbo : « Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage. Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.
Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. “En arrivant à la porte, il faudra courir.” L’ordre se transmettait des premiers rangs. Oui, il fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté. Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.
Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire. La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. » (Le convoi du 24 janvier, pp. 37-38)

[5] Revier, selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998).

- Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, pages 634 à 170, fiche allemande, page 152.
- Les fusillés (1940-1944), Dictionnaire biographique des fusillés et exécutés par condamnation et comme otage ou guillotinés pendant l’Occupation, sous la direction de Claude Pennetier, Jean-Pierre Besse, Thomas Pouty et Delphine Leneveu, Éditions de l’Atelier, 2015, pages 592 et 1152.
- http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article145806, notice L’HUILLIER Alphonse, Auguste, Émilien par Daniel Grason, version mise en ligne le 27 mars 2013, dernière modification le 1er mars 2017.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 9-08-2019)

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