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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Berthe Lescure naît le 26 avril 1895 au Passage (Lot-et-Garonne – 47). Ses parents s’installent ensuite à Cenon, en face de Bordeaux sur l’autre rive de la Garonne (Gironde – 33). Ils ont encore un fils, Henri, né le 3 novembre 1899 à Cenon.

Berthe Lescure va à l’école de la mairie, jusqu’à onze ans. Plus tard, elle travaille dans un restaurant de Bacalan, quartier industriel sur le bord du fleuve au nord de Bordeaux. Elle y rencontre Jean Lapeyrade, né le 4 juillet 1893 à Bordeaux, ajusteur aux ateliers de Bacalan, qui y déjeune régulièrement. Ils se marient en 1917.

Le frère de Berthe, Henri Lescure, est manœuvre dans une usine de Bordeaux. Il habite à Cenon, dans la banlieue de la capitale girondine. Il y rencontre Charlotte Zanker, née le 31 mai 1902 à Saint-Paul (33) et qui habite alors dans la même rue que lui. Ils se se marient en 1921 et s’installent à Floirac, au sud de Cenon.

Jean Lapeyrade adhère à la section française de l’Internationale communiste (futur PCF) peu de temps après sa création en 1920. En 1927, il est secrétaire de cellule aux chantiers Dyle et Bacalan, en compagnie de Laurent Puyoo (fusillé le 24 octobre 1941). Il entre ensuite à l’usine Motobloc à Bordeaux-Bastide, d’où il est licencié en raison de son action syndicale.

Jean Lapeyrade est ouvrier dans la navale, aux Chantiers de la Gironde à Lormont, quand il est frappé par l’interdiction du Parti communiste à l’automne 1939. Il s’engage alors dans l’organisation clandestine.

Sous l’occupation, Henri et Charlotte Lescure entreposent du matériel de propagande du Front national [1], font des liaisons, hébergent des résistants en transit depuis Paris. Ils en envoient chez les Lapeyrade qui les reçoivent chaleureusement. Ainsi, Jean et Berthe hébergent pendant un temps un couple de dirigeants illégaux : “Lucien”, ancien secrétaire général de la mairie communiste de Tarnos dans les Landes, et “Annie”, responsable régionale des comités féminins.

À la fin mai 1942, la brigade du commissaire spécial Poinsot obtient des informations en interrogeant un responsable de la propagande clandestine qui vient d’être arrêté, Pierre Giret. Quelques arrestations ont lieu qui entraînent le 7 juillet l’arrestation d’un délégué du Comité central du PCF, responsable FTP pour la région sud.

Le 25 juillet 1942, Jean et Berthe Lapeyrade sont arrêtés chez eux, rue de Venise – en même temps qu’ “Annie” – par la police française. La relation entre les Lapeyrade et les Lescure est facile à établir.

Un moment plus tard, les mêmes policiers arrêtent Charlotte Lescure à son domicile, pendant que son mari est à son travail. Convoqué au commissariat, Henri Lescure s’y rend, craignant pour sa femme et pour son fils, alors âgé de dix-neuf ans : il est aussitôt arrêté.

Berthe et Charlotte ont été emprisonnées à la caserne Boudet, rue de Pessac à Bordeaux, qui dispose d’une prison militaire utilisée comme annexe du Fort du Hâ.

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Carte postale, avant 1917. Collection Mémoire Vive.

Jean Lapeyrade tente sans succès de se suicider dans sa cellule pour échapper aux interrogatoires “musclés” de la brigade Poinsot ; néanmoins, il ne parle pas.

Le 21 septembre 1942, il est parmi les soixante-dix otages fusillés au camp militaire de Souge, commune de Martignas-sur-Jalle, avec Alexandre Pateau, Lucien Vallina et d’autres époux de futures “31000” arrêtés dans d’autres circonstances. Ces représailles massives touchent des détenus placés sous l’autorité de la Feldkommandantur 529 de Bordeaux bien que les actions de la résistance armée qui les déclenchent aient essentiellement été réalisées à Paris, comme la dernière, frappant le grand cinéma Rex réservé aux troupes d’occupation (Deutsches Soldatenkino) le 17 septembre à 21h55 et faisant deux morts et dix-neuf blessés. [2]

Le 16 octobre, les deux belles-sœurs sont parmi les soixante-dix hommes et femmes – dont trente-trois futures “31000” (les “Bordelaises” et les Charentaises) – transférés depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis – 93), première infrastructure du Frontstalag 122.

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L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Berthe Lapeyrade y est enregistrée sous le matricule n° 944 et Charlotte Lescure sous le n° 944. Pendant trois semaines, les nouveaux arrivants sont isolés, sans avoir le droit d’écrire, puis ils rejoignent les autres internés (hommes et femmes étant séparés mais trouvant le moyen de communiquer).

Le 22 janvier 1943, Berthe Lapeyrade est parmi les cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Le lendemain, Charlotte Lescure fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris).

Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

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En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et ceux-ci sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Berthe Lapeyrade y est enregistrée sous le matricule 31721, sa belle-sœur Charlotte Lescure est enregistrée sous le n° 31733.

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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943,
selon les trois vues anthropométriques de la police allemande.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (les photos d’immatriculation des deux belles-sœurs ont été retrouvées, puis identifiée par des rescapées à l’été 1947).

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où se trouvent quelques compagnes prises à la « course » du 10 février [3]. Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Le 21 février 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS, Berthe Lapeyrade meurt au cours de l’après-midi dans un Kommando travaillant “au marais” : Charlotte Delbo, Viva, Lulu et Carmen la portent jusqu’au Block pour qu’elle soit comptabilisée à l’appel du soir (Ch. Delbo en conteste la date, estimant que les marais étaient gelés jusqu’en mars, empêchant d’aller y travailler). En mai 1943, un avis de décès d’Auschwitz parvient à la mairie de Bordeaux qui prévient la famille.

Sa belle-sœur, Charlotte Lescure est prise à la « course », le 10 février, mais ses camarades réussissent à la tirer du groupe des sélectionnées : sauvée pour cette fois-là.

Dans la nuit du 21 mars, malade, Charlotte gémit. La blockova [4] sort de sa chambre, armée d’un bâton, et l’assomme. Le matin du 22 mars 1943, Charlotte Lescure ne se lève pas pour l’appel : elle est morte sur sa couche.

Henri Lescure – son mari et le frère de Berthe – est détenu pendant un temps comme otage. Il échappe probablement de peu à la fusillade du 21 septembre 1942. Le 1er avril 1943, il est déporté depuis Paris-gare de l’Est dans un “petit” transport de 56 détenus “NN” – avec Albert Castera, mari d’Hélène (31719) – voyageant à dix par compartiment dans des voitures de 2e classe accrochées au train Paris-Berlin. À Trèves, ils sont transférés dans des wagons postaux qui les acheminent au KL Mauthausen (matr. 25633). Albert Castera y succombe le 12 février 1944. Le 6 juillet 1944, Henri Lescure est conduit au château d’Hartheim, centre d’euthanasie où il est gazé.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier , Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 168-169.
- Charlotte Delbo, Aucun de nous ne reviendra (Le Soir) Ed. Gonthier, Paris 1965.
- René Terrisse, À la botte de l’Occupant. Itinéraires de cinq collaborateurs, Bordeaux,