Photo anthropométrique prise le 17 mars 1942
par le service de l’identité judiciaire.
© Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.

Gisèle, Henriette, Lung naît le 29 janvier 1915 à Poitiers (Vienne). Elle grandit à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), où elle va à l’école communale. Elle fréquente ensuite une école commerciale de la rue de Naples, à Paris 8e, et obtient un diplôme de secrétaire. Son père est ingénieur des chemins de fer, à la gare Saint-Lazare (Paris 8e).

Le 18 juin 1938, Gisèle Jung se marie avec Paul Laguesse, né le 21 juin 1893 à Paris 19e, instituteur à l’école du centre à Gagny [1] (Seine-Saint-Denis – 93), qui avait été l’un des tout premiers secrétaires du parti communiste français dans les années 1920 (fédération de Seine-et-Marne).

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Photo anthropométrique prise le 17 mars 1942
par le service de l’identité judiciaire.
© Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.

Ils habitent au 3, avenue Jauzier-Koestler à Saint-Maur-des-Fossés [1](Val-de-Marne), à proximité du pont de Créteil.

Gisèle est également membre du Parti communiste, ainsi que du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme.

La résistance dès 1940

Dès août 1940, Gisèle et Paul Laguesse entrent dans l’action clandestine.

En 1942, ils hébergent des responsables du Front national [2], assurent la liaison entre la direction du Front national et les responsables régionaux, transmettent à la direction du Front national le résultat de leurs écoutes (Radio-Londres, Radio-Moscou) – Gisèle prend des cours de sténotypie à l’école Grandjean -, tirent des tracts sur une ronéo.

Arrêtés dans le cadre de l’affaire Pican-Cadras

Le 2 mars 1942, au matin, ils sont arrêtés par les policiers des brigades spéciales, à leur domicile. Roger Ginsburger (Pierre Villon), secrétaire national du Front national et compagnon de Marie-Claude Vaillant-Couturier, qui se planque chez eux depuis deux semaines, parvient à s’échapper en sautant du premier étage dans le jardin. Selon son témoignage ultérieur, Gisèle était contactée quelquefois à la sortie de son école de sténo par un camarade connaissant ses heures de cours, et qui, un jour, a été filé.

Gisèle et Paul Laguesse sont emmenés dans les locaux des Renseignements généraux à la préfecture de police, à Paris, où ils passent une semaine, y subissant des interrogatoires.

Le 10 mars, Gisèle Laguesse est transférée au dépôt.

Le 23 mars, elle est écrouée à la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris 14e, division allemande, au secret.

Le 24 août, elle fait partie d’un groupe de trente-cinq détenues transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [3] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122.

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L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Gisèle Laguesse y est enregistrée sous le matricule n° 668.

Le 21 septembre 1942, Paul Laguesse est parmi les quarante-cinq hommes fusillés comme otages au fort du Mont-Valérien sur la commune de Suresnes (Hauts-de-Seine). Comme ils ont transité par le fort de Romainville, Gisèle a pu lui dire adieu.

Le 22 janvier 1943, Gisèle Laguesse fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

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Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [4] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Gisèle Laguesse y est enregistrée sous le matricule 31667. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Lors d’un interrogatoire d’identité, Gisèle Laguesse se déclare sans religion (Glaubenslos).

Pendant deux semaines, les “31000” sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart d’entre elles sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation de Gisèle Laguesse a été retrouvée puis identifiée).

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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises.

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Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol,
est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible
de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Début mars, Gisèle Laguesse entre au revier [5], épuisée par la dysenterie. Là, une stubova du revier la bat à coups de bâton parce qu’elle a souillé son châlit. Elle succombe le lendemain (Charlotte Delbo relatera le calvaire de son agonie).

Gisèle Laguesse meurt au sous-camp de femmes de Birkenau le 11 mars 1943 d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp.

La famille

Sa belle-sœur, Germaine Laguesse, née le 29 mai 1896 à Paris, est déportée dans le transport de 58 femmes parti le 26 juillet 1943 de Paris, gare de l’Est et arrivé à Ravensbrück le 1er août (matricule n° 21684). Le 10 janvier 1944, elle apprend la mort de Gisèle par des survivantes du convoi arrivées de Raïsko (Auschwitz) deux jours plus tôt. Transférée à Mauthausen, elle y est libérée par la Croix-Rouge le 22 avril 1945. Revenue en très mauvaise santé, elle décède en 1975.

Le frère aîné de Paul Laguesse, Lucien, né le 19 août 1884 à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), est déporté dans le transport de 16541 hommes et 546 femmes parti le 15 août 1944 de la gare de Pantin (93) et arrivés respectivement le 20 août au KL Buchenwald et le 21 août au KL Ravensbrück. Lucien Laguesse (matr. 77883) meurt au Kommando d’Elrich le 8 ou 10 janvier 1945.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 163-164.
- Pierre Villon, résistant de la première heure, entretiens avec Claude Willard, éditions sociales, messidor notre temps/mémoire, Paris 1983, p. 63.
- Serge Klarsfeld, Le Livre des otages, 1979, p. 219.
- Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, I.118, t. 2, p. 1006 et 1008 ; I.264, t. 4, p. 1503-1503, 1563.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 686 (16075/1943).

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 14-02-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Gagny et Saint-Maur-des-Fossés : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).

[3] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[4] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.

[5] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.